Écho de presse

Le prophétique « Meilleur des mondes » d'Aldous Huxley

le 30/01/2021 par Pierre Ancery
le 10/01/2018 par Pierre Ancery - modifié le 30/01/2021
Le Meilleur des mondes, première édition anglaise, 1932 - source : WikiCommons

Paru en 1932, le roman contre-utopique d'Aldous Huxley est aujourd'hui un classique de la science-fiction. Ses premiers lecteurs français y voient une satire des grandes idéologies de l'époque.

Le Meilleur des mondes (Brave New World en anglais), roman du Britannique Aldous Huxley paru en 1932, est aujourd'hui un classique du roman d'anticipation. Huxley, qui l'a écrit en quatre mois à Sanary-sur-Mer, près de Toulon, y dépeint un monde futuriste où la majorité des humains vivent dans un « État mondial » qui prend en charge toute leur existence.

 

Dans cette société faussement utopique où le nom de « Ford » a remplacé celui de « Dieu », la reproduction sexuée a disparu : les humains sont créés en laboratoire et on leur assigne dès avant la naissance, par conditionnement biologique, leur place dans la société. Les castes inférieures sont au service de l'élite des Alpha et des Bêta, programmés pour diriger.

 

La souffrance a été abolie grâce à une drogue révolutionnaire, le soma, un anxiolytique qui permet à chaque membre de la société de se satisfaire de son statut.

 

Dès la parution, la plupart des critiques français sont enthousiastes. Ils voient dans l’œuvre de Huxley une satire à la Swift ou à la Voltaire des grands courants idéologiques et intellectuels d'alors : le fordisme, la psychanalyse, le communisme... mais aussi l'eugénisme, doctrine très en vogue dans la communauté scientifique.

 

Pierre Audiat, dans L'Européen, salue l'humour et l'inventivité de Huxley qui, d'après lui, a inventé un monde hyperbolique, une sorte de version intensifiée des années 1930 :

 

« Aldous Huxley [...] imagine que les grands principes de philosophie politique et sociale, qui aujourd'hui apparaissent être des innovations audacieuses, sont devenues les bases de la société, après avoir été portés à leur paroxysme. Zomiotine avait ainsi, sous le masque de l'utopie, exercé son esprit critique sur les principes du communisme.

 

Aldous Huxley applique le sien aux principes de l'industrialisation à outrance, de l'organisation sociale, rationalisée à l'extrême, et du freudisme devenu le fondement de l'éducation. Mais avec quelle surprenante virtuosité, avec quelle précision dans l'imaginaire, avec quel luxe de détails spirituellement inventés, avec quel humour ! Le Meilleur des Mondes est éblouissant. »

 

Pour André Rousseaux du Figaro, le véritable thème du Meilleur des mondes, c'est la notion « d'homme nouveau » chère aux grandes idéologies de l'époque. Huxley, dit Rousseaux, la fustige avec maestria en renvoyant dos à dos les projets communiste et capitaliste :

 

« Le monde que nous voyons le plus souvent imaginer [sic] est le monde communiste. M. Aldous Huxley, lui, dresse le tableau d'un monde « fordiste ». Ils ne diffèrent guère l'un de l'autre. Ils sont, l'un et l'autre, l'expression de l'univers où la présomption de l'esprit humain ferait régner une perfection qu'elle croit absolue. En pratique, l'arbitraire communiste et l'arbitraire « fordiste » se rejoignent dans l'odieux.

 

Mais si l'un et l'autre système sont capables de duper pendant quelque temps un certain nombre d'hommes, c'est qu'on ne voit pas jusqu'où irait l'humanité, et ce qu'elle deviendrait, si le système était appliqué rigoureusement jusqu'au bout. C'est au contraire ce que le très intelligent Aldous Huxley démontre avec une logique impitoyable [...].

 

Ce que M. Aldous Huxley a très bien vu, c'est que l'ambition insensée de changer l'homme exige d'abord de changer l'amour, et tout ce qui dépend de l'amour : le couple, la famille, la filiation [...]. Ne plus souffrir, corollaire de ne plus aimer. Mais voilà un renouvellement qui ne grandirait pas l'humanité. »

 

André Thérive, dans Le Temps, est en revanche plus sceptique. Au Meilleur des mondes, il préfère Le Petit Mexicain, un recueil de nouvelles de Huxley traduit au même moment et aujourd'hui oublié. Il explique ses réticences :

 

« Tout cela est assez drôle, et il faut rendre hommage non seulement à la puissante imagination de M. Aldous Huxley, mais à sa culture scientifique qui lui permet de ne jamais sembler arbitraire ou plat dans l’extravagance. Les inventions de M. Wells ne sont qu’enfantillages amusants au prix des siennes.

 

Par malheur, il était impossible d’aller beaucoup plus loin que la description […]. L’intrigue proprement dite échoue dans le Meilleur des mondes, car il nous est impossible de nous passionner pour des êtres qui ne ressemblent presque plus à l’humanité [...].

 

[Le Meilleur des mondes], s’il ne reste pas comme témoignage curieux de l’état des esprits vers 1930, aura toujours quelque chose d’une plaisanterie méthodique ou d’un apologue massif. Avec toute l’ingéniosité possible, il ne tient pas compte de ce fait que l’être moral, dans l’homme, a jusqu’ici assez peu changé. »

 

Considéré de son vivant comme l'un des plus grands intellectuels anglais, Aldous Huxley (1894-1963) est aujourd'hui surtout connu pour ce roman, souvent présenté comme l'un des plus visionnaires du XXe siècle.