Auguste Méla, caïd marseillais immortalisé par Jean-Pierre Melville
Figure de la pègre d’avant-guerre, comptant presque autant de coups d’éclats criminels que d’évasions, Auguste Méla jouira en outre d’une postérité cinéphile en tant qu’inspiration du personnage campé par Lino Ventura dans « Le Deuxième souffle ».
Auguste Méla naît le 1er juin 1897 à Marseille. Si ses activités criminelles débutées tardivement, à l’âge de 36 ans, le poussent régulièrement à voyager vers Lyon, Paris, Alger ou Avignon, c’est dans sa ville de naissance, où la loi du « milieu » succède à celle des nervis, qu’il se fera un nom.
La presse le mentionne pour la première fois au mois de décembre 1935, à la suite d’une tentative de hold-up tournée court. Dans la nuit du 5 au 6 décembre, « Gus » et quatre complices s’infiltrent sur la base aérienne de Bron, en banlieue lyonnaise. Méla crochète la serrure du coffre-fort de l’aéroport et attire l’attention du sergent Kieffer, qui met en fuite les braqueurs.
Tous les complices sont arrêtés dans les deux semaines qui suivent, à Avignon et à Marseille… à l’exception du mystérieux Gus. Puis Méla est condamné à mort par contumace moins d’un an plus tard pour tentative de vol qualifié et tentative de meurtre sur la personne du sergent.
Activement recherché par les forces de police française, Gus part se cacher quelques mois en Amérique du Sud, au Venezuela, où il fomente ses prochains coups.
Début 1937, il est identifié sur une photographie comme l’un des cambrioleurs de la recette des finances d’Aix-en-Provence. En janvier 1938, la police d’Alger publie un avis de recherche en bonne et due forme pour Méla et un complice, suite à un nouveau braquage, celui de la bijouterie Lugagne dans l’actuelle capitale algérienne.
« Mela Auguste-Lazare, de nationalité italienne, né le 1er juin 1897 à Marseille. Voici également son signalement : taille 1m.66 ; cheveux châtain foncé, front fuyant, bouche moyenne, visage ovale, teint mat. Il a, lui aussi, un tic nerveux. […]
Ce sont des repris de justice des plus dangereux qui constituent un véritable danger public. »
Gus échappe aux vigilances des polices françaises et algériennes, regagne Marseille sans grande inquiétude et échafaude alors son plus gros coup – ou tout du moins, le plus spectaculaire.
Pour arriver à ses fins, il a besoin de main-d’œuvre et pousse l’audace jusqu’à solliciter les services de son plus grand rival local, le caïd Jo Rossi. Les deux hommes parviennent à se mettre d’accord et joignent leurs forces pour ce que la presse à sensations nommera « L’Attaque du train de l’or ».
Dans la nuit du 21 au 22 septembre 1938, une quinzaine d’hommes attaquent un convoi ferroviaire gorgé de pierres précieuses et de lingots d’or. La police marseillaise, sous le coup d’un opprobre national suite à un scandale de corruption, entend bien redorer son blason.
Les enquêteurs retrouvent la trace de la camionnette utilisée pour trimballer le butin dans le garage de Jo Rossi. Les arrestations s’enchainent dans le milieu. La traque des braqueurs fournit une occasion inespérée de « faire le ménage » à Marseille, comme en témoigne cet article de Paris-soir.
« En collaboration avec les gendarmes, les policiers cernèrent un établissement de nuit de Pertuis tenu par le nommé Félix Edgar Louis, né en 1901, repris de justice et ayant de nombreux amis parmi les gangsters déjà arrêtés.
Au cours de la perquisition effectuée dans la maison au grand émoi des pensionnaires et des clients, les policiers découvrirent 9 revolvers de gros calibre, notamment des colts et des parabellums. […]
Des rafles monstres effectuées dans la nuit à Marseille ont permis d’arrêter de nombreux étrangers en infraction aux lois françaises et huit interdits de séjour ont été déférés au parquet.
L’épuration continue. »
La police marseillaise finit par arrêter un certain Émile Long. Après « une nuit de patient interrogatoire », il se met à table. Il révèle alors l’association des bandes rivales, l’origine du tuyau sur le train de l’or (un cheminot porté disparu) et les conditions de partage du butin. Gus Méla, passé du stade de suspect à celui de cerveau du plan, demeure introuvable.
La police marseillaise se fait les dents sur cinq pieds nickelés ayant eu l’idée saugrenue de voler la bande de Gus. Un complice est arrêté à Paris ; un autre est retrouvé au fond de la Seine dans un sale état.
Il faut attendre la mi-juin 1939 pour que la police ne retrouve la trace de Méla dans les Hauts-de-Seine, chez un bookmaker du nom de Jean Escudé. Les hommes du commissaire Belin encerclent la demeure durant la nuit, se font repérés par « le Père Jean » qui réveille illico Méla. Escudé sort pour faire diversion.
« Le commissaire Belin, qui n’avait pas été dupe, comprit qu’il fallait passer à l’offensive, et, repoussant le vieillard, il pénétra dans le jardin, suivi de ses collaborateurs.
Mela, en pyjama, apparut à ce moment, il tentait de s’enfuir. Avant qu’il ait pu esquisser un geste de défense, il fut ceinturé et rapidement réduit à l’impuissance. Il déclara tout simplement :
“Mes planques étaient meilleures à Marseille. Je n’aurais jamais dû les quitter.” »
Auguste Méla est condamné à dix ans de réclusion pour l’attaque du train. Il entame fin 1940 un tour de France de différents tribunaux pour d’autres faits qui lui sont reprochés.
Gus passe l’Occupation dans une prison de Castres, dont il s’évade quelques mois avant la Libération. Il passe deux ans à Marseille, où il y poursuit ses activités sans se faire inquiéter. Un ancien complice le reconnaît à la terrasse d’un café, où il se fait cueillir par la police. Il est alors incarcéré à la prison de Béziers, dont il s’évade en 1947. Il est capturé deux jours plus tard, dans un blockhaus allemand du Grau d’Agde. Il succombera des suites d’une tuberculose 13 ans plus tard, à la prison de Nîmes.
Deux ans avant sa mort, le romancier José Giovanni s’inspire d’Auguste Méla pour composer Gustave Minda, personnage principal de son roman Le Deuxième souffle. Le livre attire l’attention du cinéaste Jean-Pierre Melville, qui y voit le terreau dramatique idéal pour une exploration ambitieuse et tourmentée sur le sens de l’honneur. Problème : le réalisateur et l’écrivain ne s’entendent pas du tout. Giovanni arguera que le caractère trop trempé de Melville et sa conception par trop viriliste du récit eurent raison de leurs relations professionnelles.
Après plusieurs années de développement, Melville finit par s’approprier le projet, qu’il réécrit sans Giovanni. Le film démarre sur une déclaration d’intention établissant la différence cruciale entre morale et éthique, ainsi qu’une distanciation entre le film et ses sources d’inspiration. Néanmoins, des patronymes des personnages à plusieurs scènes clés, en passant par une coupure de journal des plus éloquentes, le lien entre Gustave Minda et Auguste Méla s’assume nettement entre les lignes.
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Pour en savoir plus :
Roger Colombani, Flic et voyous, ed. FeniXX, 1985
Jean Contrucci, Marseille des faits divers, ed. Autres temps, 2005
Laurence Montel, « Proxénétisme et corruption à Marseille dans les années 1920 et 1930. Pratiques et représentations », via Academia.edu
Bertrand Tessier, Jean-Pierre Melville : le solitaire, ed. Fayard, 2017