Écho de presse

L'arrivée polémique de l'obélisque de Louxor à Paris

le 29/07/2021 par Pierre Ancery
le 22/05/2019 par Pierre Ancery - modifié le 29/07/2021
Érection de l'obélisque de Louxor, estampe de Théodore Jung, 1836 - source Gallica BnF

Offert à la France par le vice-roi d’Égypte Méhémet Ali, l'obélisque de Louxor fut installé en grande pompe, en 1836, sur la place de la Concorde. À l’époque, des voix s'élevèrent pour critiquer ce projet.

Comment l'un des deux obélisques érigés devant le temple de Louxor, en Égypte, par Ramsès II au XIIIe siècle avant Jésus-Christ, s'est-il retrouvé place de la Concorde, à Paris ? 

 

C'est le vice-roi d’Égypte Méhémet Ali qui, en 1830, décida d'en faire cadeau à Charles X et à la France, en signe de bonne entente entre les deux nations. Le projet de don fut supervisé par Champollion, mais aussi par le baron Isidore Taylor, homme d'art et philanthrope français nommé par le roi auprès du pacha d’Égypte.

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En réalité, les deux obélisques de Louxor furent offerts, mais un seul sera ramené. Et il faudra attendre sept ans avant que celui-ci ne se dresse place de la Concorde, en plein centre de la capitale.

 

Car l'opération s'avéra terriblement compliquée : l'obélisque fait 23 mètres de haut et pèse 230 tonnes. Mais aussi coûteuse : 300 000 francs. En novembre 1830, Le Figaro note que cette somme a de quoi faire grincer des dents, quand toute une partie de la population est aux abois (il est alors question, curieusement, non pas d'un mais de trois obélisques).

« On a fait présent à la France de trois obélisques, et pour ne pas déplaire au donateur, il faut dépenser 300 ou 400 000 fr. pour les faire transporter ici.

 

Or, il a paru que, quand la France s'occupe de réforme et d'économies, ce serait un luxe fort inutile d'ajouter un budget pour 300 000 francs d'obélisques.

 

300 000 francs peuvent nourrir mille huit cents familles pendant tout l'hiver.  Mais il faut dire aussi que c'est une fort belle chose que des obélisques ; surtout trois obélisques.

 

Et d'ailleurs on désobligerait le vice-roi en les refusant ; il faut seulement se réjouir qu'il n'ait pas plu au pacha de nous donner une montagne, ou de nous faire présent du Nil. »

La question du transport de l'obélisque est débattue à l'Assemblée. Parmi les défenseurs les plus fervents du projet, le député et ingénieur Charles Dupin, qui s'exprime devant la Chambre le 16 novembre :

« Messieurs, lorsque les Français, après une longue marche dans le désert, arrivèrent devant ces obélisques, debout depuis 4,000 ans, saisis d’enthousiasme comme dans une fête nationale, les soldats mirent leurs chapeaux au bout de leurs baïonnettes, eu saluant de leurs acclamations les immortels chefs-d’œuvre des Pharaons.

 

Serez-vous moins sensibles à l'enthousiasme des beaux-arts que de simples soldats ? […] Vous pourrez placer ces trois obélisques, l'un devant la colonne du Louvre, et il servira à immortaliser la victoire du 29 juillet, l'autre sur la place de la Concorde, où il figurera mieux qu'un monument expiatoire qui n’était qu'un appel aux passions d'un parti, le troisième au rond-point des Champs-Élysées.

 

Messieurs, l’Égypte doit tout à la France. Si elle a une armée, ce sont des Français qui l'ont organisée ; si elle a des manufactures, ce sont des Français qui les ont établies, si elle a des navires, ce sont des Français qui les ont construits. Dans sa reconnaissance, elle vous offre les plus beaux monuments de sa grandeur passée. Vous n’hésiterez pas à accepter ce présent magnifique. »

La question de l'emplacement n'est alors pas encore tranchée, mais on parle déjà de la place de la Concorde. Un choix qui n'est pas anodin. Dans la France divisée de 1830, qui vient de connaître un changement de régime à la suite de la révolution de Juillet, le lieu est porteur d'une forte charge symbolique : Louis XVI, en effet, y fut décapité en 1793.

 

C'est pourtant la place de la Concorde que Louis-Philippe retient finalement. En y plaçant un monument tout à fait étranger à l'histoire du pays, il entend ainsi empêcher que l'une ou l'autre faction ne s'approprie la mémoire du lieu. Ce qui suscite des mécontentements : en juin 1833, le journal royaliste La Quotidienne ne cache pas sa mauvaise humeur.

« Concorde soit ! Louis XVI en mourant désirait du moins que son sang la cimentât parmi nous. Mais qu’y mettrez-vous ? La statue du roi honnête homme? Impossible ; il y a aujourd’hui une royauté qui aurait à rougir au souvenir du régicide ! […] Qu’y mettrez-vous? L'obélisque de Luxor ! A quel titre, dans quelle intention ? […] Que dira votre obélisque aux imaginations françaises ? »

Alors que l'obélisque, monté à bord du navire le Louxor (construit pour l'occasion), est encore en train d'être transporté depuis l’Égypte, d'autres voix s'élèvent pour critiquer le projet. À l'Assemblée, en juin 1833, le député Tracy explique qu'il vaudrait mieux édifier des fontaines à Paris, plutôt qu'un obélisque :

« Puisqu’on s’occupe de monuments, je ferai une observation. Les obélisques de Luxor ont été sculptés en Égypte, et on les fait venir à grands frais en France. N’avons-nous pas d’autres besoins qu’il importe de satisfaire ? Je m’étonne qu'on s’occupe de ces monuments, et qu’on ne s’aperçoive pas que Paris soit la seule capitale du monde où il y a une si petite quantité d’eau.

 

Ce sont des fontaines qu’il faut construire avant de songer à placer des obélisques ; occupons-nous des monuments d’utilité publique avant de penser aux monuments de luxe. »

En 1836, l'obélisque arrive à Paris. Le Siècle émet encore des critiques, d'ordre esthétique cette fois (placé au milieu de la place, le monument gâcherait la vue) :

« On a vivement critiqué, et avec raison, suivant nous, l'érection de l'obélisque sur cette place. Outre que les obélisques ne sont pas des pyramides ou des colonnes propres à faire centre, mais des accessoires et en quelque sorte des introductions à un édifice, il y a encore ce grave inconvénient que tous les points de vue sont disgracieusement coupés par cette ligne élancée […]. De quelque côté qu'on se tourne, la perspective est rompue. »

Halé depuis la rampe du pont de la Concorde, le monument égyptien sera finalement érigé le 25 octobre 1836. L'érection, à l'aide de gigantesques machines élévatrices, a lieu en grande pompe. Spectaculaire, elle s'effectue en présence d'une foule immense et de Louis-Philippe, installé aux fenêtres de l'hôtel de la Marine.

Érection de l'obélisque de Louxor, estampe de F. Bonhomme, 1836 - source Gallica BnF

La Gazette nationale raconte :

« L’élévation de l’obélisque de Louqsor sur son piédestal a donné lieu mardi dernier à une fête improvisée, pleine de mouvement et d’éclat. Dès le matin une foule immense remplissait la place et le pont de la Concorde, les Champs-Elysées et toutes les rues qui y aboutissent. Les terrasses des Tuileries et les fenêtres des édifices voisins, chargées de monde, augmentaient la beauté de ce spectacle, qu’un temps magnifique a favorisé [...].

 

Lorsque l'obélisque a été placé sur son piédestal, le Roi s’est avancé sur le devant de la galerie et a donné le signal des applaudissements. Les applaudissements ont été unanimes et accompagnés des cris mille fois répétés de vive le Roi ! vive la Reine ! vive la Famille royale !

 

Rien ne saurait rendre la beauté du spectacle que présentait alors la vaste place de la Concorde. Cette foule immense, qui était restée immobile pendant quatre heures les yeux fixés sur la marche ascensionnelle du monolithe, s’ébranlait à la fois, en laissant éclater par des cris et des applaudissements l’orgueil que lui inspirait cette conquête de notre industrie et de notre civilisation sur l’industrie et la civilisation de la vieille Égypte. »

L'érection est un succès. Louis-Philippe, qui redoutait un fiasco déshonorant, peut respirer. Il recueille les ovations de la foule : c'est une victoire politique.

 

L'obélisque n'a pas bougé depuis 1836, voisinant au centre de Paris avec une autre « Égyptienne », la pyramide du Louvre, qui en est séparée par le jardin des Tuileries. Plus vieux monument de Paris, il fut classé monument historique en 1937, un siècle après son arrivée.

 

Le second obélisque de Louxor, offert par Méhémet Ali, et qui n'avait pas été défait de son emplacement originel, fut officiellement rendu à l’Égypte par François Mitterrand lors de son premier septennat.

 

 

Pour en savoir plus :

 

Robert Solé, Le grand voyage de l'obélisque Seuil, 2004

 

Jean Baptiste Apollinaire Lebas, L'Obélisque de Louxor : histoire de sa translation à Paris, 1839, à lire sur Gallica

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