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RetroNews | la Revue n°3
Au sommaire : un autre regard sur les explorations, l'âge d'or du cinéma populaire, et un retour sur la construction du roman national.
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Dans un article acerbe paru à l’occasion des législatives d’août 1893, Émile Zola s’attaque aux campagnes électorales, « étalage de toutes les médiocrités », et aux candidats, « écume d'ignorance et de vanité que le suffrage universel pousse dans Paris ».
En ce mois d’août 1893, les journaux parisiens frémissent tous d’une même attente : celle du premier tour des élections législatives, qui doit se tenir le 20. Le scrutin prend place à un moment où l’image du pouvoir politique a été ternie d’abord par la crise boulangiste, terminée fin 1889, puis par le scandale de Panama, qui a abouti à des condamnations en mars 1893.
C’est dans ce contexte qu’Émile Zola, qui vient tout juste de publier Le Docteur Pascal, ultime volume des Rougon-Macquart, prend la plume pour faire part du dégoût que suscite chez lui les campagnes électorales. Phénomène relativement récent dans la vie politique française, celles-ci sont alors amplifiées par le tirage très important des journaux de l’époque.
Zola va ainsi pointer du doigt le rapport d’interdépendance qui existe entre la presse et la classe politique. Une classe politique qu’il a pu observer de près, lui qui fut entre 1871 et 1876 chroniqueur parlementaire pour le compte de divers quotidiens de Paris et de Marseille.
Article ironique et rageur, « Ce qu’il faut penser du suffrage universel » paraît dans Les Annales politiques et littéraires le jour même de l’élection :
« Nous voici en pleine période électorale, et la grande comédie moderne recommence une fois encore. Molière, aujourd'hui, étudierait là les appétits et la sottise des hommes. C'est une rage universelle, c'est un étalage de toutes les médiocrités, c'est la bête humaine lâchée avec ses vanités et ses misères.
Au vingtième siècle, le résultat pourra être superbe ; mais, à cette heure, la cuisine en est des moins ragoûtantes. »
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Il poursuit en s’attaquant à la fois aux candidats et aux journaux qui font leur promotion :
« J'ai ri, dans mon coin, du soulèvement des hommes politiques et de la presse, quand on leur a signifié qu'ils auraient seulement trois pauvres petites semaines d'agitation électorale [...].
Pensez donc ! rien que trois semaines à écrire des professions de foi imbéciles et incorrectes, à endoctriner de pauvres diables qui se vendent pour un verre de vin, à emplir la presse d'un tas effroyable de prose dont on ne pourra même pas faire du fumier, à tenir le pays dans un malaise intolérable, d'où la nation sort, les yeux battus et la tête vide, comme après une nuit d'ivresse.
Mais c'est une mesure inique, cela ne se peut supporter ! Il fallait trois mois de cette gourmandise, il fallait toute la vie ! Ah ! toute la vie, ce serait le rêve ! des élections continues, des députés nommés pour un jour, siégeant le matin et se représentant le soir devant les électeurs ! plus rien que de la politique, au déjeuner et au dîner, au lit comme à la table ! une nation, qui mangerait des journaux au lieu de pain, qui en serait réduite à faire la chaîne pour déposer des bulletins dans les urnes, sans avoir même le temps de se moucher ! [...]
Du moment que la politique est devenue une carrière, le refuge naturel des ambitions souffrantes, des petits hommes qui ont échoué partout ailleurs, il est naturel que ces hommes nous accablent de politique. C'est le combat pour la vie [...].
Moi, qui ne suis pas de la boutique, je trouve que ces trois semaines sont d'un joli poids, pour les garçons de quelque littérature, sensibles à la bonne tenue intellectuelle de leurs contemporains. Le mieux est de ne plus lire un journal, car les journaux ravis de l'aubaine, dans ce mois d'août si vide d'habitude, si difficile à passer, abusent certainement de la matière électorale. Ils se rattrapent de la brièveté du temps sur la quantité de prose indigeste.
Trois jours, il me semble, auraient suffi : le premier pour avertir le pays, le second pour qu'il réfléchisse, et le troisième pour qu'il vote. S'il ne sait pas en un jour ce qu'il doit faire, il ne le saura jamais. J'ai comme une idée qu'un jour suffirait aux électeurs pour bien voter, mais que trois semaines ne suffisent pas aux hommes politiques pour faire voter les électeurs à leur guise. La question pratique du suffrage universel est là. »
Zola formule ensuite une critique du suffrage universel (à l’époque réservé aux hommes).
« Certes, le principe du suffrage universel parait inattaquable. C'est le seul outil de gouvernement d'une logique absolue. Imaginez une nation dont tous les citoyens sont également sages et instruits. Il se réunissent tous les trois ou quatre ans, délèguent le pouvoir à ceux d'entre eux qu'ils savent les plus capables de l'exercer. Rien de plus net en théorie, rien de plus humainement juste.
Mais le fâcheux est que la théorie se détraque, dès que l'on passe à l'application [...]. En un mot, du moment que les hommes interviennent avec leurs folies et leurs infirmités, la logique mathématique du suffrage universel est détruite, il ne reste qu'un gâchis abominable [...].
Voilà ce qu'il faut nettement établir : le suffrage universel n'a rien encore de scientifique, il est tout empirique. Avec la masse considérable de nos électeurs illettrés, avec les honteux trafics sur la coquinerie des uns et la bêtise des autres, on ne peut savoir ce qui sortira du scrutin [...].
Les candidats qui méritent d'être élus en sont réduits à descendre aux mêmes manœuvres louches que les candidats qui n'ont aucune bonne raison pour l'être. En un mot, le principe superbe de la souveraineté du peuple disparaît, il ne reste que la cuisine malpropre d'un tas de gaillards qui se servent du suffrage universel pour se partager le pays, comme on se sert d'un couteau pour découper un poulet. »
Avant de conclure :
« Ah ! je la hais, cette politique ! je la hais pour le tapage vide dont elle nous assourdit, et pour les petits hommes qu'elle nous impose !
Vous allez voir, quoiqu'il arrive, quelle pauvre Chambre elle nous enverra. C'est comme une écume d'ignorance et de vanité que le suffrage universel pousse dans Paris. Pantins d'un jour, illustres inconnus retombant dans le néant, plats ambitieux venant faire le jeu du plus fort et se contentant d'un os à ronger, cerveaux malades rêvant de venger leurs continuels échecs, tous les appétits déréglés et toutes les sottises lâchées ! Lorsqu'un homme simplement raisonnable passe et qu’il jette un regard sur ce grouillement qui fermente, il s'arrête, stupéfait et navré.
Quoi ? est-ce possible, est-ce donc la France qui est là ? Non, la France est ailleurs, elle n'est pas avec la vermine qui la dévore, elle est avec ceux de ses enfants qui pensent et qui travaillent.
EMILE ZOLA. »
Les élections de 1893 seront marquées à la fois par une montée de l’abstention, par la victoire des républicains modérés et par le recul de la droite. De nombreux nouveaux élus font leur apparition, conséquence de la crise du boulangisme et du scandale de Panama.
L’article de Zola, quant à lui, suscitera quelques réactions dans la presse. Ainsi Michel Delines s’insurgera-t-il le 28 août dans Paris contre sa critique du suffrage universel :
« Qu’on s’afflige de voir combien le niveau de l'intelligence est bas parmi les peuples européens ; qu’on souffre et qu’on s’attriste en voyant le progrès évoluer avec une allure de tortue ; qu’on déplore les luttes violentes et parfaitement inutiles des candidats du moment, nous en sommes tous là.
Mais qu’on prétende ne voir dans la vie politique d’un peuple que menées de coquins, qu’affaires de boutique, que le triomphe des médiocrités, c’est vraiment manquer de profondeur dans l’observation et de sens philosophique [...]. N’est-il pas enfantin de croire que toute une nation se laisse supplanter, mener par le bout du nez, hypnotiser par quelques centaines d’hommes qui vivent de politique ? [...]
Les politiciens seraient vraiment en droit de retourner contre M. Zola ses injures et de dire à leur tour : "Ah ! nous haïssons la littérature pour le tapage vide dont elle nous assourdit et pour les petits hommes qu’elle nous impose..." »
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Pour en savoir plus :
Alain Pagès et Owen Morgan, Guide Émile Zola, Editions Ellipses, 2002
Henri Troyat, Zola, Flammarion, 2002
Raymond Huard, Le suffrage universel en France (1848-1946), Aubier, 1991