« Une espionne redoutable » : le châtiment de Mata-Hari en direct
À l’automne 1917, la célèbre « danseuse exotique » Mata-Hari, reconnue coupable d’entente avec l’ennemi, est condamnée à mort par le Conseil de guerre français. La Petite Gironde commente ses derniers instants, non sans une pointe de sadisme.
Le 15 octobre 1917, tandis que la Première Guerre mondiale s’enlise inexorablement et que la « haine du Boche » est à son apogée dans les colonnes des journaux français, une espionne de l’armée française est fusillée. Elle est Néerlandaise. Elle s’appelle Margaretha Zelle, elle est danseuse. Dans l’Europe de la Belle Époque, on la connaît bien mieux sous un autre nom : Mata-Hari.
À l’issue d’un procès sommaire, on accuse l’espionne d’être « passée à l’ennemi », en vertu de preuves minimes. Le Conseil de guerre la condamne à mort.
Dans son édition du 17 octobre, La Petite Gironde narre les dernières minutes de la condamnée : les bonnes sœurs de la prison des femmes de Saint-Lazare, son avocat, le transport vers le supplice, le pasteur, les fusils.
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Paris, 16 octobre. — Mata Hari, qui vient de tomber sous les balles du peloton d’exécution, n’était pas une simple espionne, mais, si l’on peut ainsi dire, un centre d'espionnage.
Elle centralisait les renseignements que lui apportaient un grand nombre d'agents, dont la plupart ont été, eux aussi, démasqués, et les transmettait à Berlin par des voies mystérieuses. Quand l'on pourra raconter l’histoire de l’espionnage allemand en France pendant la guerre, la figure de la danseuse hindoue apparaîtra comme une des plus odieuses, et son châtiment comme l’un des plus justes.
Les charges que son procès ont fait connaître étaient écrasantes. Malgré la clémence dont la France témoigne lorsqu’il s’agit d’une femme, il était impossible de ne point fusiller Mata Hari. Elle avait d'ailleurs été obligée de reconnaître, devant l’évidence des faits, ses machinations criminelles. Depuis le début de la guerre, elle était à la solde de l'Allemagne. Pendant près de deux ans, la police française fut attachée à ses pas, mais l’habileté extrême qu’elle déployait avait toujours empêché d’acquérir les preuves suffisantes pour motiver son arrestation et sa condamnation.
LE CHÂTIMENT
Aux renseignements que nous avons déjà publiés sur les derniers moments de l’espionne, ajoutons ceux-ci :
À 5h10, la porte de la cellule de Mata Hari, à la prison de Saint-Lazare, s’ouvrait pour livrer passage au capitaine Bouchardon, commissaire rapporteur près le troisième conseil de guerre ; au capitaine greffier, au directeur de la prison, à son défenseur Me Clunet, et au pasteur Arboux, venu pour l'assister, comme appartenant à la religion réformée. Deux sœurs de Saint-Lazare étaient présentes. L'une d'elles réveilla la condamnée. Marguerite Zelle eut un soubresaut, mais aussitôt elle reprit son calme habituel. On la laissa seule avec les religieuses. Sa toilette fut rapidement terminée. Elle portait le costume qu’elle avait quand on la jugea : robe de soie rayée gris perle, garnie de fourrures au col et aux manches, grand chapeau bleu. Elle s'enveloppa d'un long manteau :
« Je suis prête », dit-elle.
Me Clunet et le pasteur Arboux se placèrent à ses côtés et s'entretinrent avec elle pendant le trajet jusqu’au greffe. Elle écrivit deux longues lettres qu’elle remit à son avocat, en le remerciant de vouloir bien le faire parvenir à leurs adresses.
Le moment était venu de partir ; elle fit ses vœux à tous. Une automobile militaire, où elle était montée avec les deux religieuses et le capitaine Bouchardon, sous la garde de gendarmes, roulait vers Vincennes.
On se rendit directement au donjon, où s'accomplirent rapidement les formalités d'écrou. Bientôt l’auto ressortait du fort du côté du polygone, encadrée, cette fois, par un peloton de dragons.
« Tandis qu’on lui liait la main droite, de la gauche elle fit un geste amical à l’adresse de la religieuse et de Me Clunet. Maintenant, elle était face aux douze canons de fusil braqués sur sa poitrine. »
Près de la butte de tir, le carré des troupes était formé. Au centre, le peloton d’exécution, des zouaves, attendait l’arme au pied. A l'entrée du quadrilatère, l'automobile stoppa. La condamnée descendit, elle tendit la main à l’une des religieuses pour l’aider. Me Clunet s’avança aussitôt, ainsi que le capitaine Bouchardon, le docteur Socquet, médecin légiste, et le greffier du conseil de guerre.
Un certain nombre d’officiers de la place de Vincennes, commandés de service, restèrent un peu en arrière. Encadrée par son avocat et la religieuse, l'espionne passa devant les troupes. Arrivée devant le poteau, elle refusa de se laisser bander les yeux. Elle dit adieu aux deux personnes qui l'avaient assistée jusqu’au dernier moment, une sœur et son avocat, et tendit les poignets à un gendarme pour qu’on l'attachât. Tandis qu’on lui liait la main droite, de la gauche elle fit un geste amical à l’adresse de la religieuse et de Me Clunet. Maintenant, elle était face aux douze canons de fusil braqués sur sa poitrine.
Silencieusement, le chef du peloton d’exécution abaissa son sabre : une salve crépita dans l’air, suivie, à une seconde d'intervalle, d’un coup de feu isolé tiré par un retardataire.
Un adjudant de dragons s’approcha alors et tira le coup de grâce... L’espionne avait expié.
Tombée sur les genoux, le corps écroulé, Mata Hari, qui avait envoyé tant des nôtres à la mort, gisait la face tournée vers le ciel. Après le défilé réglementaire des troupes, le corps fut mis en bière et conduit au cimetière de Vincennes ; il repose à présent dans le coin de terre réservé aux suppliciés. Mata Hari avait quarante ans.
UN INFÂME RAPPROCHEMENT
Il faut croire qu’à Berlin on s'attendait à l'exécution de Mata Hari, car voici la note que l’agence Wolff a communiquée aux journaux allemands, il y a dix jours :
« Berlin, 6 octobre. — Mata Hari, la danseuse hollandaise, a été fusillée à Paris, suivant la loi martiale, sous l’inculpation d'espionnage. Elle a été tuée bien que la procédure judiciaire n’ait pas pu prouver sa culpabilité (sic) et bien que même des journaux parisiens aient parlé en sa faveur. Elle a été tuée par le même gouvernement qui a fait jadis une martyre de miss Cave, l'espionne anglaise, qui a avoué son crime, le même gouvernement qui a reproché l’exécution de celle-ci à la nation allemande comme un acte de barbarie inouïe. »
Nous ne ferons pas à l’agence boche l'honneur de discuter la comparaison qu’elle essaie d’établir entre la noble et sainte femme que von Bissing a fait assassiner à Bruxelles, et l’espionne salariée, qui a payé hier sa dette. L'histoire se chargera de dresser à la première un piédestal, et de jeter sur la tombe de l’autre le silence de l’oubli miséricordieux…
LES FEMMES EXÉCUTÉES
La danseuse Mata Hari a payé sa trahison à la cause des alliés. Depuis la guerre, plusieurs femmes ont affronté le peloton d’exécution, soit au donjon de Vincennes, soit à Lyon, soit à Marseille, à Grenoble, à Belfort. Toutes appartenaient à des pays étrangers ou à des pays neutres. Depuis une trentaine d’années on graciait les femmes que les tribunaux avaient condamnées à la peine de mort, et depuis 1887 il n’y avait pas eu d’exécution. La fille Mathieu, de Romorantin, était la dernière femme qui eût été guillotinée. Elle avait tué sa mère sous l’influence d’esprits supérieurs qui lui étaient apparus plusieurs fois, disait-elle, pour l’inciter à son forfait.
Elle fut prise d’une terreur folle au moment du supplice. Les gendarmes durent la ligoter, et elle trouva le moyen de mordre Deibler qui la couchait sur la bascule.
M. Louis Schneider rappelle au Gaulois une liste des femmes exécutées au cours du dernier siècle :
En 1806, la fille Bonhours, dite Manette, fut guillotinée. Elle avait coutume de s'habiller en homme pour accomplir ses crimes. Elle se défendit elle-même en cet accoutrement en cour d’assises. Alexis Bouvier s'est inspiré de ses horribles aventures pour en faire un roman, puis une pièce qui fut jouée au théâtre des arts Menus-Plaisirs, sous le titre d’« Auguste-Manette ».
En 1815, la femme Perchette avait, avec un nommé Pomera, empoisonné la veuve Pomera, fruitière au faubourg Saint-Antoine. En 1817, ce fut la femme Wuillaume qui monta à l'échafaud : elle avait assassiné deux personnes et avait compliqué le tout de vol avec effraction.
Sous Louis-Philippe, plusieurs femmes furent exécutées ; Marie-Rose Fortin, qui , en 1822 avait, à Rouen, assassiné son mari ; la femme Bournazel, qui, en 1834, à Saint-Flour, avait fait subir le même sort à son gendre ; la femme Juneau, parricide, à Troyes, en 1835.
Napoléon III, très enclin à la pitié, était impitoyable quand il s’agissait du droit de grâce criminel. Il y eut sous son règne plusieurs exécutions de femmes. En 1850, la femme Henry, à Troyes, pour parricide ; Véronique Frantz, à Bar, pour empoisonnement de quatre personnes ; Marie Gagey, pour le même forfait, et Jeanne Gauthier, à Chaumont, pour assassinat de son mari.
En 1858, cinq femmes furent guillotinées. L’une d’elles, Marie-Madeleine Pichon, blanchisseuse, avait martyrisé, puis tué sa fille, âgée de onze ans. Les détenues de Saint-Lazare voulurent exterminer la femme Pichon, tant elle leur faisait horreur. La condamnée les bravait dans sa prison. Elle fut moins courageuse quand il s’agit de payer sa dette à la société. Elle implora au moment fatal la pitié divine, puis elle s'évanouit. On ne guillotina qu'un être exsangue. La même attitude de lâcheté fut, en 1860, celle de la femme Hainesser, exécutée à Strasbourg. Celle-là avait fait cuire un de ses enfants. Dans le Lot, en 1876, la femme Rouyon, qui avait tué ses enfants en leur faisant avaler des épingles, fut exécutée.
Parmi celles qui ultérieurement furent condamnées au châtiment suprême, mais ne le subirent pas ; Mme Lafarge, Mme Massot, l’empoisonneuse de Marseille ; Gabrielle Bompard, Gabrielle Fenayroux ; la veuve Berland, qui dirigeait une bande de jeunes assassins ; Mme Collier, de Lectoure, qui, pour hériter de plusieurs personnes de sa famille, n'avait trouvé rien de mieux que de s’en débarrasser par l'arsenic.