L’affaire Turpin (1888-1894)
À la fin de années 1880, une découverte scientifique à usage militaire va devenir une affaire d’État et une affaire d’espionnage, sur fond de rivalité internationale. Cet évènement, qui met en scène un espion français à la solde de l’Allemagne, est symptomatique d’une époque et permet de mieux comprendre l’état d’esprit de l’opinion au moment de l’affaire Dreyfus.
Une découverte scientifique à usage militaire
En 1881, Eugène Turpin, scientifique atypique, réussit à rendre maniable l’acide picrique et crée ainsi le premier explosif panclastique (explosif brisant toute substance). En 1884, il obtient la constitution d’une commission pour examiner sa panclastite. Brevetée en 1885, sa découverte est adoptée par le gouvernement français en 1887, sous le nom de mélinite, et remplace la poudre noire dans les obus.
La mélinite se diffuse très rapidement dans le monde sous d’autres appellations : lyddite au Royaume-Uni, écrasite au Japon. Le chargement des obus à la mélinite permet d’augmenter les effets de l’explosion par rapport à la poudre noire tout en étant plus sûr à l’emp
L’affaire judiciaire
Le ministère de la Guerre conclut un accord avec Turpin qui obtient 250 000 francs mais qui lui interdit de vendre son invention à une autre puissance avant dix mois. Une fois cette période écoulée, il engage des négociations avec la firme anglaise Armstrong. En 1888, des expériences sont réalisées à Portsmouth, l’un des trois plus importants ports militaires anglais situé au sud de l’Angleterre.
En colère contre l’État, il publie, en 1889, Comment on a vendu la mélinite ?, opuscule qui déclenche toute la procédure qui le condamnera à cinq ans d’emprisonnement pour divulgation de secrets nationaux. Dans ce texte, il dénonce les agissements de Triponé, militaire français se livrant à d’ « honteux trafics » avec l’étranger, avec le soutien du gouvernement. Arrêté, Triponé dénonce à son tour Turpin qui se retrouve ainsi accusé de trahison. Une partie de la presse, comme Le Progrès illustré, dénonce ses agissements ainsi que ceux de Triponé et les désigne comme des traîtres. Mais de nombreux titres, comme Le Figaro du 22 octobre 1893 ou Le Petit Journal Illustré du 21 janvier 1893 soutiennent l’innocent Turpin injustement accusé.
Il est condamné et incarcéré à la prison d’Étampes. Une fois sa peine purgée, il obtient gain de cause avec 100 000 francs de dommages et intérêts. Il est finalement gracié le 10 avril 1893. Le 29 avril 1893, Le supplément illustré du Petit Journal consacre sa une à Eugène Turpin qui a regagné la liberté après vingt-trois mois d’ « une cruelle et inexplicable détention ». En 1894, l’affaire reprend lorsqu’Eugène Turpin décide de fuir la France et de vendre ses inventions à l’Allemagne.
Les suites romanesques
En 1896, Jules Verne publie Face au drapeau, un roman d’anticipation dans lequel Thomas Roch, scientifique français, invente une machine de guerre destructrice, le Fulgurateur Roch, qu’il n’arrive pas à vendre. Afin que cette invention ne tombe pas entre les mains d’une puissance étrangère, les États-Unis décident de le faire interner. Il sera enlevé par le comte d’Artigas.
Se reconnaissant dans ce portrait de savant fou, Turpin traine en justice Jules Verne pour diffamation. Défendu par Raymond Poincaré, Jules Verne est relaxé en mars 1897. La correspondance de Jules Verne avec son frère prouve qu’il s’est effectivement inspiré de Turpin.
Eugène Turpin (1848-1927)
Chimiste, Eugène Turpin est l’inventeur d’un puissant explosif, la mélinite. En 1877, il met au point des couleurs permettant d’habiller les jouets en caoutchouc, ce qui lui vaut d’obtenir un prix. Grâce à sa découverte, le monde des jouets est révolutionné car les enfants peuvent mettre à la bouche les jouets sans danger. Il suscite la défiance des ingénieurs du ministère de la Guerre car il n’a pas appartenu à l’École polytechnique. La découverte de la mélinite va bouleverser sa vie, faisant de lui l’acteur malheureux d’une histoire d’espionnage durant les années 1890. Il meurt en 1927 à Pontoise.