Crâne rasé et longue barbe noire, ainsi apparaît Landru lors de la première journée de son procès en 1921. Colette, chroniqueuse judiciaire pour le journal Le Matin décrit sans détour une personnalité criminelle qui défraye la chronique.
Surnommé le « Barbe Bleue de Gambais », Henri Désiré Landru est accusé du meurtre de onze personnes : dix sont des femmes. Au terme d’une instruction qui aura duré près de 18 mois, le procès s’ouvre le 7 novembre 1921 devant la cour d'assises de Seine-et-Oise, à Versailles.
Ce procès-fleuve, qui se déroule sur presque un mois, passionne. La presse retranscrit bien l’aspect spectaculaire des débats, dû en grande partie à la personnalité de Landru, qui fascine par son éloquence, sa stature et son charme.
Au début des années 1910, Colette réalise plusieurs chroniques judiciaires pour le quotidien Le Matin : affaire Guillotin, procès de la Bande à Bonnot… Son article du 8 novembre 1921, qui précède un compte rendu de la première journée d’audience, rend compte de l’aspect captivant de la personne de Landru.
Le 30 novembre 1921, au terme de longues heures de délibération, Landru est déclaré coupable des onze meurtres et est condamné à mort. Il est guillotiné le 25 février 1922.
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VOICI LANDRU !
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Ni génial, ni difforme, un œil qui n’est point humain, le regard d’un fauve encagé, attentif et lointain, maniaque, lucide, impénétrable, tel apparaît à cette première audience l’homme aux 283 fiancées.
C'est son entrée, et non celle des robes rouges et noires, qui met un peu de gravité dans cette salle petite, dépourvue de majesté, où l'on parle haut et.où on s'ennuie parce que la Cour se fait attendre. C'est lui qui attire et retient tous les regards, lui, cent fois photographié, caricaturé, reconnu de tous et différent pourtant de ce qu'on connaît de lui. Voilà bien la barbe, lui calvitie popularisée ; le sourcil crêpé, comme postiche. Mais cet homme maigre porte sur son visage quelque chose d'indéfinissable qui nous rend tous circonspects un peu plus, j'écrivais déférents. Une femme, tête nue, derrière moi, chuchote :
– Il a vraiment l'air d'un monsieur. Quel éloge !... Un journaliste affirme que Landru a « une barbe de préparateur en pharmacie ». Un dessinateur dit :
– Il est bien convenable, on jurerait un chef de rayon à la soie.
La foule n'émettra jamais d'opinion unanime sur Landru. L'homme aux cinquante noms, l'homme aux deux cent quatre-vingt-trois aventures féminines, même, sans bouger, et avant qu'il ait parlé, est déjà Protée.
Séduisant, ce séducteur ? Correct, certainement.
Faunesque, verlainien ccvmme on l'a décrit ? Non. Ni génial, ni difforme. Au-dessus des vertèbres maigres du cou, le crâne est beau, et peut couver l'intelligence, qui sait, l'amour. Pour ce qui est de la face, sa ressemblance évidente avec l'ancien député Ceccaldi, le Ceccaldi de Caillaux, frappe, et gène un moment, puis on l'oublie. On l'oublie quand on a vu l'œil de Landru.
Je cherche en vain, dans cet œil profondément enchâssé, une cruauté humaine, car il n'est point humain. C'est l'œil de l'oiseau, son brillant particulier, sa longue fixité, quand Landru regarde droit devant lui. Mais s'il abaisse à demi ses paupières, le regard prend cette langueur, ce dédain insondables qu'on voit au fauve encagé.
Je cherche encore, sous les traits de cette tête régulière, le monstre, et ne l'y trouve pas.
Si ce visage effraie, c'est qu'il a l'air, osseux mais normal, d'imiter parfaitement l'humanité, comme ces mannequins immobiles qui présentent les vêtements d'homme, aux vitrines.
A-t-il tué ? N'a-t-il pas tué ? Nous ne sommes pas près de le savoir. Il écoute, il paraît écouter l'interminable acte d'accusation, débité sur un ton de messe triste, qui fond le courage de tous les auditeurs.
J'observe sa respiration elle est lente, égale. Il extrait, de son pardessus noisette, des papiers qu'il lit et annote, et dont les feuillets ne tremblent pas dans sa main.
« … Sinistre fiancé… Spoliée et assassinée… Le meurtrier de Mme Guillin... »
Landru prend des note, attentif et lointain tout ensemble, ou promène sur la salle, sans bravade, le regard qui fit amoureuses tant de victimes. Il laisse voir que le bruit l’incommode. Il se mouche posément, plie son mouchoir en carré, rabat le petit volet de sa poche extérieure. Qu’il est soigneux !
A-t-il tué ? S’il a tué, je jurerais que c’est avec ce soin paperassier, un peu manique, admirablement lucide, qu’il apporte au classement de ses notes, à la rédaction de ses dossiers. A-t-il tué ? Alors c’est en sifflotant un petit air et ceint d’un tablier par crainte de tâches.
Un fou sadique Landru ? Que non. Il est bien plus impénétravail, du moins pour nous.
Nous imaginons à peu près ce que c’est que la fureur lubrique ou non, mais nous demeurons stupides devant le meurtrier tranquille et deux, qui tient un carnet de victimes et qui peut-être se reposa, dans sa besoigne, accoudé à la fenêtre et donnant du pain aux oiseaux.
Je crois que nous ne comprendrons jamais rien à Landru, même s’il n’a pas tué.
Sa sérénité appartient peu au genre humain. Pendant l’essai d’armes, la passe rapide et menaçant entre Me de Moro-Giafferri, chat-tigré dont la griffe brille, blesse puise se cache, et l’avocat général Godefroy, tout enveloppé de ruse ursine, Landru semblait rêver au-dessus d’eux, retiré de nous, retourné peut-être à un monde très ancien, à une époque où le sang n’était ni plus sacré ni plus horrible que le vin ou le lait, un temps où le sacrificateur, assis sur la pierre ruisselante et tiède, s’oubliait à respirer une fleur...
Coupable, Landru ressemblerait-il à ces asiatiques et suaves bourreaux ? J’oubliais la « question d’argent ». Et Me de Moro-Giafferri n’est pa de mon avis. La lucidité, la mémoire classificatrice et procédurière de son client l’enchantent :
– Qu’on l’acquitte, s’écriait-il hier dans le vestibule, et je le prends comme secrétaire !
Colette