Le congrès à l'origine de l'allocation chômage
En 1910, la presse se penche sur un mal qui ne cesse de croître dans les pays industriels : le chômage. À Paris, le 20 septembre, des spécialistes proposent la création d'une assurance chômage.
Le 18 septembre 1910, se réunit pour la première fois à Paris, entre les murs de la Sorbonne, un congrès international auquel participent les délégués de 27 nations. Les administrations des grandes métropoles européennes, des fonds de chômage, des sociétés savantes, des universités sont représentées, aux côtés de nombreux statisticiens, parlementaires, syndicalistes, économistes.
Il s'agit de discuter d'un fléau qui, depuis les années 1890, a pris de l'ampleur dans les sociétés industrielles : le chômage. La presse couvre attentivement l'événement. Les articles qui sont consacrés au congrès indiquent qu'elle commence à prendre conscience de l'étendue du problème et de la nécessité d'y remédier.
Le Journal du 19 septembre diagnostique :
« Nous n'avons pas, comme à Londres, une armée de « sans-travail ». La question du chômage n'occupe qu'une place très restreinte dans les préoccupations des partis politiques. Mais il est lamentable que nous puissions compter dans notre pays plusieurs centaines de mille de chômeurs. Dans cette lutte contre ce fléau, notre armement est insuffisant.
Ni le placement public ni l'assurance n'ont pris encore l'extension dont ils sont susceptibles et en matière d'assistance nous pourrions faire d'utiles emprunts à l'étranger. »
La Lanterne du 21 septembre, sous la plume du député de gauche René Besnard, ajoute :
« Pour l'homme valide, à qui le travail manque, la loi et l'initiative privée n'ont rien ou à peu près rien fait ; si méritoires dans tous les cas que puissent être les tentatives de certaines associations et, de quelques municipalités, elles ont été insuffisantes. En permanence, des centaines de mille de chômeurs, dont le cœur est robuste, dont les muscles sont forts, sont pris par la misère que leur apporte une inaction dont ils ne voudraient pas.
Quel spectacle peut être plus lamentable que celui d'hommes en pleine puissance de travail, qui n'ont droit à rien, parce qu'ils ont leurs bras, et qui meurent de faim parce qu'ils ne peuvent pas s'en servir ? »
Dans La Libre Parole du 25 octobre, le conseiller municipal de Paris Louis Duval-Arnould écrit :
« En attendant, et pour longtemps, il y aura des chômeurs. […] Tantôt, c’est le métier qui meurt : c’est une des tares du Progrès, et qui suffirait à m’empêcher d’en faire ma Divinité ; il broie des métiers, et, avec des métiers, les hommes, sous son passage triomphal.
Le jour où la linotype, cette merveilleuse machine à composer, entre dans une imprimerie, elle croise plusieurs « typos » qui en sortent et n’y rentreront plus. Tantôt, c’est la crise industrielle qui ferme pour quelques semaines, ou pour toujours l’usine qui a trop produit ou que ruine la concurrence ; ce sont les Japonais qui, au bout du monde, se mettent à fabriquer des articles de Paris...
Tantôt enfin, c’est le chômage individuel : un coup de tête, un « mot de trop » qui échappe aux meilleurs parfois ; et voilà qu’il faut, avec un certificat trop bref, frapper de porte en porte, et essuyer bien des refus avant d’entrer ailleurs pour un salaire de début...
Le mal est aussi étendu qu’il est cruel. »
Une question revient sans cesse : comment faire diminuer le chômage, ce mal aux racines vastes et complexes ? René Besnard écrit :
« Il ne faut pas espérer lutter contre les machines qui constituent l'outillage indispensable de la production moderne ; c'est peut-être dans la réduction des heures de travail [...] qu'on pourra trouver un remède au chômage. »
Le 20 septembre, le congrès propose la création d'une assurance chômage, visant à compenser la perte de salaire des assurés privés de leur emploi, que l’État prendrait en charge et qui serait valable pour tous (un « Office du travail » existe déjà depuis 1891, contrôlant les caisses syndicales et patronales d'indemnisation ; mais celles-ci sont organisées par métier et tous ne sont pas concernés).
Certains sont sceptiques devant cette innovation. Dans son édition du 4 octobre, Le Temps, journal conservateur, s'inquiète :
« Il faut encore que les intéressés s’aident eux-mêmes et que leur initiative, le sentiment de leur responsabilité, le souci de leurs devoirs soient avivés et non pas affaiblis. S’ils venaient à s’imaginer qu’il est au pouvoir de l’État ou d’un groupement quelconque d’États de distribuer régulièrement du travail, comme on voit ces appareils automatiques distribuer du chocolat ou des bonbons, une cause nouvelle de chômages aurait été superposée aux autres par la diminution de la valeur intrinsèque des travailleurs.
Ce n’est pas en se tournant vers nous ne savons quelle providence, en attendant uniquement d’autrui le salut, en se persuadant que l’effort individuel est vain, ce n’est point ainsi qu’ils relèveront leur condition. »
Le régime d'assurance chômage naîtra finalement quarante ans plus tard, le 31 décembre 1958.