Le soulèvement de la Belgique et la proclamation de son indépendance
Le soir du 25 août 1830, dans une Belgique encore rattachée au royaume des Pays-Bas, un opéra joué à Bruxelles échauffe les esprits. C'est le début de la révolution belge, qui aboutira le 4 octobre à l'indépendance du pays.
La révolution belge est partie d'un air d'opéra. En cette soirée du 25 août 1830, le théâtre de la Monnaie à Bruxelles donne une représentation de La Muette de Portici, un opéra d'Auber qui narre la révolte des Napolitains contre leur oppresseur espagnol.
Le thème du spectacle résonne immédiatement avec la situation des Belges, alors assujettis à un souverain étranger.
En 1815, lors du Congrès de Vienne qui réunit les diverses puissances européennes, le territoire de la Belgique avait été réuni à l'ancien royaume de Hollande pour former le royaume des Pays-Bas, régi par Guillaume Ier. Dans les faits, il s'agissait de créer un État-tampon pour freiner les velléités hégémoniques de la France.
Problème : la population belge n'a pas été consultée. Or celle-ci, catholique, se sent peu d'affinités avec ses voisins hollandais, protestants.
Ce 25 août, les esprits sont donc particulièrement échauffés, d'autant que la toute récente révolution de Juillet, en France, fait planer dans les rues bruxelloises une atmosphère électrique. À l'issue du spectacle, le public reprend en chœur le refrain : « Amour sacré de la patrie, rends-nous l'audace et la fierté. »
La presse française va raconter tout ce qui se passe ensuite. La Quotidienne commence par annoncer laconiquement dès le 28 août :
« Une dépêche télégraphique, communiquée au banc des ministres et à plusieurs députés, annonce que la Belgique est soulevée. On ajoutait que le roi des Pays Bas avait été forcé de prendre la fuite.
Ces nouvelles ont produit dans la chambre une vive sensation. »
Le 29 août, La Gazette de France raconte en détail la soirée du 25 :
« Hier une foule immense encombrait la salle du théâtre, où l’on représentait la Muette, et presque tous les passages ont provoqué les plus bruyants applaudissements.
À la fin du spectacle, un peuple nombreux s'est transporté au bureau du National, dont on a brisé tous les carreaux ; de là, on s’est transporté à la demeure de Libri Baguano [un publiciste partisan des Pays-Bas] ; en un instant les portes et les fenêtres ont été enfoncées : meubles, livres, tout a été jeté dans la rue, brisé et lacéré par le peuple.
Les cris : Imitons les Parisiens, s'étant fait entendre, on n’a permis à personne de rien emporter ; M. Wagencer, commissaire de police, s’est présenté à la tête d’un peloton de soldats ; il a engagé le monde à se retirer, on s’y est refusé, et un morceau de bois lui étant tombé sur la tête, il en a été, parait-il, dangereusement blessé, et on l’a transporté chez lui privé de toute connaissance.
Au même instant les boutiques de quelques armuriers ont été forcées, et l’on s’est emparé de toutes les armes qu’on y a trouvées. »
À l'Hôtel de ville, les patriotes réunis soulèvent le drapeau français, avant de se donner un drapeau tricolore avec les couleurs noir-jaune-rouge du Brabant, la province de Bruxelles. Le soulèvement se poursuit les jours suivants. Des pillages ont lieu, visant les lieux de pouvoir et les commerces.
La révolte se propage à Namur, Verviers, Liège. Dans cette dernière, les ouvriers chantent dans un premier temps La Marseillaise, puis La Brabançonne, composée en toute hâte, qui deviendra l'hymne national.
En France, le journal légitimiste La Gazette de France fait une comparaison entre la révolution belge et celle de Juillet – de nature différente d'après le rédacteur :
« Une différence notable existe entre l’état moral de la Belgique et de la France. En France, les esprits sont emportés vers des idées de liberté indéfinie ; en Belgique, c'est une liberté parfaitement définie qu’on demande [...].
En France le mouvement s'est fait contre les idées, les sentiments, les traditions de l'ancienne monarchie, et en Belgique le mouvement s’opère en faveur des idées, des sentiments et des traditions des anciennes provinces belges.
Chez nous, le vieux drapeau de la nation française a été remplacé ; en Belgique, le vieux drapeau belge a été rétabli. La France a voulu briser ses liens avec le passé, la Belgique a voulu les reprendre. En France, on a voulu faire une révolution ; en Belgique, c’est une restauration qu’on s'efforce de faire. »
Guillaume Ier envoie des troupes pour rétablir l'ordre. Mais la population bruxelloise résiste et les soldats sont contraints de partir dans la nuit du 26 au 27 septembre. Dans les villes et dans les campagnes, elles doivent aussi reculer face aux soulèvements de la population.
Les patriotes belges forment un gouvernement provisoire. Le 4 octobre, celui-ci vote l'indépendance. Le 8 octobre, Le Constitutionnel l'annonce sous la plume de son correspondant bruxellois :
« L'indépendance de la Belgique vient d'être proclamée par le gouvernement provisoire ; cette indépendance était écrite sur tous nos murs criblés par les balles et les boulets de nos oppresseurs ; sur tous les pavés teints du sang belge.
Cette indépendance, fondée sur les cadavres de nos frères, de nos amis était un fait ; elle vient d'être décidée en droit : car il est désormais impossible que les Nassau [la dynastie néerlandaise] règnent sur un pays où ils ont voulu se maintenir par le viol, le pillage, l'incendie et le massacre. »
Le pays se dote d'une constitution : ce sera une monarchie parlementaire, dont la langue officielle sera le français (lors de la domination française, entre 1794 et 1815, la Belgique déjà partiellement francophone avait subi une intense politique de francisation).
L'indépendance est officiellement proclamée le 18 novembre par les 188 membres du Congrès. C'est la naissance de l’État belge.