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Les journaux d’époque, par la richesse et la diversité de leurs rubriques, constituent une ressource généalogique inépuisable à de nombreux égards, souvent insoupçonnés, à tel point qu’ils permettent parfois de lever le voile sur une photographie ancienne.
Quelle frustration, pour un généalogiste, qu’une photographie aux visages inconnus ! Quelle tristesse qu’un visage tombé dans l’oubli ! Quelle déception lorsque les anciens de la famille ont emporté leurs précieux souvenirs dans la tombe ! Toutefois, l’identification de visages du passé, a posteriori et à défaut de mémoire orale, ne relève pas systématiquement de la mission impossible. Le recoupement de plusieurs photographies de mariage d’une même famille permet généralement d’exhumer les noms des mariés et de leurs parents, voire grands-parents. L’analyse fine d’une photographie militaire, croisée aux registres matricules, aboutit souvent à l’identification du soldat inconnu. Une mention manuscrite au verso peut se révéler capitale. Enfin, certaines photographies anciennes, prises dans des circonstances particulières – lors d’une commémoration, devant un commerce – livrent des indices précieux qui peuvent s’avérer déterminants, comme l’illustre cet exemple.
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Une généalogiste m’a aimablement légué, il y a un an, la photographie ci-dessus détenue par une cousine éloignée, Madeleine Duchet (1921-1990), et dont elle avait hérité au décès de son mari Marcel Martin (1914-2000). Trois jeunes filles posent fièrement à l’occasion d’une cérémonie. Elles tiennent chacune un bouquet de fleurs et portent une écharpe tricolore sur laquelle on devine certaines lettres, en particulier sur celle du milieu : « A. G. ? G. | MA ???? | ???? EVRE ». Que signifie cette inscription ? Qui sont ces jeunes filles ? A quelle occasion, où et quand, cette photographie a-t-elle été prise ? Si l’on peut deviner, pour peu qu’on soit familier de ce type d’événement, qu’il s’agit de rosières, c’est-à-dire de jeunes filles récompensées pour leur réputation de vertu, les autres questions restent sans réponse. Voici un mystère qui mérite d’être élucidé.
Par ailleurs, signalons que cette photographie, au format carte postale, comporte le message suivant au verso : « Mehun le 29. Cher oncle tante et cousine, Recevez nos meilleures [sic] vœux de bonne et heureuse année et bonne santé. Lucette »
Cette inscription, aussi brève soit-elle, fournit des renseignements intéressants pour débuter notre enquête :
Forts de ces éléments, somme toute sommaires, tentons notre chance dans la presse ancienne en ligne dans RetroNews, en partant du postulat que nous ignorons qu’il s’agit de rosières.
Une première recherche avancée en renseignant les mots-clés « Lucette Duchet Mehun » et en sélectionnant « chercher dans le paragraphe » ne livre qu’un seul résultat inintéressant. En étendant la recherche de ces termes à la colonne de journal, RetroNews propose 13 résultats également décevants. Une seconde recherche à partir des mots-clés « Lucette fleurs Mehun » au sein de la colonne, suggère 55 résultats, tous inappropriés, mais dont certains attirent notre attention.
Un article du 27 mars 1938 dans La Dépêche du Berry fait ainsi référence à un bal de l’Union des Jeunes Filles de France. Un long article du 23 avril 1935 dans le même journal est intitulé : « A Mehun-sur-Yèvre, la foule acclame la Reine des Dormeux et lui fait cortège ». On y découvre que la reine en question est accompagnée de deux demoiselles d’honneur et qu’elle « est tout de blanc vêtue et porte une écharpe bleue en sautoir ». Hélas, la couleur de l’écharpe ne correspond pas ! Néanmoins, l’article précise également :
« Mehun-sur-Yèvre avait, jusqu’à ces dernières années, « son » lundi. C’était le lundi de Pentecôte qui, depuis bientôt un demi-siècle, voit la probité, l’honnêteté et le travail magnifié sous les traits d’une rosière. »
Il ne s’agit donc pas de la « Reine des Dormeux » mais d’une seconde reine.
Enfin, une autre vignette se détache des résultats puisqu’elle débute ainsi : « Mehun-sur-Yèvre – A. G. M. G et A. C. – Le Conseil d’administration de la Section de Mehun-sur-Yèvre des Anciens Combattants, affiliés au Groupe du Cher de l’A.G.M.G. et A.C. […] » Voici mentionné un acronyme qui n’est pas sans rappeler les initiales inscrites sur l’écharpe des jeunes filles… Une rapide vérification sur la photographie le confirme. En outre, une brève recherche sur la toile précise la signification de ce sigle : « Association générale des mutilés de la guerre ».
Ainsi, pour peu que ces divers indices ne nous aient pas tous échappé, nous disposons à présent de nouveaux mots-clés pour affiner notre recherche : « A.G.M.G », « combattants », « mutilés », « rosière », « reine », « écharpe », « jeunes filles », etc. Excluons d’office « A.G.M.G » car les acronymes ne se prêtent pas bien à ce type de recherches, chaque initiale étant considérée indépendamment par le moteur de recherche. La recherche de tous ces mots : « Lucette Mehun combattants » au sein de « la colonne » suggère 20 résultats dont le deuxième semble particulièrement intéressant. Il s’agit d’un article d’une grande richesse du point de vue généalogique, en date du 25 février 1935 dans La Dépêche du Berry :
S’agit-il de « notre » Lucette, celle à l’origine de la carte postale ? Quelques clics sur le site Geneanet permet de le confirmer : Lucette Madeleine Trouin, née le 6 juin 1917 à Mehun-sur-Yèvre, est la fille de Victor et de Marie Louise Duchet, laquelle est une sœur de Léon Duchet, père de Madeleine. Ainsi, Lucette Trouin s’adresse dans son courrier à son oncle Léon Duchet, sa femme et sa cousine Madeleine Duchet, laquelle l’a gardé jusqu’à sa mort.
Le mystère est à présent percé en grande partie grâce à RetroNews : la photographie a été prise en 1935 à Mehun-sur-Yèvre à l’occasion de l’élection de la rosière Lucette Trouin. Celle-ci l’envoie, accompagnée d’un petit mot, probablement le 29 décembre 1935, à son oncle maternel et à sa cousine germaine Madeleine Duchet.
La presse ancienne a-t-elle toutefois confié tous ses secrets ? Ces nouveaux renseignements – patronyme et année – offrent la possibilité de poursuivre nos investigations sous un autre jour.
Interrogeons le moteur de recherche RetroNews à l’aide de tous ces mots : « Lucette Trouin Mehun ».
7 résultats sont proposés dont 3 nouveaux en lien avec notre enquête. Un article paru dans La Dépêche du Berry du 28 février 1935 dresse le compte-rendu de la séance du conseil municipal de Mehun-sur-Yèvre du 17 février et confirme que Lucette Trouin a été élue rosière pour l’année 1935 par 16 voix sur 18. Un article du 2 juin 1935, publié dans le même journal, détaille les préparatifs de la fête de la Rosière qui se tiendra, comme de coutume, le lundi de la Pentecôte :
« Mehun-sur-Yèvre
Fête du Lundi de la Pentecôte
De toute part, on chuchote que Mehun-sur-Yèvre se prépare à fêter magnifiquement sa rosière. On précise que pour son quartier 20.000 roses seront nécessaires pour la réalisation des arcs de triomphe et des décors divers et qu’en outre, quatre kilomètres de guirlandes s’échelonneront depuis la place du 14-Juillet, en passant par l’entrée principale de la ville, la rue Jeanne-d’Arc et l’avenue de la Gare, faisant ainsi au-dessus des têtes un plafond décoratif de grande envergure.
La Société de gymnastique « La Mehunoise Vigilante » prêtera son concours à cette magnifique fête et six Sociétés de musique en renom : « Les Vignerons d’Asnières-lès-Bourges », « Le Réveil Berruyer », « La Fanfare de Vierzon-Forges », « Le Rallye-Cor de Bourges », « La Fanfare de Mehun » et les trompettes « La Prolétarienne Mehunoise » réhausseront, par leurs accords, l’éclat du cérémonial d’usage que Mehun-sur-Yèvre revêtira une fois de plus et à nouveau en l’honneur de Mlle Lucette Trouin, « Rosière 1935 ».
Une grande fête foraine battra son plein à l’issue du couronnement et des concerts seront organisés par les Sociétés de musique en différents points de la ville.
Le soir, des réjouissances de plein air, parmi les illuminations féériques, retiendront cette année, nous n’en doutons pas, bien des regards.
Nous reviendrons, prochainement sur le lundi de Pentecôte, fête du couronnement de la Rosière à Mehun-sur-Yèvre.
Une aussi belle fête ne pouvant rester sans lendemain, le mardi, de 14 à 20 heures, de nombreuses courses seront organisées dans le quartier de la Rosière, avec lancement d’une Montgolfière, chose inconnue à Mehun. Le Comité. »
Comme promis, le journaliste « revient » sur la cérémonie et relate avec force détails le déroulé de la fête dans La Dépêche du Berry du 11 juin 1935 :
Cet article ne se contente pas de nous faire revivre cette journée de liesse. Il comprend de nombreux renseignements généalogiques et biographiques sur la famille Trouin qui laissent entrevoir les épreuves que cette pauvre Lucette, du haut de ses 17 ans, a dû surmonter depuis son plus jeune âge. Et cerise sur le gâteau, elle apparaît en photo dans l’article ! Cette coupure de presse me permet ainsi de localiser Lucette Trouin sur la photographie en ma possession : elle se situe, sans surprise, au milieu. Enfin, le journaliste n’omet pas de transcrire le discours, pétri des valeurs de l’époque, de Monsieur le Maire, dont voici un extrait :
« [Vos parents] ont la satisfaction du devoir accompli. Suivez, Mademoiselle, le chemin qu’ils vous ont tracé, devenez, par la suite, bonne épouse et bonne mère, ce sera la meilleure récompense que vous pourrez leur donner et c’est mon vœu le plus cher. […] »
Lucette a-t-elle suivi la voie tracée par ses parents ?
A minima au début, comme en témoigne, une fois de plus, la presse ancienne, qui relaie son union quelques mois plus tard avec Fernand Guibouret, journalier à Mehun (La Dépêche du Berry des 11 avril et 2 mai 1936)…
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PS : une fois n’est pas coutume, une approche grossière aurait été, dans ce cas précis, particulièrement heureuse. En effet, la simple recherche des termes « Lucette Mehun » au sein du même paragraphe nous aurait permis de dénicher, dès le premier résultat parmi les 118 proposés, le précieux article du 11 juin 1935 de La Dépêche du Berry !
Par ailleurs, un article du 14 octobre 1935 dans La Dépêche du Berry laisse penser que les deux autres personnes présentes sur la photographie, certainement des demoiselles d’honneur, pourraient être Mlles Derouet et Benezit. L’inscription sur l’écharpe de Lucette peut ainsi être intégralement déchiffrée : « A.G.M.G | A.C. | MADELON | MEHUN SUR YEVRE ».
Enfin, signalons que deux articles, parus dans le même journal, datés des 8 avril 1938 et 5 avril 1940 relatent les accidents de travail de ses frère et sœur Raymonde et Raymond.
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Passionné de généalogie depuis l’âge de douze ans, Tony Neulat est rédacteur dans La Revue française de généalogie et membre de la European Academy of Genealogy. Il partage, depuis 2009, son expérience et ses conseils à travers ses publications et ses formations. Il est également auteur des guides Gallica et RetroNews : deux eldorados généalogiques, Retrouver ses ancêtres à Malte et Trouver des cousins inconnus ou perdus de vue.