Les vacances des Français : une histoire de la découverte du temps libre
Si les premiers congés sont apparus bien avant le fameux été 1936, la pratique des vacances telles qu'on les connaît aujourd'hui a mis du temps à s'installer en France. Des premières cures thermales à l'âge d'or des loisirs, l'historien André Rauch nous plonge dans une histoire riche et mouvementée.
Propos recueillis par Marina Bellot
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RetroNews : Vous faites remonter la pratique des vacances en France à 1830. Pourquoi ce choix ?
André Rauch : Effectivement, la date de 1830 est discutable. D’autres historiens, en particulier Alain Corbin, préfèrent 1850, c’est-à-dire le Second Empire – à deux années près. J’ai choisi 1830 de façon arbitraire, parce que j’ai considéré que c’était à ce moment-là que se construisaient en dur, en pierres, les nouveaux lieux d’accueil, et notamment les lieux de cure. J’ai aussi considéré que c’est à partir de 1830 que les réseaux de chemins de fer et l'aménagement des routes se sont développés. Alors que 1850 est une date politique, je me suis orienté vers un choix qui est celui de l'aménagement et de l’économie.
Quel est alors le modèle de vacances prisé par les aristocrates ?
L’aristocratie, qui sert de modèle à ce qui va devenir la pratique des loisirs et des vacances, est une société qui ne travaille pas, autrement dit pour laquelle le travail est assuré par d'autres corps de la société. Sa caractéristique, c’est qu’elle est ouverte à des nouveautés. Pour la France, ces nouveautés viennent de l'Angleterre. Les Anglais vont notamment aménager Bath pour la cure thermale, et c’est là un modèle qui va être repris en particulier à Dieppe, et peu à peu sur l’ensemble des plages normandes.
Pour se représenter leurs vacances à l’époque, il faut se déconnecter de l’idée de la mer ou de la cure d'aujourd'hui. Les aristocrates anglais puis français ont un modèle qui est celui de l’Antiquité. Ils sont imprégnés de la culture grecque et romaine, et les lieux de cure vont être aménagés sur ce modèle-là. Ce modèle va également dominer pour ce qui deviendra le tourisme qui, à l'époque, s’appelle le « Grand Tour ». Les Anglais vont inaugurer un grand circuit qui part de Londres ou d'ailleurs, et va vers la France, l’Italie et la Grèce pour aller visiter les grands lieux de l’antiquité.
Au XIXe siècle, il y a des cadres supérieurs, des hommes d'affaires, des responsables du commerce, des dirigeants de l'industrie, qui prennent des congés en été, mais ce ne sont pas nécessairement des congés payés. Il faut avoir en tête que, pour les Français, les loisirs relèvent de la sphère personnelle. Les choses vont évoluer au début du XXe siècle, lorsque des cadres moyens vont bénéficier d’une ou de deux semaines de congés, dans certains cas sans perte de salaire. Ce sont des initiatives isolées qui tiennent à une entreprise ou à un patronat déterminé.
En Allemagne, par exemple, la conception est tout à fait différente : le patronat a une emprise très forte sur ses salariés, et par conséquent prend souvent à sa charge leurs loisirs, ce qui explique que les congés payés y apparaissent plus tôt qu’en France. Cette prise en charge est aussi une domination politique. Chez nous, les syndicats s'opposent souvent à ce genre de pratiques.
Comment la loi sur les congés payés en vient-elle à être votée en 1936 ?
Il faut avoir en tête que les congés payés ne font au départ pas partie du programme du Front populaire. Ce programme visait surtout à donner aux ouvriers des avantages salariaux. Après la crise de 1929, les bourses sont vides et la revendication principale est d’augmenter les salaires. Prendre des loisirs n’est pas une priorité. Ce sont les ex-fédérés, le Parti socialiste, qui vont faire avancer cette idée des congés payés.
Une deuxième chose dont il faut tenir compte, c’est que le calendrier est serré. La loi est votée très tard et les congés doivent être pris rapidement. Or à cette époque on ne part pas en vacances du jour au lendemain.
Par ailleurs, prendre des vacances suppose une culture. Il faut savoir comment on part, où on va, pour faire quoi… Ces congés de 1936, contrairement à ce que des photos qui datent parfois de 1948 laissent entendre, n’ont pas rempli les trains longue distance, loin s’en faut.
Dans le monde ouvrier, la préoccupation, quand on a quelques jours de congés, c’est d’aménager le lieu de vie, le logis. Ce sont des gens qui ont généralement tout bricolé eux-mêmes. On va donner le coup de main au collège, au « camarade », qui refait son intérieur.
Dans certaines régions de France, notamment aux alentours de Marseille et en Alsace, il y a des associations, des clubs, des sociétés qui ont une histoire du loisir. En Alsace, ce sont des sociétés de gymnastique. Elles ont une vie conviviale et réunissent régulièrement les familles dans les Vosges, dans un chalet qui leur appartient. Il y a un lieu, une habitude.
Un dernier type de loisirs, c’est le vélo ou le tandem. Dans mes enquêtes j’ai retrouvé des gens qui utilisaient le vélo de la fabrique, celui avec lequel on se rend tous les jours de son lieu de résidence à l’usine. On emporte le pique-nique dans les sacoches et on va faire un tour en vélo.
S’ajoute à cela faire la fête, c’est-à-dire se retrouver dans les guinguettes et danser. Celles des bords de Marne sont restées célèbres. C’est très important dans le milieu populaire - quelqu’un qui ne sait pas danser, on ne peut pas le marier ! C’est ce type de loisirs, simples, qui constitue la première découverte du temps libre.
En 1937, la SNCF propose des billets à tarif réduit pour les familles. Il y a certes des départs, mais pas beaucoup plus que les années précédentes. Après 1937, l'inflation ruine les économies, et puis ensuite vient la guerre. Après la guerre, dans un premier temps, les vacances ne sont pas prioritaires.
Les grands départs se situent autour de 1948/49. A ce moment-là, les colonies de vacances vont jouer un rôle très important pour les vacances des enfants. Et puis les vacances familiales vont peu à peu s’imposer.
Nous autres, Français, sommes des enfants de paysans. Lorsque les ouvriers et les petits employés, notamment, vont plus massivement partir en vacances, ils vont d’abord revenir au village qu’ils ont quitté pour trouver du travail. Souvent, ils se sentent exilés. Alors, pour les vacances, ils reviennent dans la famille et donnent le coup de main pour les moissons, la fenaison… Ils sont heureux d’y être. On mange mieux qu’à la ville, et puis on revoit la famille, on fait la visite au cimetière etc.
Ce contexte ne va pas durer une éternité. Au milieu des années 1950, apparaît quelque chose de tout à fait nouveau : l’automobile à portée de budget. La 4 CV Renault n’a que quatre places, autrement dit, elle accueille les deux parents et les deux enfants… mais pas la belle-mère. On va passer les vacances « ailleurs ». La voiture est véritablement une nouvelle représentation de la liberté par rapport à la grande famille. Une fois qu’on a la voiture, on ne l’utilise pas pour le travail mais pour les loisirs. Avec la voiture, on va au loin et, avant tout, à la mer. La mer apparaît comme l'espace dans lequel on est libre – sur la plage il n'y a pas de pommes de terre à cultiver ni de blé à ramasser... C’est un espace de loisir où il n’y a rien d'autre à faire... que de prendre du loisir. À cette conquête de l’espace géographique, s’ajoute celle de l’hébergement. La tente, le camping sont les types d’hébergement qui vont le plus progresser à la fin des années 1950. Camper, c’est moins cher et c’est l’évasion dans la nature.
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Professeur émérite des universités, André Rauch est spécialiste de l'histoire des loisirs aux XIXe et XXe siècles. Il a notamment publié Les vacances des Français de 1830 à nos jours.
