1850 : la première loi de protection animale
En 1850, le général Grammont, ému par le sort des chevaux de guerre, propose une loi punissant toutes les formes de cruauté envers les animaux. La loi votée sera finalement bien moins ambitieuse.
Bœufs et ânes battus, chiens et chats brutalisés, combats de coqs et courses de taureaux... Dans la France du XIXe siècle, les sévices sur les animaux ne sont pas rares.
En 1850, une loi pénale consacre pour la première fois la protection animale : c'est la loi Grammont, du nom du général Jacques Delmas de Grammont. L'homme, également député, est sensible au sort des chevaux de guerre et, révolté par les scènes tristement banales de maltraitance dans les rues parisiennes, il veut faire punir toutes les formes de cruauté exercées envers les animaux, aussi bien chez les particuliers que sur la voie publique.
La loi finalement votée est bien moins ambitieuse puisqu'elle se contente d'incriminer uniquement les mauvais traitements publics, et protège donc davantage la sensibilité des spectateurs que l'intégrité des animaux. Elle dispose ainsi :
« Seront punis d'une amende de cinq à quinze francs, et pourront l'être d'un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques. »
Au moment de son adoption, la loi Grammont ne suscite pas réellement le débat. Dans les mois qui suivent, la presse se fait toutefois l'écho de quelques plaintes ou condamnations pour mauvais traitements.
Début 1851, dans L'Écho des vallées, par exemple, on peut lire :
« Un chat s’était introduit dans une cuisine et y avait enlevé le dîner d’un domestique. Peu charmé de l’aventure, le volé se mit à la poursuite du voleur qui s’enfuyait sur le trottoir. Enfin, il parvint à l’atteindre et lui allongea dans les reins un grand coup de pied.
Un commissaire de police passait en ce moment ; il saisit le domestique au collet, le mena au poste de la Préfecture et l’y déposa pour lui faire ensuite un procès-verbal pour mauvais traitements envers un animal domestique. »
En 1851 toujours, Le Journal des villes et des campagnes rapporte une affaire de maltraitance qui a eu lieu lors d'un bal de mardi gras près de Lille :
« Ces Messieurs portaient donc des canards vivants pendus à de longues perches [...].
Mais un commissaire de police, appliquant la loi Grammont, fit détacher les canards des perches où ils gisaient, et ordonna de les mettre à mort immédiatement. »
En 1853, trois ans après son adoption, Le Constitutionnel dresse le bilan en demi-teinte de la loi Grammont, distinguant son application à Paris et dans le reste du pays :
« En France, la loi Grammont a donné lieu à deux cents poursuites ; à Paris, on l'exécute avec fermeté, et, pour la constatation des faits, le peuple vient spontanément en aide aux agents de l'autorité publique, comme il se précipite avec un cœur plein de générosité au secours du voiturier dans l'embarras, lorsque son cheval vient de s'abattre ou de se blesser. Voilà la vraie population parisienne, le vieux et pur sang lutécien.
Dans les départements, la loi Grammont est appliquée avec mollesse, ou ne l'est point du tout. Je pourrais citer des cruautés horribles qui demeurent impunies. »
Dans les années qui suivent, les défenseurs des animaux n'hésiteront pas à invoquer la loi Grammont pour dénoncer des scandales tels que les courses de taureaux (qui se terminaient par leur exécution en place publique), comme ce chroniqueur du Journal des villes et des campagnes dans un article militant paru en 1853 :
« Les journaux de Nîmes nous rendaient compte, il y a quelque temps, de courses de taureaux, que l’autorité municipale fut forcée d’interdire par suite de l’effet déplorable qu’elles produisirent sur les spectateurs. Des courses semblables ont eu lieu depuis dans nous ne savons plus quelle autre ville du Midi, et enfin à Bordeaux la semaine dernière. Nous voyons avec un regret profond de pareilles innovations. [...]
Si c’est là une récréation, il faut avouer qu’elle est bien hideuse. Aussi, hâtons-nous de le dire, la population bordelaise a montré beaucoup plus de froideur que d’enthousiasme et les dames se sont abstenues en masse.
C’est une leçon pour les tauréadores, puisse la leçon profiter aux autorités qui tolèrent de pareils spectacles ! Que ces autorités se souviennent, d’ailleurs, de la loi Grammont. Permettre des courses comme celles dont nous venons de parler, c’est méconnaître complètement, sinon la lettre, du moins l’esprit de cette loi éminemment protectrice et morale. »
Il faudra attendre plus d'un siècle pour que le décret Michelet reconnaisse la sensibilité des animaux et supprime la condition de publicité des maltraitances.