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« Le suffrage universel, en donnant un bulletin à ceux qui souffrent, leur ôte le fusil ». Tels sont les mots de Victor Hugo, le 21 mai 1850, pour défendre le droit de vote remis en cause par les conservateurs au pouvoir. Entre 1848 et 1852, la question de l’accès au suffrage joue un rôle fondamental dans l’expérience démocratique que fut la Deuxième République et constitue une entrée de choix pour permettre aux élèves d’en appréhender la complexité.
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Dans les programmes du secondaire
Classe de Quatrième (Thème 3 : « Société, culture et politique dans la France du XIXe siècle ». Chapitre 1 : « Une difficile conquête : voter de 1815 à 1870 ») ;
Première générale (Thème 2 : « La France dans l’Europe des nationalités : politique et société ». Chapitre 1 : « La difficile entrée dans l’âge démocratique : la Deuxième République et le Second Empire ») ;
Première technologique (Thème 2 : « Les transformations politiques et sociales de la France de 1848 à 1870 ». Question obligatoire : « Politique et société en France sous la Deuxième République et le Second Empire »).
Introduction
En février 1848, face au refus de Louis-Philippe, de réformer la monarchie de Juillet et d’élargir le corps électoral, l’opposition se structure et organise une campagne de banquets républicains à travers toute la France. L’interdiction de celui qui devait se tenir à Paris par les autorités publiques provoque la révolution des 22-24 février et aboutit à l’abdication du roi ainsi qu’à la proclamation de la Deuxième République. Au sein de ce régime qui se veut démocratique, la question du suffrage et de l’exercice de la souveraineté nationale constituent un des enjeux centraux autour desquels s’opposent les libéraux et les républicains, favorables au suffrage universel masculin, et les conservateurs, qui cherchent à en limiter la portée.
À la suite de la révolution des 22 et 23 février, et la proclamation de la République le 24, se pose l’épineuse question de l’accès au droit de vote. Le 5 mars, le gouvernement provisoire adopte un décret encadrant les élections de l’Assemblée constituante, non sans provoquer un certain nombre de débats.
Document 1 - Les enjeux du suffrage universel
« France, Paris, 5 mars,
De toutes parts des voix impatientes s’élevaient pour demander la convocation de l’Assemblée nationale. Il vient d’être satisfait à ce vœu par un décret qui fixe au 9 avril les opérations électorales et au 20 du même moi la réunion de l’Assemblée. Cette résolution ne pouvait guère être prise plus tôt ; mais il est sage, du moment où elle était réclamée, de ne pas l’avoir fait attendre. Si grands, en effet, qu’aient été le zèle, le dévouement et l’énergie des membres du gouvernement provisoire, quelque reconnaissance que doivent inspirer ses efforts, suivis de succès, pour rétablir l’ordre dans la cité et pourvoir d’urgence aux nécessités nées d’un si vaste ébranlement, il est certain que le pouvoir extraordinaire dont la victoire du peuple l’a transitoirement investi ne pouvait se prolonger beaucoup sans s’affaiblir entre ses mains. Soit qu’il ait agi spontanément, soit qu’il ait obéi à une impulsion irrésistible, il a pris un grand nombre de mesures dont quelques-unes commencent à être contestées et pourraient perdre de leur force morale si elles ne recevaient bientôt la sanction d’un pouvoir suprême et régulier, organe que la volonté générale, devant lequel, par conséquent, toutes les volontés particulières seront tenues de s’incliner […].
Le gouvernement […] a arrêté :
Que l’Assemblée nationale décréterait la constitution ;
Que l’élection aurait la population pour base ;
Que les représentants du peuple seraient au nombre de neufs cents ;
Que le suffrage serait direct et universel sans aucune condition de cens ;
Que tous les Français âgés de 21 ans seraient électeurs et que tous les Français âgés de 25 ans seraient éligibles ;
Enfin, que le scrutin serait secret.
Évidemment, en posant ces principes, le gouvernement provisoire s’est souvenu du système décrété par la Convention. Mais ce système n’ayant jamais été appliqué, les précédents manquent pour diriger l’administration et les citoyens au milieu des difficultés d’exécution qui se rencontrent. […] Il s’agit de faciliter l’accès du scrutin à tous les citoyens qui auront le droit de déposer leurs suffrage, pour que ce droit ne soit pas illusoire, par conséquent, d’abréger la distance et d’épargner le temps ; il s’agit d’éviter l’encombrement et la confusion de trop grandes masses d’électeurs ; d’empêcher que l’élection faite par une majorité relative trop faible ne soit pas l’expression de la volonté générale ; il s’agit de combattre la prédominance des intérêts de localité qui a été si funeste sous l’emprise des dernières lois ; il s’agit, enfin, de donner un caractère national, populaire et vraiment patriotique aux choix d’où doit sortir l’assemblée auguste chargée de constituer définitivement la France.
C’est là une tâche hérissée de difficulté dans le système du suffrage direct et universel. Si le vote se recueille dans la commune ou dans le canton, et que le dépouillement se fasse au chef-lieu de département pour tous les députés à élire, ce qui paraît la meilleure solution, on ne trouve nulle par la vie et l’agitation d’une grande réunion électorale […]. »
- Extrait du journal Le Siècle, 6 mars 1848
Questions à partir du document 1 :
1) Quelles sont les conditions d’accès au suffrage proclamées dans le décret du 5 mars 1848 ? Comment qualifier ce type de suffrage ?
2) Selon les journalistes, quels enjeux entourent l’élection de l’Assemblée constituante ?
Le décret du 5 mars 1848 exclut les femmes du suffrage malgré leur participation à la révolution de février et leur soutien au nouveau régime. Afin d’exprimer leurs revendications, les féministes fondent des journaux tels que la Voix des femmes créé par Eugénie Niboyet en mars 1848.
Document 2 - Les femmes réclament le droit de vote
« Pétition des femmes
Aux membres du Gouvernement provisoire de la République française.
Les citoyennes soussignées, membres de la société et rédactrices du journal La Voix des femmes,
Après en avoir délibé[ré] mûrement,
Ont considéré :
Que la glorieuse révolution de février 1848 ouvre l’ère de la FRATERNITÉ UNIVERSELLE pour tous les êtres humains sans exception ;
Que le régime d’ÉGALITÉ et de LIBERTÉ qu’elle a mission d’inaugurer ne peut admettre d’ilotisme perpétuel pour aucune catégorie sociale ;
Que la civilisation n’entre dans la première phase de son développement que par la concession de la liberté corporelle et des droits civils à l’épouse ;
Que le degré de liberté accordé à la femme est le thermomètre de la liberté et du bonheur de l’homme ;
Que l’état d’immobilité des PATRIARCAUX, des SAUVAGES et des BARBARES qui soumettent le sexe à toutes les tortures du servage physique et moral, atteste de l’impuissance du sexe fort à réaliser seul le progrès de la civilisation ;
[…] Par ces considérations,
Supplient le Gouvernement provisoire de la République de rendre immédiatement un décret qui consacre, en principe, la reconnaissance, absolue des droits civiques de la femme, et admettre les majeures veuves et non mariées, à jouir de l’exercice du droit électoral, sur la simple présentation d’actes authentiques constatant leur majorité ou leur émancipation légale.
Salut et fraternité,
Le Comité de rédaction de LA VOIX DES FEMMES.»
- Extrait de la Voix des femmes, 28 avril 1848
Question à partir du document 2 :
1) Quelle est la situation des femmes en 1848 ? Que revendiquent-elles ?
Au mois de décembre 1848, conformément à la Constitution adoptée le 4 novembre, a lieu l’élection présidentielle au suffrage universel masculin direct. Les candidats sont nombreux : parmi les principaux figurent Alphonse de Lamartine, Eugène Cavaignac (républicains modérés), Alexandre Ledru-Rollin (radicaux), François Vincent Raspail (socialiste), Nicolas Changarnier (royaliste) et Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de l’ancien empereur, déjà condamné pour deux tentatives de coup d’État en 1836 et 1840. Les 9 et 10 décembre 1848, les électeurs se rendent aux urnes et les résultats sont connus quelques jours plus tard.
Document 3 - Les résultats de l’élection présidentielle (décembre 1848)
« Présidence de la République.
Élections.
Le recensement des votes a dû se faire hier dans tous les départements ; nous en attendrons les résultats définitifs pour faire connaître à nos lecteurs le contingent que chacun d’eux aura fourni à l’élection. Les détails qui nous arrivent de toutes parts, confirment le succès de plus en plus assuré de la candidature de Louis-Napoléon. Mais, comme nous risquerions de faire des erreurs considérables dans le nombre des votes obtenus dans chaque département dont nous avons déjà fait, en partie, connaître les dépouillements, nous avons jugé qu’il était plus convenable de nous borner à publier le résultat définitif, lorsqu’il sera connu […].
Département de la Haute-Garonne
Bulletin officiel des votes du département
Votants : 97 810
Louis-Napoléon Bonaparte : 73 974
Ledru-Rollin : 15 852
Général Cavaignac : 7 223
Lamartine : 122
Raspail : 92
Louis-Napoléon : 42
Plusieurs voix perdues.
Tarn-et-Garonne
Louis-Napoléon Bonaparte, 23 273. – Ledru-Rollin, 3 102. – Cavaignac, 5 861.
[…]
Aveyron
Votes connus jusqu’à ce jour : Louis-Napoléon Bonaparte, 26 767. – Cavaignac, 3 366. – Ledru-Rollin, 661.
[…]
Dordogne
Jamais peut-être il n’y avait eu dans le département un pareil zèle pour les élections. À Périgueux, presque toutes les cartes ont été retirées, et il manquera bien peu de votes dans l’urne. Dans les campagnes, l’entraînement est irrésistible ; les cultivateurs se sont présentés par masses. Plusieurs communes étaient précédées de drapeaux et de tambours, sur lesquels se voyaient des inscriptions en l’honneur de Louis-Napoléon Bonaparte. Dans un grand nombre de localités, les paysans avaient leurs bulletins imprimés attachés à leurs chapeaux, où l’on lisait en toutes lettres le nom du neveu de l’empereur. Nous avons reçu ce matin le dépouillement du scrutin de plusieurs sections ; il peut faire juger de quel côté penchera la balance dans notre pays.
Seine
Voici quelques résultats des différents arrondissements de Paris :
Louis-Napoléon Bonaparte
Cavaignac 1er arrondissement 16 704 4 178 2e id. 12 538
7 708 3e id. 6 501 5 921 4e id. 4 500 3 500 6e id. 10 621 7 509 8e id. 12 755 6 318
9e id. 16 000 2 000 10e id. 10 906 6 861 11e id. 10 026 281 Saint-Denis : Louis-Napoléon Bonaparte, 3 576. – Cavaignac, 1 9934. – Ledru-Rollin, 236.
Montmartre – Résultat général : Louis-Napoléon Bonaparte, 2 643. – Cavaignac, 802. – Raspail, 333. – Ledru-Rollin, 375. – Lamartine, 7. – Bugeaud, 1. – Cabet, 1. – Voix perdues, 20. – 8 pour Henry V.
Banlieue. 28 sections. – Louis-Napoléon Bonaparte, 20 315. – Cavaignac, 12 509. – Ledru-Rollin, 4 586. – Raspail, 2 632. – Lamartine, 508 […]. »
- Extrait de la Gazette du Languedoc, 15 décembre 1848, p. 2
Questions à partir du document 3 :
1) Qui remporte l’élection présidentielle ? En vous aidant des résultats de la Dordogne, expliquez le succès de ce candidat.
2) Comparez les résultats des départements de la Haute-Garonne, de l’Aveyron et de la Seine. Qui a voté pour Louis-Napoléon Bonaparte ?
En 1849, les élections législatives sont remportées par le parti de l’Ordre : les conservateurs dominent dès lors toutes institutions. En mai 1850, ne pouvant abroger le suffrage universel masculin inscrit dans la Constitution, ils préparent une loi le restreignant et contre laquelle le général Cavaignac et Victor Hugo, tous deux députés, s’insurgent lors des débats parlementaires.
Document 4 - Les républicains face à la restriction du suffrage universel
Les discours suivants sont prononcés pendant la discussion générale sur la nouvelle loi à l’Assemblée nationale, le 21 mai 1851.
« M. le Général Cavaignac : Citoyens représentans, je vais exposer en le moins de mots possible quelles sont les considérations très simples, et selon moi, très saisissantes qui m’ont déterminé et me déterminent à repousser la loi qui vous est présentée. […].
La loi électorale actuelle a, selon moi, parfaitement bien compris sa mission ; elle n’a pas fait de la continuité du domicile la capacité électorale, elle s’est bornée à le définir dans les conditions strictement nécessaires pour constater la bonne foi, pour éviter la fraude, pour éviter l’abus, et, en cela même, elle s’est montrée fidèle à son mandat.
Et bien ! Je demande au projet de loi actuel s’il a bien été conçu dans cette même pensée. Je ne le crois pas […]. Il y a dans le pays une classe nombreuse, quand je dis classe, je veux dire une collection nombreuse de citoyens appartenant au contraire, selon moi, à ce qu’on pourrait appeler des classes très différentes ; il y a une masse nombreuse de citoyens que leurs occupations, leur carrière, leur travail n’astreignent pas, et auxquels, jusqu’à un certain point, ils ne permettent pas cette continuité de domicile que vous proposez d’imposer. Et bien ! On blâme l’usage que beaucoup de ces citoyens font de leur droit électoral, on s’inquiète, on y voit, à tort selon moi, une cause d’inquiétude, de danger pour l’avenir du pays. On veut leur imposer une condition de continuité de domicile, qui leur rendra l’exercice de leur droit tellement difficile, qu’il deviendra illusoire. Voilà quelle est la loi. […] La Constitution est trop explicite pour comporter le rétablissement d’un cens pécuniaire, on invente la capacité domiciliaire. (Nouvelles marques d’assentiment à gauche). La Constitution a voulu nous donner le suffrage universel ; eh bien ! Le projet de loi nous donnerait le suffrage restreint […].
M. Victor Hugo : […] Le suffrage universel dit à tous, et je ne connais pas de plus admirable formule de la paix publique : Soyez tranquilles, vous êtes souverains. (Sensation) […]. Il y a un jour dans l'année où le gagne-pain, le journalier, le manœuvre, l'homme qui traîne des fardeaux, l'homme qui casse des pierres au bord des routes, juge le Sénat, prend dans sa main, durcie par le travail, les ministres, les représentants, le Président de la République, et dit : La puissance, c'est moi ! Il y a un jour dans l'année où le plus imperceptible citoyen, où l'atome social participe à la vie immense du pays tout entier, où la plus étroite poitrine se dilate à l'air vaste des affaires publiques ; un jour où le plus faible sent en lui la grandeur de la souveraineté nationale, où le plus humble sent en lui l'âme de la patrie ! (Applaudissements à gauche. Rires et bruit à droite.) […]. Or qu'est-ce que tout cela, messieurs ? C'est la fin de la violence, c'est la fin de la force brutale, c'est la fin de l'émeute, c'est la fin du fait matériel, et c'est le commencement du fait moral. (Mouvement.) C'est, si vous permettez que je rappelle mes propres paroles, le droit d'insurrection aboli par le droit de suffrage. (Sensation.) […]. Cette loi construit, avec une adresse funeste, tout un système de formalités et de délais qui entraînent des déchéances. Elle est pleine de pièges et de trappes où se perdra le droit de trois millions d'hommes ! (Vive sensation.) Messieurs, cette loi viole, ceci résume tout, ce qui est antérieur et supérieur à la Constitution, la souveraineté de la nation. (Oui ! oui !). Contrairement au texte formel de l'article ler de cette Constitution, elle attribue à une fraction du peuple l'exercice de la souveraineté qui n'appartient qu'à l'universalité des citoyens, et elle fait gouverner féodalement trois millions d'exclus par six millions de privilégiés (Nouvel assentiment à gauche). »
- Extrait du Journal des débats politiques et littéraires, 22 mai 1850
Questions à partir du document 4 :
1) Par quel procédé les conservateurs entendent-ils restreindre le suffrage universel masculin ? Quelle vision Victor Hugo a-t-il du suffrage universel ? Pourquoi le général Cavaignac et Victor Hugo s’opposent-ils au projet de loi ?
La loi électorale est finalement adoptée le 31 mai 1850 : le corps électoral passe de près de 9 millions d’électeurs à un peu plus de 6 millions.
La Constitution ne permet pas à Louis-Napoléon Bonaparte de se représenter au terme de son mandat de 4 ans qui arrive à échéance en 1852. Face au refus des députés de modifier la Constitution, le président de la République fomente un coup d’État. Le 2 décembre 1851, date anniversaire du sacre de Napoléon Ier, il s’empare du pouvoir par la force.
Document 5 - Le coup d’État du 2 décembre 1851
« Toulouse, 9 décembre.
Dans notre numéro du 5, saisi par un ordre supérieur, nous disions au public : « Nous ne sommes pas journalistes mais nous sommes gens de cœur et d’honneur, nos amis sont incarcérés ou forcés de fuir ; nous ne les remplacerons pas, nous les suppléerons momentanément, et le drapeau de la démocratie ne sera pas abaissé par nous ». Depuis lors la police a mis la main sur le journal, les scellés sur les presses, et nos bureaux, notre imprimerie, notre logement ont été occupés militairement. Nous avions promis de ne pas châtrer les nouvelles qui nous arriveraient, et nous avons mieux aimé nous résigner au silence : ce n’était pas trop d’ailleurs de quatre jours de deuil et de recueillement.
Aujourd’hui nous reprenons notre œuvre interrompue ; mais que nos lecteurs sachent bien que nous leurs écrivons sous l’œil de l’autorité, et que nous ne sommes, jusqu’à des temps meilleurs, que l’écho des nouvelles officielles, les seules qui puissent désormais arriver.
Les seuls journaux qui nous parviennent sont le Constitutionnel, les Débats et la Patrie ; force nous est d’emprunter à leurs colonnes. Nos correspondances particulières n’arrivent plus jusqu’à nous, et l’autorité ne veut nous laisser paraître qu’à la condition de revoir et de corriger nos épreuves. [Censure] nous allons, sans commentaires, inscrire dans nos colonnes, un à un, tous les actes officiels qui se sont produits, [censure].
E. Lapeyrie, avocat.
[…]
Proclamation du président de la République.
Appel au peuple
Français,
La situation actuelle ne peut durer plus longtemps. Chaque jour qui s’écoule aggrave les dangers du pays. L’Assemblée, qui devait être le plus ferme appui de l’ordre, est devenue un foyer de complots […].
La Constitution, vous le savez, a été faite dans le but d’affaiblir d’avance le pouvoir que vous alliez me confier. Six millions de suffrages furent une éclatante protestation contre elle, et cependant je l’ai fidèlement observée. Les provocations, les calomnies, les outrages m’ont trouvé impassible. Mais aujourd’hui que le pacte fondamental n’est plus respecté de ceux-là même qui l’invoquent sans cesse. […]
Je fais donc un appel loyal à la nation tout entière, et je vous dis ~ si vous voulez continuer cet état de malaise qui nous dégrade et compromet notre avenir, choisissez un autre à ma place, car je ne veux plus d’un pouvoir qui est impuissant à faire le bien […].
Si, au contraire, vous avez confiance en moi, donnez-moi les moyens d’accomplir la grande mission que je tiens de vous […].
Persuadé que l’instabilité du pouvoir, que la prépondérance d’une seule assemblée sont des causes permanentes de trouble et de discorde, je soumets à vos suffrages les bases fondamentales suivantes d’une Constitution que les Assemblées développeront plus tard
1e) Un chef responsable nommé pour dix ans ;
2e) Des ministres dépendant du pouvoir exécutif seul ;
3e) Un Conseil d’État formé des hommes les plus distingués préparant les lois et les soutenant à la discussion devant le corps législatif ;
4e) Un Corps législatif discutant et votant les lois, nommé par le suffrage universel ;
5e) Une seconde assemblée formée de toutes les illustrations du pays, pouvoir pondérateur, gardien du pacte fondamental et des libertés publiques ;
Ce système créé par le premier consul au commencement du siècle, a déjà donné à la France le repos et la prospérité ; il les garantirait encore…
Si je n’obtiens pas la majorité de vos suffrages, alors je provoquerai la réunion d’une nouvelle Assemblée, et je lui remettrai le mandat que j’ai reçu de vous.
Mais si vous croyez que la cause dont mon nom est le symbole, c’est-à-dire la France régénérée par les Révolutions de 89 et organisée par l’Empereur, est toujours le vôtre, proclamez-le en consacrant les pouvoirs que je vous demande.
Alors la France et l’Europe seront préservées de l’anarchie, les obstacles s’aplaniront, les rivalités auront disparu, car tous respecteront, dans l’arrêt du peuple le décret de la Providence.
Fait au palais de l’Élysée, le 2 décembre 1851.
Louis-Napoléon Bonaparte. »
- Extrait de L’Émancipation, 9 décembre 1851
Questions à partir du document 5 :
1) Quelles décisions sont prises par Louis-Napoléon Bonaparte lors du coup d’État ? Comment les justifie-t-il ? Quelles formes de pression s’exercent sur les journaux au lendemain du coup d’État ?
Les oppositions au coup d’État sont réprimées et l’état de siège est instauré dans une trentaine de départements français. Les 20 et 21 décembre 1851, 6,5 millions d’électeurs valident, par plébiscite, le coup d’État.
Conclusion
Ainsi, l’adoption du suffrage universel masculin le 5 mars 1848 marque une avancée démocratique majeure. Bien que les femmes demeurent exclues du droit de vote, le corps électoral s’élargit, passant de 250 000 électeurs sous la monarchie de Juillet à plus de 9 millions en avril 1848, renforçant ainsi la souveraineté nationale. À la recherche de stabilité après les journées de juin 1848, les électeurs, conquis par un nom, portent au pouvoir Louis-Napoléon Bonaparte, élu premier président de la République en décembre 1848, et le parti de l’Ordre lors des élections législatives de 1849. Afin d’éloigner des urnes les classes laborieuses qui les effraient, les conservateurs restreignent l’accès au suffrage universel, inscrit dans la Constitution, en établissant une condition de domiciliation. Si lors du coup d’État du 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte abroge la loi du 31 mai 1850, sa prise de pouvoir par la force n’en constitue pas moins un recul démocratique de premier ordre : le suffrage universel, encadré par le plébiscite et le système des candidatures officielles, devient une illusion sous le Second Empire.
Bibliographie
Agulhon Maurice, 1848 ou l’apprentissage de la République, Paris, Points Seuil, 2002.
Fureix Emmanuel, Le siècle des possibles (1814-1914), Paris, PUF, 2014.
Fureix Emmanuel, Jarrige François, La modernité désenchantée. Relire l’histoire du XIXe siècle français, Paris, La Découverte, 2020.
Larrère Mathilde, « Voter en France de 1789 à nos jours », La Documentation photographique, n°8122, mars-avril 2018.
Pavard Bibia, Rochefort Florence, Zancarini-Fournel Michelle, Ne nous libérez pas, on s’en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours, Paris, La Découverte, 2020.
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Hélène Lanusse-Cazalé est professeure agrégée d’histoire-géographie (Académie de Toulouse), docteure en histoire contemporaine (Université de Pau et des Pays de l’Adour), membre de l’APHG (Association des Professeurs d’histoire-géographie)
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