Louis Napoléon Bonaparte élu président de la République
La IIe République invente le Président de la République élu au suffrage universel masculin, disposant de la même légitimité populaire que l’Assemblée. Louis-Napoléon Bonaparte est le premier président français, élu le 10 décembre 1848.
La première élection présidentielle en France
La IIe République est proclamée le 25 février 1848, mettant fin à la Monarchie de Juillet. Le régime, tel qu’il est défini dans la constitution votée par l’Assemblée constituante le 4 novembre, repose sur la souveraineté du peuple et la séparation stricte des pouvoirs.
Après des débats intenses, retranscrits dans la presse, sur l’existence même d’un président et sur la délimitation de ses pouvoirs, l’Assemblée constituante accepte le principe d’un président de la République, élu au suffrage universel masculin pour quatre ans, avec un mandat unique, sans droit de dissolution de l’Assemblée.
Le général Cavaignac, républicain modéré, à la tête de l’exécutif, semble s’imposer comme le candidat naturel des Républicains. Louis-Napoléon Bonaparte revient sur la scène politique à la faveur des élections législatives de 1848. Après avoir tenté de renverser par deux coups d’État la monarchie de Juillet en 1836 et 1840, il est marginalisé politiquement : emprisonné à vie au fort de Ham dont il s’échappe en 1846, puis en exil à Londres. Pourtant il est élu député une première fois en juin (il démissionna aussitôt devant la menace d’une proscription) puis une seconde fois en septembre, montrant ainsi l’aura de son nom sur l’électorat. Il annonce sa candidature à la présidentielle le 26 octobre, soutenu par la droite orléaniste, menée par Thiers, qui pense pouvoir le manipuler. Ces deux candidats font face à Raspail (extrême-gauche), Ledru-Rollin (démocrate-socialiste), Lamartine (républicain) et le général Changarnier (monarchiste légitimiste).
Louis-Napoléon Bonaparte (1808-1873)
Fils de Louis Bonaparte et d’Hortense de Beauharnais, il mène une jeunesse aventurière dans les années 1830. Il tente deux coups d’États contre la monarchie de Juillet à Strasbourg en 1836 et à Boulogne en 1840. Emprisonné au fort de Ham, son évasion en 1846 lui vaut le sobriquet de Badinguet. Élu aux élections législatives de 1848, il devient président de la République la même année. Il met fin à la IIe République par un coup d’Etat militaire le 2 décembre 1851 et instaure le Second Empire qui perdure jusqu’à la défaite de Sedan (1870).
Louis-Napoléon Bonaparte, le Prince-président aux ambitions impériales
Rapidement devenu le favori de l’élection, Louis-Napoléon Bonaparte est élu les 10-11 décembre avec 74,2 % des suffrages exprimés, loin devant Cavaignac et les autres candidats.
Son élection reflète un paradoxe politique. Il a été élu non seulement par les populations rurales et les notables hostiles au peuple urbain réputé paresseux, mais aussi par une large part de l’électorat ouvrier, haïssant Cavaignac, le « boucher de juin » qui avait réprimé les manifestations après la fermeture des ateliers nationaux le 22 juin. Bonaparte avait manifesté son intérêt pour la question sociale en publiant De l’extinction du paupérisme en 1844. Enfin, son nom et la diffusion de la légende napoléonienne, tout au long de la première moitié du XIXe siècle, ont attiré à lui l’électorat français.
Le 20 décembre, le Prince-président, qui s’est toujours présenté comme l’héritier au trône impérial, prête serment de fidélité à la République devant l’Assemblée et s’installe au Palais de l’Elysée, y imposant un decorum impérial. Odilon Barrot constitue un gouvernement qui est dominé par les monarchistes du parti de l’Ordre, sans républicain.
Par calcul et par conviction, il s’oppose à l’Assemblée dominée par les conservateurs depuis les élections législatives de mai 1849. Il dénonce la restriction du suffrage universel (31 mai 1850) et le refus de toute réforme constitutionnelle permettant la réélection du président de la République en 1851. Le coup d’État du 2 décembre 1851 met fin à la IIe République et ouvre la voie au Second Empire et au césarisme démocratique. L'ancien président mène alors une répression impitoyable : formation de « commissions mixtes », juridictions d’exception (préfet, général, magistrat), sans débat et sans possibilité d’appel. Plus de 26.000 hommes y sont déférés, dont plus de la moitié sont condamnés soit à la prison, soit au bagne de Cayenne, soit à la transportation en Algérie, soit à l’exil.
Une campagne électorale par la presse
La presse joue un rôle important mais encore limité dans les élections. A Paris et en milieu urbain, les journaux ont été les principaux animateurs de cette campagne électorale. Cavaignac peut s’appuyer sur Le National (républicain modéré), sur Le Siècle et sur Le Journal des débats (libéral). Bonaparte est soutenu par La Presse (29 novembre 1848) d’Emile Girardin, L’Événement des fils de Victor Hugo et par Le Constitutionnel (5 décembre 1848), journal conservateur.
Les candidats s’affrontent à travers la presse généraliste et satirique (Le Journal pour rire, Le Charivari). Dans un premier temps attentistes, les caricaturistes républicains comme Daumier ou Vernier s’inquiètent progressivement des menaces que fait peser la candidature bonapartiste sur la République. Le Charivari soutient à cet égard explicitement Cavaignac contre Bonaparte.
Bibliographie
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Michela Lo Feudo, « De président à empereur : Louis-Napoléon Bonaparte dans le Journal pour rire », Sociétés et représentations, n° 36 (2013), p. 35-50.
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