Juillet 1909 : semaine tragique en Catalogne
Du 26 juillet au 2 août 1909, l'Espagne, embourbée dans la guerre coloniale au Maroc, connaît un mouvement insurrectionnel à Barcelone durement réprimé. Cet épisode restera dans l'histoire sous le nom de « Semaine tragique ».
Du 26 juillet au 2 août 1909, le sang coule à Barcelone et dans plusieurs villes de province. Le peuple catalan proteste contre la guerre coloniale au Maroc et s'est soulevé, en particulier, contre un décret du 11 juillet qui mobilise les réservistes. Le mouvement se transforme en émeutes, la loi martiale est proclamée, des barricades s'élèvent et de violents affrontements ont lieu avec l'armée.
L'Église, soutien du pouvoir, est visée par les insurgés : 18 églises et 49 couvents ou collèges religieux sont incendiés. La monarchie castillane met plusieurs jours à reprendre le contrôle de la ville. Le bilan est lourd : 2 000 arrestations, 500 blessés, près de 100 morts.
En France, la presse relaie cette semaine tragique.
Ainsi, dans L'Aurore, cette description apocalyptique :
« La Maison du Peuple a été rasée par Torpillerie.
Tous les couvents ont été incendiés sauf celui de la calle Caspe, défendu par les jésuites et la garde civile.
Les forts de Montjuich ont bombardé les Ramblas et los paseos.
Dix mille révolutionnaires en armes livrent journellement des combats contre la force armée.
Ils ont formé un comité révolutionnaire qui dirige le mouvement insurrectionnel.
Le pont de Caldas de Maravella a été dynamité.
À Cassa de la Selva, San-Felice et Palamos, les routes sont interceptées.
Les Somatin, institution de civils armés particulière à la Catalogne, empêchent, le fusil au poing, la circulation et tiennent tête à la garde civile. »
Le Petit Marseillais écrit :
« Les événements de ces jours derniers, qui ont désolé cette belle cité et attristé les amis de l’Espagne, ont enlevé à la place de Catalogne son aspect gai et riant, et la statue de Colomb a vu à ses pieds les troupes espagnoles rangées en bataille, et les canons et les mitrailleuses braqués sur les insurgés. Les belles rues de Barcelone et ses splendides monuments ont vu couler le sang. »
Dans La Libre parole, l'écrivain, journaliste et militant contre-révolutionnaire français Albert Monniot, prend la plume :
« Mitraillée, décimée sous les murs de Melilla, où le corps expéditionnaire est bloqué, l’armée espagnole prend lugubrement sa revanche en mitraillant les révolutionnaires dans les rues de Barcelone. J’imagine que les larmes monteront aux yeux du si sympathique jeune roi quand il saura les ruines et les deuils accumulés dans cette lutte fratricide ; mais ce qui lui causera par dessus tout une indicible tristesse, c’est l'aveuglement de ceux qui poignardent dans le dos la Patrie espagnole, au moment où elle a tant besoin du concours de tous ses enfants.
Les pauvres aberrés croient faire œuvre humanitaire en s’efforçant d’entraver l’expédition des renforts pour le Maroc : et faute d’être secourus à temps, leurs frères sont massacrés par milliers. C’est l’effet ordinaire des manifestations dites humanitaires. En réalité, le mouvement insurrectionnel était de longue main préparé, et l’anarchie n’avait jamais désarmé : l’expédition du Maroc n'a été que l’occasion, comme en maintes circonstances, les visées séparatistes n’ont été que le prétexte. »
Le 4 août, le calme est revenu à Barcelone.
Le Journal des Finances note dans sa rubrique « Revue du marché » :
« Grâce à des mesures de répression d'une extrême sévérité, le Gouvernement espagnol est parvenu à maîtriser l'insurrection en Catalogne. L'ordre règne à Barcelone. »
Rien qu’en Catalogne, les tribunaux militaires jugeront quelque deux mille personnes.
L'anarchiste et libre penseur Francisco Ferrer, considéré comme un dangereux subversif, sera fusillé le 13 octobre 1909, suscitant l'indignation en Espagne et bien au-delà des frontières du pays.
Dans L'Humanité, Mario Antonio, membre de la fédération socialiste catalane, écrira ainsi :
« J'affirme que ni moi ni aucun des militants qui furent en rapport avec nous pendant les événements de la semaine tragique, nous n'avons vu Ferrer participer au mouvement. Comment le gouvernement de M. Maura et la bande de criminels cléricaux et militaires qui le soutiennent ont-ils pu voir plus que nous, savoir plus que nous, prouver plus que nous ?
Car, pour condamner, et à mort, il faut bien voir, bien savoir, bien prouver. Sinon, ce n'est plus une condamnation, c'est un assassinat lâche et ignoble, qui déshonore à tout jamais et ceux qui l'ont accompli et ceux qui l'ont toléré. »