L’histoire du premier vainqueur du Tour de France
En 1903, pour sa première édition, le Tour de France remporte un succès considérable et s'impose comme une grande épreuve sportive. C'est Maurice Garin qui en sera la première légende.
Né le 3 mars 1871 à Arvier, un village francophone situé dans la Vallée d'Aoste en Italie, Maurice Garin monte sur un vélo pour la première fois en 1892.
Doté de capacités physiques exceptionnelles et d'une résistance à toute épreuve, il ne tarde pas, tout début 1895, à devenir professionnel, après avoir appris son métier dans de nombreuses courses amateurs. C'est un solide gaillard de trente ans et un coureur expérimenté qui a déjà triomphé dans diverses épreuves, notamment les classiques Paris-Roubaix, Paris-Brest-Paris et Bordeaux-Paris ; il s'inscrit le 1er juillet 1903 pour le départ d'une course cycliste hors du commun, dont c'est la toute première édition.
Cette course cycliste, baptisée Tour de France, s'étale sur 2 500 kilomètres et comporte six étapes. Les coureurs iront jusqu'à Lyon, puis Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes et enfin Paris. Du jamais vu à une époque où les compétitions les plus difficiles ne dépassaient pas 1 200 kilomètres. Créée par Henri Desgranges, directeur du journal L'Auto, à des fins publicitaires pour soutenir sa publication face à son concurrent Le Vélo, cette course est un véritable évènement.
Aux côtés de Maurice Garin, favori de l'épreuve, ce sont cinquante-huit autres coureurs qui se retrouvent le 1er juillet très tôt au café « Le Réveil Matin » à Montgeron – le préfet de Paris de l'époque Louis Lépine ayant interdit les courses dans la capitale – pour une première étape qui les mènera jusqu'à Lyon.
À cette occasion, le journal L'Auto publie le jour même un texte aux accents lyriques en vue de faire la promotion de l'épreuve sportive qu'il a créée :
« Du geste large et puissant que Zola dans La Terre donne à son laboureur, L'Auto, journal d'idées et d'action, va lancer à travers la France, aujourd'hui, les inconscients et rudes semeurs d'énergie que sont nos grands routiers professionnels.
De Paris aux flots bleus de la Méditerranée, de Marseille à Bordeaux, en passant par toutes les villes roses et rêveuses qu'endort le soleil, à travers le calme des campagnes vendéennes, tout le long de la Loire qui coule lente et silencieuse, nos hommes vont s'enfuir éperdument, inlassables, rencontrer sur leur route tous ces sommeils qu'ils vont secouer, créer des vigueurs nouvelles, faire naître des ambitions d'être quelque chose, fût-ce par le muscle seulement, ce qui vaut mieux encore que de n'être rien du tout.
Deux mille cinq cent kilomètres durant, par le soleil qui mord et les nuits qui vont les ensevelir dans leur linceul, ils vont rencontrer des inutiles, des inactifs ou des paresseux, dont la gigantesque bataille qu'ils vont se déclarer va réveiller la torpeur, qui vont avoir honte de laisser leurs muscles s'engourdir et qui rougiront de porter une grosse bedaine, quand le corps de ces hommes est si beau du grand travail de la route. »
Équipé d'une bicyclette nommée « La Française », en pleine forme physique, Garin arrive le premier à Lyon en 17 heures 45 minutes et 13 secondes, ne laissant dans sa roue qu’Émile Pagié, arrivé deuxième à 55 secondes d'écart, distançant le troisième de plus de 30 minutes et le quatrième de plus d'une heure ! Le retard pris ce jour-là par les concurrents de Garin ne sera jamais comblé.
Après s'être incliné lors des seconde, troisième et quatrième étapes, Maurice Garin remporte haut la main la cinquième ainsi que la sixième étape finale qui l'amène à Paris, sur le circuit du Parc des Princes. Avec plus de 10 secondes d'avance sur Fernand Augereau, il devient le premier vainqueur du Tour de France.
À l'occasion de cette victoire, L'Écho de Paris, dans son édition du 20 juillet 1903, fait l'éloge de Maurice Garin et de ses collègues, sportifs infatigables qui avalent sans broncher, rivés à leurs vélos, des centaines de kilomètres.
« Le sixième et dernier acte de ce drame sportif s'est joué hier sur la route de Nantes à Paris. Confirmant sa supériorité, Garin est sorti encore premier de l'étape Nantes-Paris, couvrant les 460 kilomètres du trajet en 18 heures, soit à une moyenne de 25 kilomètres à l'heure, moyenne honorable, si l'on songe que Garin et ses collègues avaient dans les jambes, depuis dix-neuf jours, les courses successives de Paris-Lyon, Lyon-Marseille, Marseille-Toulouse, Toulouse-Bordeaux et Bordeaux-Nantes.
Mais ces hommes ont un tempérament de fer, et loin de s'épuiser au cours de ce formidable event, ils ont terminé dans une forme meilleure que lors de la première étape. […]
Pour en revenir au vainqueur, rappelons que Maurice Garin, qui a trente ans, compte un passé extrêmement glorieux. Il a réussi à triompher au moins une fois dans toutes les épreuves classiques de la route : Paris-Royan, Paris-Roubaix, Bordeaux-Paris, et ce Paris-Brest retour de 1901 où, sur 1 200 kilomètres, il eut raison de Lesna après un duel mémorable entre les deux hommes. »
Le journal La Presse complimente également le champion dans son édition du 20 juillet :
« La plus longue épreuve cycliste qui se soit jamais disputée, le Tour de France, s'est terminée cet après-midi sur le circuit du Parc des Princes.
La victoire finale est revenue à Garin, comme tout le faisait supposer du reste.
Garin s'est classé premier de l'épreuve Nantes-Paris, le dernier acte de ce mélodrame sportif. À la vérité, il fut talonné de près par ces révélations du Tour de France qui s'appellent Augereau, Samson, Pothier et par les vétérans qui ont nom Foureaux, Jean Fischer et Muller. […]
Garin est une figure du sport contemporain assez connue pour qu'il soit inutile de refaire ici son portrait. Garin a trente ans ; il est marié et père d'un gros petit garçon qui était venu l'attendre à bicyclette – une bicyclette minuscule – au vélodrome. »
Depuis la performance de Maurice Garin, le cyclisme a bien changé. Grâce à la technologie, qui a amélioré et allégé les vélos, et une meilleure compréhension de la physiologie humaine, les 25 km/h de moyenne de Maurice Garin en 1903 sont passés à 40 km/h avec Lance Armstrong dans les années 2000.
Le Tour, lui, n'a jamais rien perdu de son attrait et réunit à chaque édition des millions de spectateurs, sur le bord des routes, dans la presse ou à la télévision.