Saint-Exupéry et la prison de sable (1/2)
Fin 1935, Antoine de Saint-Exupéry tente de battre le record de vitesse sur le parcours Paris-Saigon. Il livre le récit de son raid, qui se terminera dans le désert, dans le journal L'Intransigeant.
Le 29 décembre 1935, à 7h01, Antoine de Saint-Exupéry décolle du Bourget pour tenter de battre le record de vitesse sur le parcours Paris-Saïgon.
Mais, dans la nuit du 30 décembre, l’avion percute un plateau et échoue dans le désert à quelques kilomètres du Caire. Saint-Exupéry et son compagnon de route, André Prévot, passent trois jours et quatre nuits dans le désert. Son accident puis son sauvetage font alors grand bruit dans la presse (voir ici le reportage photo de Paris-Soir).
De retour, Saint-Exupéry livre en exclusivité le récit de son aventure au journal L'Intransigeant, qui publie dès le 30 janvier le premier épisode d'une série qui en comptera six. Il y déclame sa passion de l'aviation :
« Tout ce monde profane s’efface déjà et va disparaître. Tout ce paysage est encore nourri de lumière blonde, mais quelque chose déjà s’en évapore. Et je ne connais rien, je dis : rien qui vaille cette heure-là. Et ceux-là me comprennent bien, qui ont subi l’inexplicable amour du vol. [...] Je parle de ceux qui font de l’avion leur métier, et sacrifient à ce métier beaucoup de choses.
Mermoz disait : “Cela vaut bien, un jour, d’y rester...” Et sans doute cela le vaut-il, mais il est difficile d’exprimer pourquoi...
Peut-être connaît-il cette ascension vers l’essentiel, le novice qui entre dans les Ordres par renoncements successifs il renonce au monde, il renonce à la fortune... Il renonce à l’amour. Et il découvre quelque dieu qui se cachait. »
L'avion survole le désert, quand soudain :
« Il y eut une sorte de tremblement de terre, qui ravagea notre cabine, arrachant les fenêtres, expédiant des tôles à cent mètres, remplissant jusqu’à nos entrailles de son grondement. L’avion vibrait comme un couteau planté de loin dans le bois dur. Et nous étions brassés par cette colère.
Une seconde, deux secondes... L’avion tremblait toujours et j’attendais avec une impatience monstrueuse que ses provisions d’énergie le fissent éclater comme une grenade. Mais les secousses souterraines se prolongeaient sans aboutir à l’éruption définitive. Et je ne comprenais rien de cet invisible travail. Je ne comprenais ni ce tremblement, ni cette colère, ni ce délai interminable... cinq secondes, six secondes... Et, brusquement, nous éprouvâmes une sensation de rotation, un choc qui projeta encore par la fenêtre nos cigarettes, pulvérisant l’aile droite, puis rien. [...]
À deux cent soixante-dix kilomètres heure nous avions embouti le sol. Et déjà nous avions basculé par la fenêtre arrachée. Nous étions debout à vingt mètres. Je disais à Prévot : — Point de mal ? Il me répondait : ''— Point de mal ! Mais il se frottait le genou. Je lui disais : —Tâtez-vous, remuez, jurez-moi que vous n’avez rien de cassé... Et il me répondait : - Ce n’est rien, c'est la pompe de secours... Moi, je pensais qu'il allait s’écrouler brusquement, ouvert de la tête au nombril, mais il me répétait, les yeux fixes. — C’est la pompe de secours !... Moi, je pensais : le voilà fou, il va danser... Mais, détournant enfin son regard de l’avion qui, désormais, était sauvé du feu, il me regarda et reprit : — Ce n’est rien, c’est la pompe de secours qui m’a accroché au genou.
[À suivre.] »
Son expérience dans le désert donnera à l'écrivain aventurier la matière à un récit romanesque qui passionnera les lecteurs...
Retrouvez la première et la seconde partie de ce récit.