Écho de presse

1919 : Védrines se pose en avion sur les Galeries Lafayette

le 18/01/2024 par Priscille Lamure
le 04/04/2018 par Priscille Lamure - modifié le 18/01/2024
Jules Védrines en costume d'aviateur dans Le Miroir du 4 mai 1919 - source : RetroNews-BnF

Le 19 janvier 1919, l’aviateur Jules Védrines projette d’atterrir sur les terrasses de l’immeuble des Galeries Lafayette à Paris. Les risques sont grands, et l’angoisse est palpable.

Avant que n’éclate la Première Guerre mondiale, les dirigeants des Galeries Lafayette lancent un grand défi à tous les aviateurs intrépides : ils offrent à celui ou celle capable d’atterrir en avion sur les toits du grand magasin parisien la généreuse somme de 25 000 francs.

Bien que la préfecture de police se soit empressée d’interdire à quiconque d’entreprendre une opération jugée aussi folle que dangereuse, l’idée trotte dans la tête de quelques as de la voltige, tel le célèbre Roland Garros. Finalement, devant les risques encourus, tous finissent par renoncer.

Puis, quelques années après la guerre, un homme se dit prêt à relever le défi. Cet homme, c’est Jules Védrines, « l’as des as », véritable héros français s’il en est. C’est du moins ce que laisse entendre quelque temps avant son décollage un rédacteur des Annales politiques et littéraires :

« Le plus populaire des aviateurs, Jules Védrines, a su, par sa verve parisienne autant que par son courage, conquérir l’estime de tous.

Voici quelques-unes de ses victoires : la coupe Pommery, premier dans Paris-Madrid, second dans le circuit d’Angleterre, encore la coupe Pommery et 808 kilomètres en un jour, record de la vitesse avec 168 kilomètres en une heure.

Enfin, le 9 septembre 1912, il ramenait en France la coupe Gordon-Bennett. »

Pendant la guerre, cet aviateur chevronné, qui a obtenu son brevet dès 1910, a multiplié prouesses aériennes et opérations spéciales ; il fut en conséquence décoré de nombreuses et prestigieuses médailles militaires.

En 1919, Jules Védrines est âgé de 39 ans et est devenu instructeur en aviation. Le 19 janvier, avec la complicité de la presse, mais sans en avoir informé les autorités, Jules Védrines s’apprête à réaliser son incroyable tour de force à bord d’un appareil de douze mètres d’envergure.

Son départ, prévu à 8h15 du matin depuis une piste de décollage située à Issy-les-Moulineaux, au sud-ouest de Paris, est retardé en raison de mauvaises conditions climatiques. Ainsi, c’est seulement vers 12h45, et malgré un épais brouillard, que Jules Védrines décolle enfin.

Quelques minutes plus tard, comme le relate un journaliste de L’Écho de Paris, l’aviateur survole la capitale :

« Vers midi, le temps, qui était resté assez brumeux, s'éclaircit. Vedrines alors n'hésite plus.

Après les vérifications habituelles de son appareil, il prend normalement le départ du champ d'aviation d’Issy-les-Moulineaux. Il est midi 40. Un coup de téléphone signale aussitôt son départ. Quelques minutes après, Védrines, sur son Caudron, survolait la capitale.

L'appareil, très visible, volait bas, suivi des yeux par la foule assez nombreuse sur les boulevards, à cette heure. Arrivé sur la Chaussée-d'Antin, Védrines semblait presque raser le toit des maisons. Le moteur était au ralenti.

Dans les rues, les passants s'arrêtaient, un peu anxieux, se demandant si l'appareil allait avoir une panne. »

Aux fenêtres des immeubles environnants, tous les yeux sont rivés sur le ciel  et son mystérieux occupant. La tension est palpable. En survolant les grands boulevards, Védrines ralentit son moteur, puis coupe complètement l’allumage dans l’idée d’atterrir en douceur sur une terrasse, dont la longueur est à peine plus grande que celle de l’appareil.

« Un peu avant une heure, des cris retentissent parmi les curieux : “Le voilà ! Le voilà !” L'émotion est à son comble.

L’appareil, volant très bas, pique sur la terrasse des Galeries par l’angle du boulevard Haussmann, en franchissant un trophée de drapeaux. Les mécaniciens se précipitent et essayent de retenir l’avion dont l’élan est encore assez grand […], mais ils ne peuvent empêcher la queue de l’appareil de heurter assez violemment la balustrade de la terrasse.

Le choc est assez fort pour tordre une des barres de fer de la balustrade. L’avion va-t-il capoter et tomber dans la rue ? »

Heureusement, « avec une habileté consommée et un beau sang-froid », Védrines arrive à redresser son Caudron, qui bientôt s’arrête. L’aviateur, encore dans son cockpit, semble sain et sauf.

Les spectateurs, soulagés, exultent et applaudissent le stupéfiant exploit qui s’est déroulé sous leurs yeux, en plein Paris.


Jules Védrines piquant puis atterrissant sur les terrasses des Galeries Lafayette dans Le Matin du 20 janvier 1919 - source : RetroNews-BnF.

Descendu de son appareil après avoir frôlé la mort, Jules Védrines se met à fanfaronner devant les journalistes qui accourent pour le féliciter et recueillir ses premières impressions.

Voici ce qu’il aurait confié à l’un des rédacteurs du Petit Journal :

« Rien n’est plus simple, nous a-t-il dit. On arrive, on regarde, on se pose.

Plus tard, chacun rentrera chez soi de la même façon. Il faut éviter de se tromper d’immeuble, c’est tout. […] Quant à repartir par le même procédé, rien n’est plus simple.

Et d’ici peu, on ne construira pas une seule maison sans la surmonter d’un toit d’atterrissage. »

Après avoir empoché la coquette somme de 25 000 francs, l’aviateur, qui projetait d’entreprendre un tour du monde en avion, s’en retourna à ses entraînements aériens.

Trois mois plus tard, le 21 avril 1919, Jules Védrines trouvait la mort avec son mécanicien à bord d’un bimoteur tandis qu’ils tentaient de rallier Rome depuis Paris.

Une stèle commémorative, installée sur le toit de l’immeuble des Galeries Lafayette, témoigne encore aujourd’hui de sa prodigieuse performance.