La rocambolesque histoire des restes de Goya
Mort en exil à Bordeaux en 1828, Francisco Goya est enterré dans le caveau de son ami Martin Goicoecha. Lorsque 60 ans plus tard, l’Espagne souhaite rapatrier les cendres de l’artiste, l’ouverture du cercueil va causer quelque surprise.
En 1824, le peintre espagnol Francisco Goya s’exile à Bordeaux pour fuir la restauration de la monarchie de Ferdinand VII et la répression qui s’ensuit contre les libéraux. Atteint d’un cancer et victime d’une mauvaise chute, l’artiste meurt le 16 avril 1828 dans son appartement du 57, cours de l’Intendance.
« Pendant quatre ans, Goya vécut dans cette ville, dont le pittoresque et l'extrême animation commerciale avaient fini par le séduire. On le citait parmi les habitués du port et des Quinconces.
Lorsque Goya mourut, un de ses compatriotes réclama sa dépouille, et, le 15 mars (17 avril en réalité, N.D.L.R.) 1828, en présence de M. le comte de Breteuil, préfet de la Gironde et représentant du roi Charles X, le grand artiste fut inhumé au cimetière de la Chartreuse, dans le caveau de la famille Goicoechea. »
C’est donc avec son vieil ami, Martin Goicoecha, exilé comme lui, que Francisco Goya est enterré. Une amitié de longue date qui ne va pas sans poser quelques problèmes lorsque l’Espagne souhaitera récupérer les restes de leur artiste redevenu, entre-temps, monument national.
En 1888, le consul d'Espagne Joaquín Pereyra obtient l’autorisation de l’État français d’exhumer le corps de Goya pour le rapatrier à Madrid. Mais lorsque les fossoyeurs ouvrent le caveau et que les autorités espagnoles et françaises se penchent pour examiner le squelette, une surprise de taille les attend.
« Qui trouvait-on, en effet, dans le tombeau de Bordeaux? Non pas Goya, non pas un Goya, mais deux Goya, deux squelettes et une seule tête !
Choisissez. À qui ce corps ? Et celui-ci ?
À qui l'unique tête au rire effrayant ? Rien, pas un signe qui établisse lequel de ces deux personnages a droit à la visite de l'envoyé espagnol, au train de luxe, au sleeping-car où il pourra continuer à dormir son sommeil éternel, à l'arrivée solennelle, aux drapeaux, aux discours, aux cérémonies, au monument de San Isidro, aux honneurs définitifs ! […]
Où l'on ne cherchait qu'un mort, on en trouvait deux, ou tout au moins un et trois quarts, et ce mort, et cette fraction de mort se refusait à renseigner le représentant de l'Espagne, à lui dire si cette tète avait pensé l'œuvre, si cette main l'avait exécutée. »
En effet, il s’est passé plus de soixante ans depuis l’inhumation de Goya dans le caveau de son ami Goicoecha et le temps ayant fait son œuvre, les ossements des deux amis se sont détériorés et mélangés si étroitement que l’on est bien en peine de distinguer l’un de l’autre. Et surtout il manque un crâne qui pourrait bien être celui du peintre.
Joaquim Pereyra doit obtenir une nouvelle autorisation, celle de son gouvernement, pour rapatrier tous les restes retrouvés dans le caveau, y compris ceux de Goicoechea, ancien opposant à la monarchie absolue.
La reine Marie-Christine d'Autriche donne son accord, le gouvernement français renouvelle le sien et en juin 1889, le consul d’Espagne, accompagné de sa délégation, peut enfin faire procéder à l’exhumation de Goya.
« En leur présence, on retirait du caveau les deux boîtes dans lesquelles avaient été déposés, en 1888, les ossements de Goya et de Goicoechea. […]
Après cet expose, les deux boites ont été portées au dépositoire où elles ont été ouvertes et leur contenu reconnu. Les ossements attribués avec une quasi certitude à Goya ont été mis dans une nouvelle boite en chêne, doublée de plomb.
Sur le couvercle, une plaque de cuivre portant le nom de Goya et la date de sa mort a été placée, et cette boite a été encastrée, avec celle renfermant tes restes de Goicoechea dans un triple cercueil de bois blanc de plomb et de noyer ayant encore une plaque avec le nom de Goya. Le tout a été scellé.
Le clergé de Saint-Bruno est venu faire la levée des corps qui ont été conduits à l’église sur un char des plus simples. Après la cérémonie religieuse, MM. de Pereyra, Albinana, Sillontz et Vallier ont accompagné le cercueil à la gare du Midi où, recouvert d’un drap mortuaire, il a été placé dans un fourgon qui sera attaché ce soir au train de onze heures.
M. Albinana accompagnera le cercueil jusqu'à Madrid, où il arrivera mercredi matin. »
Ce n’est cependant pas la fin du voyage pour Francisco Goya et Martin Goicoechea.
D’abord déposés dans la crypte de San Isidro à Madrid, ils sont ensuite transférés dans une tombe spéciale destinée aux « hommes illustres ». En 1919, on leur trouve finalement une dernière demeure.
« On a procédé avant-hier à l'exhumation des cendres de Goya y Lucientes, qui reposaient dans l'église San Isidro.
Il a été vérifié que les ossements du grand peintre, qui avaient été envoyés de Bordeaux en 1890, subsistaient toujours.
Les cendres de Goya seront solennellement inhumées dans l'église San Antonio de la Florida, dont les fresques ont été peintes par l'illustre artiste. »
C’est donc sous la fresque de la coupole qu’il avait lui-même réalisé que Francisco Goya repose désormais. Toujours en compagnie de son ami Martin.