Écho de presse

Du silence à la gloire : Van Gogh dans la presse française

le 05/11/2023 par Pierre Ancery
le 28/12/2018 par Pierre Ancery - modifié le 05/11/2023
« Autoportrait à l'oreille bandée », Vincent Van Gogh, 1889 - source : Institut Courtauld / WikiCommons
« Autoportrait à l'oreille bandée », Vincent Van Gogh, 1889 - source : Institut Courtauld / WikiCommons

Mort à 37 ans, le grand peintre néerlandais Vincent Van Gogh (1853-1890) n'a jamais connu la gloire. Et les rares critiques de journaux français qu'il reçut de son vivant se révélèrent presque toutes négatives.

La presse sera bien tardive à reconnaître le génie du peintre Vincent Van Gogh, disparu en 1890 à l'âge de 37 ans. De son vivant, les rares critiques qu'il récolte dans les journaux français sont presque toutes aveugles à son talent.

 

En septembre 1889, lorsque son tableau Nuit étoilée est présenté à l'Exposition des artistes indépendants à Paris, Le Journal des villes et des campagnes commente avec indifférence :

« M. Van Gogh, né en Hollande, intitule son tableau : Nuit étoilée. Son procédé est sommaire, il couvre sa toile d’une couche de bleu de Prusse ; avec le pouce enduit d’ocre jaune, il fait des froncés, et le tour est joué. »

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En mars de l'année suivante, le critique de La Lanterne est lapidaire :

« Si M. Vincent van Gogh voit la nature comme il la peint, nous le plaignons. Il doit la trouver bien laide. »

Même réaction chez ce journaliste du XIXe siècle, qui écrit le 21 mars :

« M. Picard fils expose des paysages apocalyptiques compliqués comme des rébus. M. Van Gogh de même, qui peint ces paysages, et c'est là son excuse, dans une maison de santé. »

À cette époque, Van Gogh est pourtant déjà apprécié et reconnu d'un petit cercle d'amateurs, et bien sûr, de ses amis peintres.

 

Mais dans la presse, on ne trouve qu'une seule personne pour le défendre : c'est Albert Aurier, jeune critique de 24 ans, qui en janvier 1890 consacre huit pages dans la prestigieuse revue littéraire Mercure de France au peintre néerlandais, « un croyant exalté, un dévoreur de belles utopies, vivant d’idées et de songes ».

 

Pour la première fois, un journaliste reconnaît l'importance de son œuvre. Aurier termine son article en s'interrogeant sur la postérité du peintre :

« Ce robuste et vrai artiste, très de race, aux mains brutales de géant, aux nervosités de femme hystérique, à l’âme d’illuminé, si original et si à-part au milieu de notre piteux art d’aujourd’hui, connaîtra-t-il un jour – tout est possible – les joies de la réhabilitation, les cajoleries repenties de la vogue ?

 

Peut-être. Mais quoi qu’il arrive [...], je ne pense pas que beaucoup de sincérité puisse jamais entrer en cette tardive admiration du gros public.

 

Vincent Van Gogh est, à la fois, trop simple et trop subtil pour l’esprit bourgeois contemporain. Il ne sera jamais pleinement compris que de ses frères, les artistes très artistes... et des heureux du petit peuple, du tout petit peuple, qui auront, par hasard, échappé aux bienfaisants enseignements de la Laïque !... »

« Oliviers avec les Alpilles en arrière-fond », Vincent Van Gogh, 1889 - source : Museum of Modern Art / WikiCommons
« Oliviers avec les Alpilles en arrière-fond », Vincent Van Gogh, 1889 - source : Museum of Modern Art / WikiCommons

Vincent Van Gogh a-t-il lu ce texte ? Sept mois plus tard, le 29 juillet 1890, il se suicide à Auvers-sur-Oise, laissant derrière lui une œuvre considérable (plus de deux mille toiles et dessins) et un début de notoriété qui ne fera que croître dans les années suivantes.

 

Dans les années 1890, le Mercure de France revient à plusieurs reprises sur le « cas » Van Gogh. En 1893, le journal publie les lettres adressées par Van Gogh au peintre Émile Bernard :

« 1887. Je persiste à croire que dans les ateliers, non seulement on n’apprend pas grand’chose quant à la peinture, mais encore pas grand’chose en tant que savoir-vivre, et qu’on se trouve obligé de s’apprendre à vivre comme à peindre sans avoir recours aux vieux trucs et trompe-l’œil d’intrigants. »

En mars 1901, l'écrivain Octave Mirbeau lui consacre un édito louangeur en Une du Journal :

« Il n'est pas d'art plus réellement, plus réalistement peintre que l'art de Van Gogh. Van Gogh n'a qu'un amour : la nature ; qu'un guide : la nature. Il ne cherche rien au-delà, parce qu'il sait qu'il n'y a rien au-delà.

 

Il a même l'instinctive horreur des rébus philosophiques, religieux ou littéraires, de tous ces vagues intellectualismes où se complaisent les impuissants, parce qu'il sait aussi que tout est intellectuel, de ce qui est beau... bêtement beau ! [...].

 

Il faut aimer Vincent Van Gogh et honorer toujours sa mémoire, parce que, celui-là, fut véritablement un grand et pur artiste. »

Au début du XXe siècle, le nom de Van Gogh devient de plus en plus familier du grand public à mesure que son œuvre est exposée, comme en 1908 à la célèbre galerie Bernheim, à Paris. Commentaire du Radical :

« Il y a, en cette exposition, des tableaux qui déconcertent profondément celui qui les regarde. Parlerai-je de ces tournesols effarants [...] ; risquerai-je une allusion à ce portrait du peintre par lui-même, où il donne une idée de sa chevelure par une série de traits jaunes, verts, rouges, violets et groseille, où il se fait les yeux verts, la peau couleur bouteille, la barbe orange et les lèvres d'un rouge de minium ?

 

Essaierai-je de décrire ses paysages ébouriffants, enfantins, intentionnellement maladroits, avec des petites maisons à toit rouge et des ifs bien droits, ou encore ces jardins surprenants où se tordent des personnages puérilement esquissés [...] ? »

Trois décennies plus tard, le statut de Van Gogh a déjà complètement changé. Son œuvre est exposée au Museum of Modern Art de New York, où elle attire 120 000 personnes. À Paris, en 1937, le Musée d'art moderne lui consacre aussi une vaste exposition.

 

Dans l'article que L'Intransigeant écrit alors sur le « peintre à l'esprit tourmenté qui, par crainte de la folie, se suicida », on voit que Van Gogh, dont les toiles se vendent de plus en plus cher, est désormais considéré comme un génie.

 

Doublé d'un « artiste maudit » : le quotidien, qui raconte sa vie entrecoupée d'accès de folie, n'oublie le célèbre épisode de l'oreille coupée (en 1889, pris d'un accès de folie après une dispute avec son ami Gauguin, Van Gogh se l'est tranchée d'un coup de rasoir).

« Hésitant entre le goût puissant qui le portait vers la peinture et ses aspirations mystiques qui avaient failli faire de lui un pasteur, il avait connu une existence errante ; on l’avait vu marchand de tableaux à Bruxelles, répétiteur à Londres, missionnaire dans les misérables corons du Borinage, élève dans une académie d’Anvers.

 

Enfin, il trouvait un lieu où on le comprenait, où on lui reconnaissait le droit de faire de la peinture claire, de représenter les objets tels qu’il les voyait. Ces années de Van Gogh à Paris sont d'une fécondité extraordinaire, et on peut dire que c’est au cours de ces quelques mois que le grand Hollandais réalisa l’essentiel de son œuvre. »

Van Gogh, dont l'influence fut considérable sur l'expressionnisme et le fauvisme, et de façon générale sur une bonne part de la peinture du XXe siècle, est aujourd'hui considéré comme un des plus grands artistes de tous les temps.

 

Sa célébrité est mondiale : en 1998, son Autoportrait au visage glabre, peint en 1889, fut acheté 71,5 millions de dollars à New York. De son vivant, Van Gogh n'a vendu de façon certaine qu'une seule toile.

 

 

Pour en savoir plus :

 

David Haziot, Van Gogh, Gallimard, Folio Biographies, 2007

 

Antonin Artaud, Van Gogh : le suicidé de la société, Gallimard, collection L'Imaginaire, 1947

 

Victoria Charles, Vincent Van Gogh par Vincent Van Gogh, Parkstone International, 2008

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