Chronique

L’annexion du Canada aux États-Unis, histoire d’un leitmotiv

le 16/01/2025 par Rachel Mazuy
le 16/01/2025 par Rachel Mazuy - modifié le 16/01/2025

A nouveau agitée non sans forfanterie par Donald Trump à la suite de la démission du Premier ministre canadien Justin Trudeau, la possible annexion du Canada par les États-Unis est une idée qui réapparaît à de nombreuses reprises tout au long du XIXe siècle. Etat des lieux d’une lubie.

Si l’expression « annexion du Canada » n’est a priori pas utilisée dans la presse avant les années 1840, c’est à dire avant la fusion, en 1841, en un Canada-Uni (ou province du Canada) du Bas-Canada et du Haut-Canada (les colonies anglaises créées en 1791 en séparant en deux la « province du Québec »), il faut bien sûr rappeler les prétentions américaines sur ces territoires au début du XIXe siècle.

En 1812, ce qu’on a appelé la guerre anglo-américaine et parfois la « seconde guerre d’indépendance », est une véritable tentative d’invasion des provinces britanniques d’Amérique par le jeune État américain. C’est ainsi que le 18 juin 1812 a lieu la première déclaration de guerre de l’histoire américaine. Cinq milles volontaires américains montent jusqu’à Toronto et brûlent le parlement du Haut-Canada, provoquant en retour l’invasion britannique du territoire étasunien et l’incendie de la Maison blanche.

Cependant, l’information circule alors encore très lentement. Les prémices belliqueux sont ressentis dès le mois de février, mais la presse française, citant la presse britannique, ne publie la nouvelle qu’au tout début du mois d’août. À la fin du mois de juillet, elle recevait d’ailleurs les journaux du Québec (évoquant les préparatifs d’une guerre) datant seulement de la fin du mois de mai.

Malgré tout, entre 1812 et 1815, plusieurs centaines d’articles émanant d’un nombre encore limité de journaux, comme le Mercure de France ou la Gazette de France, publient sur ce conflit. Et, si le traité de paix signé à Gand en décembre 1814 revient à la situation antérieure, les velléités américaines ne semblent pas totalement éteintes à la fin de l’année 1815.

Ce désir demeure en fait bien présent tout au long du XIXe siècle, en lien avec l’expansion des États-Unis vers l’Ouest et le Sud (conquêtes des territoires amérindiens, annexions de colonies espagnoles…) et avec un impérialisme continental américain né médiatiquement aux États-Unis (« American empire ») sous le gouvernement Polk lors de la guerre avec le Mexique (1846-1848) pour l’annexion du Texas.

Cependant, dans ce jeu diplomatique, militaire et médiatique, où les objectifs britanniques et américains priment au départ, il faut de plus en plus compter sur ceux des Canadiens eux-mêmes, qui peu à peu s'émancipent de la couronne. Le statut de dominion (permettant l’union du Canada-Uni avec les provinces de l’Ouest), est en effet obtenu en 1867 et, à partir du statut de Westminster en 1931, aucune loi du Parlement britannique ne peut s’appliquer sur son territoire sans leur consentement.

On peut ainsi distinguer les initiatives émanant du territoire américain (les plus nombreuses), de celles émanant de mouvements d’émancipation de la tutelle britannique, comme au moment de la rébellion des patriotes en 1837-1838.

Ainsi, pour le sénateur démocrate du Michigan Augustus S. Porter :

« Non seulement le Canada serait pour l'Union fédérale une acquisition tout aussi précieuse que le Texas, mais même, que l'annexion de celui-là, sans le consentement de l'Angleterre, serait tout aussi légitime que l'annexion de celui-ci sans le consentement du Mexique. »

Mais ces prétentions font sourire un journal comme Le Commerce. La colonie canadienne est en effet un adversaire beaucoup moins vulnérable que le Mexique car, de fait, elle dispose de l’appui britannique. Même si, en 1846, « les journaux américains ne cessent de répéter que l’annexion du Canada à la République est un fait », les États-Unis et le Royaume-Uni s’entendent en réalité officiellement pour retenir le 49e parallèle Nord comme frontière séparant la jeune puissance américaine de l’Amérique du Nord britannique.

Pour autant, régulièrement de telles espérances ressurgissent dans les années 1850, émanant parfois d’un candidat aux élections présidentielles (aussi favorable à celle de Cuba), parfois d’un général anglophobe nommé ministre du président James Buchanan.

Au début de la guerre de Sécession, les Américains semblent compter peu de soutien à cette idée à l’intérieur des provinces canadiennes (La Patrie, 30 décembre 1861). Il semblerait avoir grandi quatre ans après (Le Phare de la Loire, 17 août 1865), notamment auprès des Irlandais liés au mouvement Fenians (La Presse, 13 septembre 1865). Cinq ans plus tard, le mouvement d’insurgés de la rivière rouge reprend le même leitmotiv.

On pourrait à loisir multiplier les exemples qui, d’année en année, émaillent la presse, et témoignent d’exigences, souvent individuelles, souvent locales, parfois portées par un mouvement, voire par un journal, ou véhiculées par une brochure qui propose aux Américains d’assumer la dette canadienne et de terminer le Canadian Pacific Railway en échange de l’annexion.

À la fin des années 1880, dans le contexte de dépression économique, on voit plus fortement réapparaître l’éventualité d’une annexion (en parallèle de celle du canal de Panama), en lien avec un conflit commercial et douanier opposant le Royaume-Uni et le Canada aux États-Unis. Mais, si le langage de certains républicains comme le général Sherman témoigne d’une certaine agressivité, les gouvernants canadiens ne semblent alors pas s’en inquiéter, en dépit d’un climat politique et médiatique jugé volatile.

Deux à trois ans plus tard, la question fait cependant partie des sujets pour les prochaines élections générales à Ottawa, alors que s’élèvent des voix favorables au rattachement provenant du Québec. En 1903, Le Petit Parisien juge même l'annexion tout à fait possible si les Anglais ne réagissent pas.

À la fin du XIXe siècle, dans un climat d’impérialisme croissant (et d'anti américanisme en progression), ces revendications sur le Canada sont parfois bien perçues comme un des aspects des multiples ambitions américaines reposant sur la doctrine Monroe de 1825 (L’Écho de Paris).

L’économie n’est jamais loin de ces préoccupations territoriales. En 1911-12, c’est dans le cadre du nouveau traité de commerce entre les États-Unis et le Canada que plus de 80 articles ou entrefilets évoquent à nouveau le thème. Dans un papier critique sur l’impérialisme yankee, L’information financière, économique et politique évoque le discours du démocrate Champ Clark pour qui le traité n’est que le prélude d’une annexion pure et simple. Poussé notamment par des journaux, le speaker démocrate de la Chambre des représentants, va, quelques mois plus tard, jusqu’à proposer sa candidature aux élections américaines contre Taft (qui est totalement contre) sur un programme centré uniquement sur cette annexion :

« J'attends avec impatience le moment où le drapeau américain flottera sur chaque pied carré de l'Amérique du Nord britannique jusqu'au pôle Nord. »

Son échec contre Wilson aux primaires ne signera pas la fin d’un désir résiduel d’annexion, assez peu sérieux il est vrai, que l’on verra encore réapparaître après la guerre, entre 1923 (le président Harding affirmant fermement son opposition) et 1926, pendant la Seconde Guerre mondiale (une rumeur venant de Suède), et même une nouvelle fois au tout début des années cinquante