Archives de presse
Les Grands Reportages à la une
Aux origines du grand reportage : les récits de huit reporters publiés à la une entre 1881 et 1934 à découvrir dans une collection de journaux d’époque réimprimés en intégralité.
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Lorsque le dauphin Louis épouse Marie-Antoinette, il est décidé que les Parisiens se réjouiraient devant un feu d’artifice tiré dans la capitale. Mais cet événement médiatique tourne à la tragédie pure et simple.
Le 16 mai 1770, le jeune Louis, dauphin de France, épouse Marie-Antoinette d’Autriche à Versailles.
Pour que le « bon peuple » puisse jouir pleinement de cet événement, il est décidé d’organiser des festivités à Paris. Une foire sur les remparts nord de la capitale (actuel boulevard de la Madeleine) est organisée, qui doit se conclure par un feu d’artifice.
« Le jour de la célébration du mariage de Monseigneur le Dauphin, la Foire établie, à cette occasion, le long des remparts situés au Nord de cette Capitale, fut ouverte dès le matin, &, le soir, toute la longueur de ces remparts, ainsi que les boutiques, fut illuminée par deux rangs de lanternes en réverbère.
Cette nouveauté attira un grand concours de Peuple pendant toute la journée & fort avant dans la nuit.
La Foire & les illuminations dureront jusqu'au jour où l'on tirera le feu d'artifice que la Ville fait préparer sur la Place de Louis XV & qui doit être exécuté le 31 de ce mois. »
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Aux origines du grand reportage : les récits de huit reporters publiés à la une entre 1881 et 1934 à découvrir dans une collection de journaux d’époque réimprimés en intégralité.
Le 30 mai, tout est donc prêt pour la fête. À dix heures puis à midi, deux salves d’artillerie annoncent les réjouissances.
« Vers les sept heures du soir, on commença à faire couler les fontaines de vin & à distribuer au Peuple du pain & de la viande dans les ditférens [sic] endroits de cette Ville & à différens carrefours donnant sur les remparts du Nord.
Vers les neuf heures du soir, il y eut une nouvelle salve de l'artillerie de la Ville, pendant laquelle on tira un feu d'artifice, préparé dans la Place de Louis XV & après lequel on illumina les deux grands Bâtimens & le pourtour de cette Place, ainsi que les fontaines de vin & les Orchestres qu'on y avoit établis. »
À la nuit tombée, « toutes les maisons de la capitale et du faubourg » sont illuminées. Sur la place Louis XV (actuelle place de la Concorde), on a monté un « Temple de l’Hymen » d’où s’apprête à partir le feu d’artifice.
« La décoration du feu d'artifice, dont la hauteur étoit de cent trente pieds, représentoit le Temple de l’Hymen. Ce Temple, dont l'Architecture étojt d'Ordre Corinthien, étoit porté sur un soubassement décoré de cascades, de fontaines & de groupes de figure allégoriques. […]
Tout cet édifice étoit terminé par un obélisque sur les faces duquel étoient groupées différentes figures qui attachoient au sommet, avec des guirlandes de fleurs, les Médaillons de Monseigneur le Dauphin & de Madame la Dauphine.
On avoit élevé derrière cet édifice un bastion dans lequel on avoit placé les batteries qui accompagnoient l'exécution du feu, ainsi que la guirlande qui l'a terminé. »
Mais le feu – est-il mal tiré ou le matériau est-il de mauvaise qualité ? –, enflamme l’estrade à la fin du spectacle. La foule (on l’estime aujourd’hui à 300 000 à 400 000 personnes) est en train de se retirer de la place par la seule sortie possible, la rue Royale, pour rejoindre la foire sur les remparts.
Or, la rue Royale passe devant le chantier de l’Église de la Madeleine en construction et elle en est fortement encombrée. Elle se rétrécit donc à ce niveau, formant un goulot d’étranglement. C’est à ce moment que les voitures-pompes remontent le flot des badauds pour venir éteindre l’incendie sur la place Louis XV.
Une énorme poussée se produit. Les premières personnes tombent, bientôt piétinées par ceux qui suivent. Il est impossible d’avancer ou de reculer, les carrosses des nobles fermant encore un peu plus la seule issue possible. La panique est totale.
La Gazette, organe officiel du royaume de France, relate le désastre « qu’on ne pouvoit ni prévenir ni prévoir ».
« Les plaisirs de cette fête ont été troublés par un malheur qu'on ne pouvolt ni prévenir ni prévoir.
La rue par laquelle le Peuple se porta avec le plus d'affluence, après le feu d'artifice s'étant trouvée embarrassée par différens obstacle, & la foule étant prodigieuse, un grand nombre de personnes de tout sexe & de tout âge été étouffée.
Le nombre des morts monte à cent trente-deux, à savoir, quarante-neuf hommes ou garçons & quatre-vingt-trois femmes ou filles.
Celui des blessés est de vingt-six : ces derniers ont été portés à l’Hôtel-Dieu & à la Charité, & la plupart font annuellement hors de danger. »
La bousculade fait 132 morts et plusieurs centaines de blessés – quoique les chiffres estimés par les historiens d’aujourd’hui tournent aux alentours de 1 500. L’immense majorité se compte parmi les gens du peuple, les nobles assistant à la fête ayant été mis hors de danger par leurs serviteurs.
Les jeunes époux princiers (ils ont quinze ans au moment de leur mariage), informés de la tragédie, prennent sur leurs deniers personnels afin d’aider les victimes, nous annonce la même Gazette.
« Ce jeune Prince, instruit des malheurs arrivés dans un jour consacré à la joie que son mariage inspire à tous les François, ayant reçu, le lendemain, les six mille livres que Sa Majesté lui a assigné par mois pour ses menus plaisirs, les a envoyées au sieur de Sartine, Lieutenant-Général de Police, à qui il a écrit de sa main, lui mandant de distribuer cette somme a ceux qui avoient le plus pressant besoin d'être secourus.
Madame la Dauphine a suivi cet exemple respectable. Le Bureau de la Ville a pris aussi les mesures les plus détaillées pour faire soigner les blessés & procurer du soulagement aux familles de ceux qui ont péri. »
Si l’on ne trouve pas de responsable officiel à la catastrophe, cette tragédie aura une conséquence directe sur l’administration de Paris : les fêtes et manifestations seront dès lors placées sous l’ordre du ministre de l’Intérieur.
La capitale sera quant à elle gérée par un préfet dédié pendant plus de 200 ans, jusqu’en 1977.
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Pour en savoir plus :
Joël Félix, Louis XVI et Marie-Antoinette, un couple en politique, Payot, 2006
Sabine Chaouche, L’Économie du luxe. L’intendance des Menus-Plaisirs du roi par Papillon de la Ferté (1756-1780), in: Dix-Huitième siècle, La Découverte, 2008