Écho de presse

Quand les butins de guerre des Français en Afrique étaient moqués par la presse

le 28/03/2021 par Marina Bellot
le 21/11/2018 par Marina Bellot - modifié le 28/03/2021
Un régiment de soldats français au Dahomey devant leur « butin de guerre », Le Petit Journal supplément du dimanche, 1892 - source : RetroNews-BnF
Un régiment de soldats français au Dahomey devant leur « butin de guerre », Le Petit Journal supplément du dimanche, 1892 - source : RetroNews-BnF

En 1892, alors que la France vient de remporter une victoire décisive sur le royaume de Dahomey (actuel Bénin), Le Figaro évoque avec cynisme les butins de guerre amassés par la France en Afrique occidentale.

Le 21 novembre 1892, c’est une victoire coloniale décisive qu’annonce l’armée française : Abomey, la capitale historique du royaume de Dahomey, dans l'actuel Bénin, vient de tomber aux mains des Français, comme s'en fait écho Le Figaro.

«​ Voici la dépêche de l’agence Havas qui annonce la bonne nouvelle : Abomey s'est rendu. Nos troupes sont entrées dans la ville sans coup férir. Détails suivent. »

Une nouvelle dépêche de dernière minute confirme la prise d’Abomey… et d’un « nombreux butin » « abandonné » par l’ennemi  : 

«​ Ce matin le général disposa ses colonnes d'attaque. Les premières troupes qui arrivèrent contre l'enceinte fortifiée ne rencontrèrent aucune résistance.
Bientôt après elles pouvaient pénétrer dans la ville. [...]

Les Dahoméens ont abandonné un nombreux butin, parmi lequel figure le trône en Or de Behanzin [le roi du Dahomey]. »

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Que vaut ce butin de guerre ? Dans un article tout spécialement consacré à cette « grave question », un chroniqueur du Figaro avertit ses lecteurs qu’il n’y a pas matière à être optimiste. Car, se fait-il fort de rappeler, les tributs de guerre dernièrement amassés en Afrique occidentale se sont révélés très décevants :

«​ En lisant, hier, la dépêche plus ou moins digne de foi, annonçant que Behanzin, après avoir envoyé au général Dodds deux mains d'argent, lui offrirait une indemnité de guerre de 10 à 20 millions, on a dû se faire une haute idée de l'importance des trésors entassés à Abomey. Il y a peut-être là un optimisme exagéré que n'autorise guère la statistique du butin réalisé par nos troupes dans les récentes Campagnes sur la côte occidentale d'Afrique.

Lorsqu'il y a deux ans le colonel Archinard luttait contre Ahmadou, les hommes les plus compétents évaluèrent successivement à 30, à 10, puis à 3 millions, les tas d'or “vierge” conservés à Ségou. 

D'éminents politiciens allèrent même jusqu'à vanter la campagne du Soudan, en elle-même, comme une excellente spéculation. »

Et de détailler avec un sidérant cynisme les récentes prises de guerre de l’armée française, tel ce fauteuil royal « pas rembourré » de « style anglo-nègre » :

«​ On ne trouva à Ségou que des pagnes, quelques chevaux et 150 ooo francs d'or environ. 

À Nioro, le butin, exclusivement artistique, se composa d'une gravure représentant les Dernières Cartouches, d'un buste de M. Grévy et d'une armoire à glace. 

Les prises du colonel Humbert furent plus variées ; à Sanaii-Coro : 700 bœufs et 150 moutons ; quinze jours plus tard, à Toutou-Kourou : 4 dents d'éléphant, une grande boite à musique, 200 fusils à tir rapide, 75 000 cartouches, 300 tonnes de riz et de mil, plusieurs glaces, un autre buste de M. Grévy, et, enfin... le fauteuil de Samory. 

Ce meuble royal, en bois noir, n'est pas rembourré. Avec ses profils raides, son dossier à clairevoie et les viroles de cuivre ornant chacun de ses bras, il répond assez bien à la conception d'un style anglo-nègre. Il figure aujourd'hui dans la cuisine du colonel Humbert. »

Que deviennent ces « richesses » ? interroge le journaliste, qui poursuit sur le même ton méprisant :

«​  À part les menus objets qui sont distribués aux chefs noirs et aux soldats d'élite, ces richesses sont employées pour l'entretien des postes.

L'or de Ségou a servi à constituer une réserve du budget du Soudan, et de temps à autre, on en vend quelques morceaux aux enchères. [...]

Quatre caisses de bijoux ont bien été envoyées à Paris l'année dernière, mais cet or provenait d'amendes et d'impôts payés par les contribuables de la colonie de Grand-Bassam. Il contenait en moyenne de 509 à 540 millièmes d'or et de 38 à 46 millièmes d'argent.

La Monnaie en a retiré pour environ 60 000 francs de lingots. »

De l’or, des bijoux et des « objets » – dont nombre sont considérés aujourd’hui comme des œuvres d’art – mais aussi « quelque chose d'autrement précieux pour nos guerriers africains », poursuit Le Figaro : les captives, autrement dit des femmes « distribuées » aux tirailleurs :

«​  On en prend toujours un certain nombre dans les affaires importantes, et on les distribue aux tirailleurs à condition qu'ils ne les vendront pas.

Le “bloc” des captives est réparti entre les compagnies, et chaque capitaine répartit son lot entre ses hommes qui choisissent par ordre de mérite. Les nouvelles épousées, acceptent ce changement de maître avec la plus parfaite sérénité. [...]

D'après ces exemples, si l'on songe aux dépenses formidables que Behanzin a dû effectuer pour son armement, il est à craindre qu'en dehors des idoles en ivoire et des serpents nature, ornant le temple de Cana, les amazones ne constituent le plus clair butin du général Dodds.

Quel parti en tirera-t-on, c'est une grave question. »

Et de répondre avec une ironie glaçante : 

[...] il vient d'apprendre que ces amazones sont à pied. Dans ces conditions, on se décidera peut-être à les utiliser comme maîtresses de gymnastique. »

Selon les études d'historiens, 85 à 90 % du patrimoine africain originel serait aujourd’hui hors du continent.

En juillet 2017, le Bénin a demandé à la France de lui rendre les objets sacrés pillés lors la guerre coloniale menée entre 1892 et 1894. 

La question de la restitution des œuvres africaines aux États concernés par les spoliations est aujourd'hui à l'ordre du jour, avec la publication d'un rapport préconisant la modification du code du patrimoine français, préalable nécessaire à tout retour.

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Pour en savoir plus :

Vers une remise en États des œuvres​ africaines, article à lire sur le site de Libération

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Louis Giethlen, Louis Brunet
Au Dahomey
Louis Noir
Voyage dans l'intérieur du royaume de Dahomey
Alfred-Baptiste-Félix Guillevin
Trois mois de captivité au Dahomey
E. Chaudoin