Séquence pédagogique

Les guerres coloniales vues par la presse de la Belle Epoque, 1890-1914

le par - modifié le 05/11/2024
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SÉQUENCE PÉDAGOGIQUE CLÉ EN MAIN

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Dans les programmes de l’enseignement secondaire :

Au collège, en 4 e , Thème 2 : L'Europe et le monde au XIX e  siècle : « Conquêtes et sociétés coloniales ».

Au  lycée en 1ere générale : Thème 3 : La Troisième République avant 1914 ; Chapitre 3 : Métropole et
colonies ; en particulier : l’expansion coloniale française : les acteurs, […] les débats suscités par cette
politique ; […] le fonctionnement des sociétés coloniales (affrontements, résistances, violences,
négociations, contacts et échanges).

Au lycée en 1ere technologique : Thème 3 : La Troisième République : un régime, un empire colonial. Et
en particulier : les territoires de la colonisation et le fonctionnement des sociétés coloniales.

L’expansion coloniale connaît un nouvel élan après la Conférence de Berlin en 1885. Ces guerres lointaines, menées par des troupes de volontaires, sont des guerres asymétriques contre des armées nombreuses mais mal équipées ; elles mêlent sièges, guérilla et mais aussi razzia contre les populations civiles ; si en Europe le droit de la guerre commence à être codifié, ces expéditions, pourtant menées au nom de la civilisation, sont le théâtre d’une violence extrême. Par différents biais, enseignement, presse populaire, expositions coloniales ou spectacles (une troupe zouloue est présentée aux Folies Bergères en 1879, les Amazones du Dahomey sont au théâtre de la Porte St Martin en 1892), l’opinion publique en reçoit régulièrement une vision aseptisée, déformée et théâtralisée. Pourtant, dans un contexte d’essor et d’âge d’or de la presse, certains journaux de gauche rendent compte aussi des « scandales coloniaux » qui accompagnent la colonisation en Afrique et en Asie et font la réputation de cruauté impitoyable des officiers coloniaux.

Il serait donc intéressant de voir avec les élèves, comment la presse de la Belle Époque donne à voir les réalités de la colonisation.

Une vision déformée des guerres coloniales

Le plus souvent les guerres de conquêtes sont présentées de façon caricaturale, racialisée, par des articles mais aussi par une grande profusion de gravures reproduites dans la presse. Si les soldats français sont héroïsés, tous les stéréotypes de la sauvagerie, de la barbarie sont utilisés pour décrire les armées africaines et asiatiques ; ces représentations contribuent à la justification de la propagande coloniale. En outre, l’exotisme prêté aux armées africaines ou asiatiques, sert à susciter l’intérêt voire la curiosité douteuse des lecteurs et spectateurs.

Doc 1. Les guerres au Dahomey (actuel Bénin)

Doc 2. Les conquêtes coloniales enseignées en cours élémentaire

«​ Arrivé dans la Cochinchine, dans ce pays des jaunes qu’on connaissait très peu alors, Francis Garnier étudia encore, apprit les langues des contrées qu’il voulait traverser, voyagea au milieu de grands dangers, et revint en France y dire tout ce qu’il avait découvert là-bas. — Survint la terrible guerre de 1870 : le brave marin devient vaillant soldat, et défend Paris qu’assiègent les Prussiens. Puis, la guerre terminée, si tristement, il se prépare à partir une fois encore pour ce Tonkin où il devait mourir. A sa mère, qui savait quels dangers allait courir son fils, il disait avant son départ ; « Cela ne fait rien, maman. En avant, pour la vieille France ! En avant ! Avec 200 hommes il donne l'assaut à une grande ville, Hanoi, que défendent 7000 soldats jaunes - il entre le premier dans la forteresse, et en quelques heures la ville est prise. Et la petite armée française, merveilleuse de courage, continue la conquête ; et, sur l’ordre de Francis Garnier, nos soldats, si vaillants s’efforcent aussi d’être très bons pour les travailleurs des pays qu’ils conquièrent. Mais un jour en courant au-devant d’une troupe de bandits Francis Garnier glisse et tombe dans un fossé : il est enveloppé, tué; on coupe sa tête, on arrache son cœur, d’autres l’ont suivi, et ont donné à la France qu’il aimait tant le beau pays dont il avait commencé la conquête. »

- Manuel général de l'instruction primaire, journal hebdomadaire des instituteurs, 24 juin 1911, p10, (la revue donne des conseils pédagogiques et, comme ici, des modèles de leçons)

Question :


1. Comment sont représentés les combats dans les colonies, que ce soit ici au Dahomey ou en Indochine ?

La révélation de « scandales coloniaux »

Cependant, certains titres de presse rendent compte aussi ponctuellement d’informations documentées sur les violences commises par les troupes coloniales, qui suscitent l’indignation et font scandales. Déjà, dans Choses vues Victor Hugo disait son émotion après les récits des enfumades en Algérie commises sous la monarchie de Juillet ; le recueil est publié en 1887. En 1883, Pierre Loti témoigne dans le Figaro de la cruauté des troupes coloniales lors de la prise de Hué, ville impériale de l’Annam. En 1894, la publication par L’Illustration de dessins faits à partir de photos prises à Bakel au Sénégal fait scandale.

Tous dénoncent les horreurs de la « petite guerre coloniale ». A moins qu’il ne s’agisse d’évoquer les combats sanglants menés par d’autres puissances, c’est surtout la presse de gauche, La Lanterne, L’Assiette au beurre, Le cri du peuple, La justice et à partir de 1904, L’Humanité, qui dénonce ces violences coloniales.

Doc 3. La prise de Hué, 1883

« On avait réglé les hausses pour la distance, chargé les magasins des fusils ; on avait tranquillement tout préparé pour les tuer au passage. Et, en les attendant, on regardait là-bas le mouvement combiné des autres troupes françaises, qui s'accélérait vers le Sud, les ennemis qui fuyaient, les pavillons d'Annam qui s'amenaient. La grande batterie du Magasin-au-riz était prise, les villages de derrière brûlaient avec des flammes rouges et des fumées noires Et on se réjouissait de voir tous ces incendies, de voir comme tout allait vite et bien, comme tout ce pays flambait. On n'avait plus conscience de rien, et tous les sentiments s'absorbaient dans cette étonnante joie de détruire.

En effet, ils avaient passé sous le feu des marins de l'Atalante, ces fuyards attendus. On les avait vus paraître, se masser, à moitié roussis, à la sortie de leur village ; hésitant encore, se retroussant très haut pour mieux courir, se couvrant la tête, en prévision des balles, avec des bouts de planches, des nattes, des boucliers d'osier, - précautions enfantines, comme on en prendrait contre une ondée. Et puis ils avaient essayé de passer, en courant à toutes jambes.

Alors la grande tuerie avait commencé. On avait fait des « feux de salve », deux - et c'était plaisir de voir ces gerbes de balles, si facilement dirigeables, s'abattre sur eux deux fois par minute au commandement, d'une manière méthodique et sûre. C'était une espèce d'arrosage, qui les couchait tous, par groupes, dans un éclaboussement de sable et de gravier.

On en voyait d'absolument fous qui se relevaient, pris d'un vertige de courir, comme des bêtes blessées ; ils faisaient en zigzags, et tout de travers, cette course de la mort, se retroussant jusqu'aux reins d'une manière comique ; leurs chignons dénoués, leurs grands cheveux leur donnant des airs de femme.

D'autres se jetaient à la nage dans la lagune, se couvrant la tête, toujours, avec des abris d'osier et de paille, cherchant à gagner les jonques. On les tuait dans l'eau. Il y avait de très bons plongeurs, qui restaient longtemps au fond ; on réussissait tout de même à les attraper, quand ils mettaient la tête dehors pour prendre une gorgée d'air, comme des phoques.

Et puis on s'amusait à compter les morts... cinquante à gauche, quatre-vingts à droite ; dans le village, on les voyait par petits tas ; quelques-uns, tout roussis, n'avaient pas fini de remuer : un bras, une jambe se raidissait tout droit, dans une crispation ; ou bien on entendait un grand cri horrible. »

- Pierre Loti, Le Figaro 17 octobre 1883. (cet article, le premier de la série sur la prise de Hué à être signé, fait scandale et amène le ministère de la Marine à interdire à Pierre Loti d’écrire dans la presse).

Doc.4. Le scandale de Bakel

« QUI DONC A FAIT UN IMMENSE CHARNIER DE LA TERRE, SINON LE BLANC CIVILISATEUR ?

J'ai sous les yeux cinq photographies accusatrices prises dans la brousse de Bakel, aux frontières du Sénégal et du Soudan. […] qu'on ose dire l'histoire de ce massacre. On connaît bien ces photographies au ministère des colonies. L'Illustration les a reproduites en 1891. Leur authenticité ne peut être l'objet d'un doute.

[…] C'est l'homme blanc qui passe, marquant la route d'inutiles charniers.

Qui fera le compte de la douleur humaine accumulée sur toute l'étendue de la terre depuis l'apparition delà vie ? »

- Georges Clemenceau, « Pour quelques anthropophages », La Justice, 31 mars 1894. p1.

Doc 5. Les guerres allemandes en Namibie

« Combat sanglant dans les sud-ouest africain La garnison allemande de Windhoek, assiégée par les Hereros, débloquée »

- Petit journal supplément du dimanche, 21 février 1904, p 8

.

Doc. 6. Les massacres des Herreros

« Civilisés contre sauvages

Le New Albbote publie une lettre d'un soldat wurtembergeois des troupes occupées à exterminer les Herreros. En voici quelques passages :

« Les Herreros sont maintenant à peu près extirpés, ceux qui n'ont pas péri périront, ou seront obligés de quitter le pays car nous occupons tous les points où l'on trouve de l'eau. Ils ont creusé dans le nord cinquante ou soixante puits, inutilement ; ces trous sont pleins de bœufs, de chèvres et de moutons morts de soif, et autour de chacun de ces puits on voit jusqu'à 30 ou 40 Herreros, hommes, femmes et enfants, également morts de soif. C'est dommage pour tout ce beau bétail perdu ; quant à ces moricauds, je n'ai pas pour eux la moindre pitié. On ne fait plus de prisonniers. Tous les hommes sont fusillés quant aux femmes et aux enfants, nous tirons de leur côté, sans les toucher, pour les mettre en fuite. […] On promet une prime de mille marks pour chaque chef que l'on ramène mort ou vif, et cinq mille marks pour Samuel, leur grand chef. »

Cet état d'esprit est effroyable. Les vrais criminels, ce sont les chefs civils et militaires qui provoquent et utilisent ces férocités bestiales. »

- L’Humanité, 3 janvier 1905, p3.

Question :


2. Que montrent ces articles sur la nature des conquêtes coloniales et l’état d’esprit des troupes ?

Des scandales médiatiques d’une portée limitée

La révélation des violences dans la presse, entraine des réactions politiques ; Loti se voit interdire d’écrire dans la presse. Les violences coloniales font aussi l’objet d’enquêtes. La mission ministérielle « d’enquête approfondie sur la situation générale [au Congo] », est confiée à Pierre Savorgnan de Brazza. Si le rapport n’est cependant jamais publié, les conclusions de l’enquête sont transmises par des membres de la mission et donnent lieu à des séries d’articles dans la presse en 1905.

Après la révélation des violences, quelques mesures judiciaires, politiques, voire commerciales sont prises sans remettre en cause les logiques coloniales.

Doc.7. La mission de S. Brazza au Congo

« J'ai trouvé dans l’Oubangui-Chari une situation impossible. C’est la continuation pure et simple de la destruction des populations sous forme de réquisitions, et bien que tout ait été mis en œuvre dans la région do Krébedjé pour m’empêcher de voir clair dans le passé et surtout dans le présent, j'ai été amené à relever de graves abus de répression commis au moment même où on allait y apprendre l'envoi de ma mission. De plus, j'ai constaté que le portage ayant été aboli à grands fracas, les indigènes de ces régions vont être astreints à un portage plus intensif encore que par le passé. En outre, j’ai pu constater que le département n’avait pas été tenu au courant de la situation réelle des populations indigènes, ni des procédés dont on use à leur égard. On a ici la prétention de tout cacher et on n’admet pas que le ministre puisse envoyer au Congo français une mission dont le but est de voir et de le renseigner, lui ministre. Cette constatation générale et un fait dont je saisis 10 ministres par un dossier complet et qui prouve que nous n’avons plus rien à envier aux Belges en matière de moyens employés pour recevoir l’impôt du caoutchouc m’ont amené à faire des réserves à mon premier télégramme au sujet du maintien de M. Gentil à la tête de la colonie, dans une dépêche envoyée du Haut Oubangui, il y a un mois, au département. Je rentre avec le sentiment que nulle réforme n’est possible sans un changement auquel il doit être procédé. […]

Lettre de M. Brazza, Le Temps, 27 septembre 1905. p1.

Ce que disent les rapports de la mission Brazza

Mais de son rapport se dégagent deux conclusions intéressantes : […] pour obliger les indigènes à payer l’impôt, on se saisit des femmes.  Dans un cas précis, des femmes emprisonnées ont été décimées faute de soins, et il est certain que M. Gentil a fait tout le possible pour punir le coupable. Mais a-t-il défendu à ses agents de razzier les femmes des villages mauvais payeurs ? Rien ne l’indique.»

- Le Temps, 27 septembre 1905. P1,2

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Doc.8. La barbarie coloniale

- L’Humanité, 27 septembre 1905 page 1

.

Doc.10. La persistance de l’esclavage dans les colonies

« La communication faite l'autre jour par M. H.W. Nevinson à la section commerciale africaine de la Chambre de commerce de Liverpool démontre à ceux qui pourraient émettre quelque doute à cet égard, que l'esclavage continue à sévir en certains endroits de la côte occidentale d'Afrique. Bien que la traite des noirs ait été abolie en 1878, la colonie portugaise d’Angola n’a pas cessé, en effet, de pratiquer l’esclavage depuis sa fondation il y a quatre cents ans. Un cinquième de la quantité de cacao expédie dans toutes les parties de l’univers déclare M. Nevinson, est cultivé dans les îles adjacentes de San Thomé et de Principe ; par conséquent, les grands industriels de la Grande-Bretagne, auxquels est fourni le tiers environ de ces approvisionnements, emploient à leur insu, d’une façon indirecte, à peu près le tiers des esclaves de ces îles. […]

Après avoir longuement discuté sur cette intéressante question, la section commerciale africaine de la Chambre de commerce a transmis au Foreign Office un télégramme par lequel elle a instamment demandé au gouvernement de prendre les mesures qui sont en son pouvoir pour abolir le système cruel de l’esclavage.

Cette section a également décidé qu’on demanderait aux principaux établissements de cacao en Angleterre, suivant l’information donnée par M. Nevinson, s’ils pourraient trouver le moyen de s’abstenir d’acheter le cacao produit dans les territoires portugais auxquels il est fait ci-dessus allusion. »

- La Dépêche coloniale, 14 octobre 1907

Question :


3. Montrez que les récits, les comptes rendus qui font scandales amènent l’élaboration d’un discours critique limité sur la colonisation.

Conclusion

La lecture de la presse de la Belle époque montre que la réalité des guerres de conquêtes et des dominations coloniales a régulièrement été évoquée dans la presse ; elle a permis l’expression d’un discours en rupture avec la propagande coloniale majoritaire ; sans pour autant remettre véritablement en question de la colonisation.

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Bibliographie

Alazard Joëlle et Bella Sihem (dir), Nouveaux regards sur l’Afrique coloniale française, 1830-1962, Paris, Bréal, 2021.

Coquery-Vidrovitch Catherine, Le rapport Brazza, le passager clandestin, 2014.

Venayre, Sylvain, Les guerres lointaines de la paix, Gallimard, 2023.

Sibeud Emmanuelle, Blais Hélène, Fredj Claire, « Introduction Sociétés coloniales : enquêtes et expertises », Monde(s), 2013/2 (N° 4), p. 6-22. https://www.cairn.info/revue-mondes1-2013-2-page-6.htm

L’Histoire, « la violence et la guerre », juillet août 2024, un article de S. Venayre et un article de D. Foliard.

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Catherine Pidutti est professeure d’histoire-géographie (Académie de Paris). Elle est membre de l’APHG (Association des professeurs d’histoire-géographie).

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