Écho de presse

Novembre 1917, Petrograd : une rencontre avec Lénine

le 26/10/2018 par Agence Rol
le 23/02/2017 par Agence Rol - modifié le 26/10/2018
Lénine faisant un discours à Moscou ; Agence Rol ; Source Galilca BnF

En pleine révolution d'octobre, un envoyé spécial du "Matin" parvient à parler avec le leader bolchevik.

10 novembre 1917, à Petrograd (Saint-Pétersbourg). Deux jours auparavant, Lénine et Trotsky ont lancé avec succès l'insurrection qui changera à jamais l'histoire de la Russie. Les gardes rouges, conduits par les bolcheviks, se sont rendus maîtres de la capitale, renversant le gouvernement provisoire dirigé par Kerenski, devenu largement impopulaire.

 

En France, l'événement est immédiatement commenté (le 9 novembre, L'Humanité déplore ainsi un "coup d'État" des maximalistes, c'est-à-dire des bolcheviks). Mais si les nouvelles de Russie circulent vite, rares sont les reporters sur place. Il s'en trouve un, pourtant : c'est l'envoyé spécial (anonyme) du Matin.

 

Dès le 10 novembre, celui-ci décrit l'ambiance chaotique qui suit l'insurrection, avec son lot d'événements tragiques. Son texte, objet "de mesures arbitraires et de vexations de la part des maximalistes", ne pourra toutefois être publié que le 15 décembre.

 

"Un monsieur, fort bien mis, se jette sur un garde, lui arrache son fusil. Alors de toutes parts éclatent des coups de feu, les gardes tirent en plein dans la foule. C'est la panique. Au bout d'un moment, je jette un regard de la porte cochère où je m'étais réfugié. […] à quelques mètres de moi, une petite fille est couchée face au ciel. C'est miracle qu'il n'y ait eu qu'une seule victime."

 

La nuit tombée, le reporter se rend à l'Institut Smolny, où se trouve le quartier général des bolcheviks, surpeuplé en ces heures décisives. Aux gardes de l'entrée, il se présente comme le correspondant du Matin et demande à voir "le camarade Lénine". On renâcle. Mais à la faveur d'un mouvement de panique, le journaliste se faufile dans un escalier et tombe sur un matelot qui, sans s'inquiéter de qui il est, le conduit jusqu'au maître de Petrograd.

 

Il se retrouve face à Lénine. Celui-ci, dit-il, a l'air "d'un homme réveillé en sursaut". "Très agité", il accepte de répondre rapidement aux questions du journaliste, qui l'interroge sur la tentative de reconquête de Kerenski :

"Oui, oui, les bandes de Kerensky marchent sur Petrograd, l'heure est très grave. Jamais la liberté de la démocratie n'a couru un aussi grand danger. Mais nous sommes prêts à tout, entendez-vous ? Plutôt que de rendre Petrograd, nous suivrons le grand exemple de la Commune. L'Aurora a l'ordre de tirer jusqu'au dernier de ses obus."

Et d'ajouter :

"Rappelez-vous bien que, quelles que puissent être les péripéties de la lutte, c'est nous qui, finalement, seront toujours les plus forts car nous avons de l'audace, tandis que Kerensky (et Lénine eut un sourire de mépris), c'est un pleutre : il a toujours hésité, il n'a jamais rien fait, il s'est toujours contredit. […] Et vous verrez, les mitrailleuses qu'on monte maintenant sur le toit du Smolny seront bien inutiles, car comme il n'a pas osé se défendre j'espère bien qu'il n'osera pas nous attaquer."

Et plantant là le journaliste, "Lénine tourna les talons". Le leader bolchevik avait raison d'être confiant : le 12 novembre, les forces menées par Kerenski étaient défaites par les gardes rouges.