Révolution russe : ce qu'en pensait L'Humanité
En 1917, le quotidien socialiste soutient d'abord la Révolution en Russie – mais cette position devient difficilement tenable dès lors que la poursuite de la guerre est mise en cause.
Alors qu'en 1905, L’Humanité faisait partie des titres très engagés dans le soutien à la première Révolution russe, la situation du journal socialiste est bien plus ambigüe en 1917.
C'est d'abord avec enthousiasme que la nouvelle de la chute du régime tsariste, en février, est accueillie par le quotidien, qui ne peut que se réjouir de l'avènement d'une Russie nouvelle, guidée par les principes du socialisme. Marcel Cachin (directeur historique de L'Humanité, de 1918 à 1958) déclare ainsi en mai 1917 :
« C'est le socialisme qui est l'âme de la Révolution. C'est à lui qu'on doit la naissance de cette grande République de 170 millions d'habitants. »
Mais ce soutien total à la Révolution russe devient de plus en plus difficile à tenir dès lors qu'elle remet en cause la poursuite de la guerre. Car en proposant la paix, le nouveau gouvernement bolchevik inquiète les puissances de l'Entente. La Russie est en effet un colossal réservoir d'hommes dont elles ne peuvent imaginer se passer, d'autant que la lassitude sur le front grandit.
En France, le Parti socialiste, dont L'Humanité est l'organe de presse, s’est rallié à l’Union sacrée appelée de ses vœux par Raymond Poincaré dans son message aux assemblées du 4 août 1914 :
« Dans la guerre qui s'engage, la France aura pour elle le droit, dont les peuples, non plus que les individus, ne sauraient impunément méconnaître l'éternelle puissance morale. Elle sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l'ennemi l'union sacrée et qui sont aujourd'hui fraternellement assemblés dans une même indignation contre l'agresseur et dans une même foi patriotique. »
Le 24 mars 1917, le journal socialiste affirme sans détour :
« Nous sommes en guerre. Et la première question qui se pose est celle-ci : quelle répercussion aura la Révolution russe sur la marche et sur l'issue de la guerre ? »
Prise en étau, L’Humanité tarde à envoyer un envoyé spécial sur place. Son nom apparaît dans les colonnes du journal le 25 octobre, et il est ainsi présenté aux lecteurs :
« Nous donnons aujourd'hui la première lettre de notre envoyé spécial en Russie. Notre camarade Boris Kritchewsky, qui depuis plusieurs années traitait avec talent à l'Humanité les questions de politique extérieure, nous enverra régulièrement de Pétrograd des correspondances sur les événements russes.
Nos lecteurs suivront certainement avec intérêt ces études d'un écrivain averti et clairvoyant. Ils y trouveront une source précieuse de documentation sur les phases mouvementées que traverse la jeune Révolution russe. »
Le premier reportage du camarade Kritchewsky commence ainsi :
« Parmi les impressions tumultueuses qui assaillent et empoignent tout nouveau venu dans la capitale de la Révolution, celui qui écrit a été frappé surtout par le contraste entre le calme flegmatique de la population et l'orage des passions qui ne cesse de gronder dans le monde politique. Il n'en a certainement pas été ainsi pendent la lune de miel de la Révolution. Et ce contraste est d'autant plus tragique que la crise que traversent le pays et la Révolution est en ce moment plus aiguë que jamais.
Des deux dangers qui guettent la Russie nouvelle, danger de l'invasion et danger de l'anarchie, lequel est le plus grave, le plus imminent ? Tout ce que j'ai vu et entendu depuis mon arrivée, il y a huit jours, fait penser que le danger intérieur prime l'autre. »
Qui est ce Boris Kritchewsky ? L'homme est un Russe réfugié en France depuis le début du siècle, un socialiste qui s’était très fortement opposé à Lénine dès les prémices du mouvement socialiste en Russie. Il arrive donc avec un contentieux avec Lénine – ce dont le lecteur n'a aucune idée.
La prise de pouvoir de Lénine, partisan de la paix immédiate, lors de la Révolution d'Octobre, est qualifiée de coup d'État par L'Humanité, qui s'inquiète de ces « nouvelles d'une extrême gravité ».
La fin de la guerre simplifiera la position de L'Humanité ; dès lors, la publication ne cessera de marquer son soutien inconditionnel à la Révolution russe.