80 ans du CNR : « Aux mous, aux tièdes, aux ignorants », l'appel de la presse de résistance
C'est avec des mots forts et d'une grande justesse qu'à la fin juillet 1941, la feuille résistante Les Petites Ailes attaque le collaborationnisme français. Plus que tout, elle s'adressent aux indécis « mous », « tièdes » et « ignorants », et met en lumière l'horreur réelle de l'Allemagne nazie.
A partir de la signature de l’armistice du 22 juin 1940 signé entre le Troisième Reich et le nouveau gouvernement du Maréchal Pétain, la France entre activement dans la collaboration. Sous le régime de Vichy, le pays est divisé en deux, avec une zone occupée s’étendant au nord et à l’ouest de son territoire. La presque totalité de l’Europe est alors sous domination allemande.
Les Petites Ailes est une feuille résistante, d'abord plutôt favorable au régime de Pétain. Elle fait partie de ces journaux clandestins qui paraissent de manière irrégulière à compter de 1940. Circulant à la fois en zone occupée et en zone libre, elle est fondée par le résistant Jacques-Yves Mulliez, autrefois Croix-de-feu. Dans un texte paru à la fin du mois de juillet 1941, tandis que Mulliez tente de se réfugier en zone libre pour échapper à la Gestapo, une mise en garde très claire (et très patriotique) est donnée aux lecteurs sur le danger que représentent l’Allemagne nazie et son « talon de fer ».
Il est désormais temps de se mobiliser.
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AUX MOUS, AUX TIÈDES ET AUX IGNORANTS
Français, une propagande insidieuse car dirigée ou contrôlée par l’Allemagne cherche à jeter le trouble dans nos consciences. On voudrait que vous ne sachiez plus très bien à quel ennemi vous devez faire face. On vous parle du bolchevisme. On vous parle de la perfide Angleterre. Mais on se garde bien de vous rappeler ce que c’est qu’un nazi.
On jette un voile pudique sur une doctrine qui prêche l’anéantissement de la France. On oublie de citer MEIN KAMPF. On feint d’ignorer que la théorie du nazisme est mise en pratique partout où les Allemands sont les maîtres.
On passe sous silence ce qu’endurent nos Alsaciens et nos Lorrains, tous ceux qu’une doctrine impitoyable a désignés en pâture au fanatisme nazi.
Car le nazisme est une religion, une religion intolérante de conquérants, une religion qui s’impose par le fer et par le feu, une religion qui s’exporte sous forme de bombes et de tanks.
De bons princes vous diront que le nazisme n’est pas un article d’exportation. Avec des allures patelines, les mains sous le froc, ils demanderont que le dieu d’Hitler, le bon vieux dieu germanique vous éclaire sur les pures intentions de la race allemande, qui ne veut que votre bien, en brûlant vos maisons et en mitraillant vos femmes et vos enfants. D’une air compatissant, il s’associeront à ceux d’entre vous qui font pénitence et s’accusent sur la poitrine de leurs adversaires, en désignant à la colère publique des responsables qui sont comme par hasard des ennemis du nazisme.
Français, allez vous tomber dans ces pièges grossiers ? Français de la zone dite libre, serez-vous moins perspicaces que vos frères de l’autre côté, parce que vous souffrez moins, parce que les occupants sont moins visibles, parce que leur talon pèse moins lourdement sur votre nuque ?
La vérité c’est que ceux-là même qui ont divisé la France pour l’envahir plus facilement, travaillent plus que jamais à prolonger et à multiplier les divisions entre Français. Ils savent trop bien qu’en opposant les uns aux autres les habitants des deux zones, en éternisant nos stupides querelles d’hier, en dressant les uns contre les autres ceux de droite et ceux de gauche, les partisans et les adversaires des curés, les amis et les ennemis du Front populaire, tous les philes et tous les phobes, ils vouent notre pays à l’impuissance et à l’esclavage. Ils savent trop bien quelle ferveur implacable anime les pays qui se sont refusé à faire leur jeu, la Pologne, la Norvège, la Hollande, la Serbie, la Grèce, tous ces peuples qui ne connaissent qu’un seul ennemi : l’envahisseur.
Et la France, la France qui a triomphé de tant d’invasions, la France de Charles Martel, la France de Jeanne d’Arc, la France de 1792, la France de la Marne, c’est la France qui attendrait une leçon et un exemple ? C’est aux Français égarés par leurs mesquines passions qu’il faudrait rappeler que la France est et reste l’ennemie n°1 désignée par la doctrine hitlérienne ?
Car, qu’on veuille ou non, la vérité est là. Les sourires de certains hauts dignitaires nazis, qui boivent nos vins à notre santé, n’y changeront rien. En théorie et en pratique, l’Allemagne d’Hitler projette depuis huit ans et réalise depuis cinq ans – systématiquement – l’anéantissement total de la France. Voilà la rude vérité que certains ne veulent pas entendre, la vérité dont tout Français devrait être obsédé, la vérité qui devrait guider notre conduite quotidienne, en nous enseignant une résistance de tous les instants.
Mais trop de Français ressemblent à ces malades qui devinent la gravité du danger, sans avoir le courage de consentir aux sacrifices qui les sauveraient. Français qui fermez les yeux sur l’affreuse vérité, Français qui préférez vos petites querelles à la grande croisade qui seule libérera et purifiera le pays, sachez bien que vous faites le jeu de l’ennemie, sachez bien que vous trahissez, par mollesse et par tiédeur, l’âme et le corps de la France !
Car le nazisme est l’ennemi juré de la France : il en veut à toute son histoire ; il en veut à son corps et à son âme, et déjà il souille l’un et l’autre. Il feint de les épargner. Mais ce faux respect ne sert qu’à endormir les méfiances. De cet horrible contact avec l’occupant, la France des deux zones sort chaque jour plus humiliée, plus languissante, plus étrangère à elle-même. On la persuade qu’elle vit – alors qu’on s’apprête sadiquement à violer une morte !
Vous voulez des preuves ? En voici aujourd’hui quelques unes. D’autres suivront.
La doctrine national-socialiste prêche une religion : celle de la race, et elle célèbre un culte : celui du sang.
Vous croyez peut-être que cette race et que ce sang sont un simple thème à méditation sur le passé, comme celles qu’inspirèrent à Maurice Barrès la Terre et les Morts ? Ce serait ignorer profondément la frénésie hitlérienne. Écoutez cette jeunesse allemande, ivre de conquêtes et de domination – écoutez-la clamer dans le tumulte infernal des tanks et l’horreur des pays dévastés :
« Nous exterminerons la France en vainqueurs que rien n’arrête…
Les Welches seront nos esclaves et partout régnera la paix germanique... »
Vielles chansons, direz-vous, en pensant à la soldatesque de 1914 ? Erreur ! Sachez que les anciens textes ont été adaptés et que la nouvelle doctrine a enrichi le vocabulaire de tout un arsenal de termes méprisants qu’un enfant de dix ans apprend dans les camps de jeunesses hitlériennes. Choisissons au hasard : « Français, nation de nègre » – « Ces avortons et ces signes de la civilisation » (Il s’agit de nous, bien entendu) – « Peuple lubrique et sale » – et enfin cette perle : « la femelle française aux cris hystériques... ».
Comment le sang allemand se mêlerait-il à un sang aussi impur ? Et comment échapper à la tentation ? C’est bien simple. Tout d’abord faire de chaque Français et de chaque Française un citoyen de seconde zone, légèrement, mais très peu au-dessus des Juifs, bon à certains travaux subalternes et dégradants. Ensuite, faire de la France elle-même, ou plutôt de ce qui en restera, un vaste quartier réservé, où les maîtres du monde viendront se délasser et se prélasser. La France donnera à ces Messieurs ses jardins, ses fruits, ses douceurs ; pour eux, elle formera ses plus belles femmes, ses meilleurs artistes, ses amuseurs les plus variés.
Que dis-je ? Ne le fait-elle pas déjà ? N’a-t’elle pas déjà commencé ? Une France agricole et vinicole, parsemée de théâtres et d’hostelleries, tel sera demain, tel s’apprête à être notre pays.
Vous protestez ? Vous criez à l’exagération ? Dites-vous bien et dites autour de vous que ces plans figurent avec tous les détails dans la littérature à l’usage des jeunesses hitlériennes. Dites-vous bien et dites autour de vous que ces témoignages de mépris sont imprimés en toutes lettres dans des petits livrets qui se distribuaient dans les lignes allemandes en mai 1940, à la veille de l’invasion de la France.
Et si vous hésitez encore, dites-vous bien et dites autour de vous que cette vision de la France asservie est inscrite tout entière dans la théorie raciste et en particulier dans « Mein Kampf » car le racisme allemand n’est pas seulement le culte du passé, mais l’affirmation de la supériorité et des droits à la domination universelle. La race dominatrice impose sa volonté dans tous les domaines.
Elle distribue les rôles selon les mérites, dont elle se proclame seule juge, et elle attribue à chaque peuple sa corvée et sa pitance définitives.
Voilà la France de demain, si vous vous obstinez à fermer les yeux, et si vous persistez dans vos sottes et criminelles querelles de partisans !
Et à ceux qui voudraient vous persuader que la France, dans cette dure hiérarchie, aurait un rôle acceptable, et peut-être même un beau rôle, il vous suffira de montrer les premiers signes de cette soumission à la race supérieure : la France systématiquement dépouillée de ses richesses, humiliée chaque jour par mille contraintes matérielles et morales, la France traitée déjà en fille mineure, en fille soumise, à coup de triques et de mensonges !