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1912 : le « bandit » Zapata terrorise un Mexique en révolution

le 27/10/2023 par Francis Dortet
le 26/10/2023 par Francis Dortet - modifié le 27/10/2023

Tandis que le Mexique s’enlise dans une guerre civile qui durera dix ans, le journal de centre-droit La Liberté fait le récit des « pillages » du « Attila du Sud », le turbulent révolutionnaire et défenseur des paysans Emiliano Zapata.

Fin 1910, le président-dictateur mexicain Porfirio Diaz est écarté du pouvoir à la suite d’un soulèvement national fomenté par le libéral Francisco Madero. C’est le début de la révolution mexicaine et d’un climat de guerre civile qui se poursuivra jusqu’en 1920. Dans ce contexte hautement troublé une figure émerge, celle d’Emiliano Zapata, petit propriétaire terrien de l’État du Morelos, près de Mexico, qui souhaite la restitution immédiate aux villageois des terres collectives confisquées par l’État mexicain plusieurs décennies auparavant. Zapata devient chef de guerre pour Madero au début de l’insurrection, puis se retourne contre lui lorsque le nouveau président cherche à se débarrasser de cet allié de plus en plus incontrôlable.

Dans un article de février 1912, le journaliste et homme politique Francis Dortet commente pour La Liberté, ahuri, les exploits du révolutionnaire « sanguinaire » rependant la « terreur » parmi les haciendas mexicaines, s’interrogeant au passage sur la mythologie du « fantasque » général Zapata en train de se construire.

Zapata, un aventurier mexicain

Pour le plus grand ennui du gouvernement mexicain et le plaisir des amateurs d’émotions romanesques, il existe encore d’authentiques brigands. Zapata est du nombre. De temps à autre, les dépêches du Mexique nous signalent quelque exploit de sa bande tout en annonçant que l’ordre sera bientôt restauré. Mais, comme pour démentir la nouvelle, les Zapatistes ne tardent pas à faire encore parler d’eux. Tantôt c'est un raid hardi jusqu'aux portes d'une ville, tantôt le pillage d'un village ou encore une sanglante escarmouche avec les troupes fédérales.

Et, toujours, Zapata se défie. Impossible d'atteindre ce chef qui répand la terreur. Les journaux locaux, avec une exagération d’ailleurs toute méridionale, l'appellent « l’Attila du Sud ». En vérité, il ne ressemble guère au portrait que nous imaginons du farouche roi des Huns.

D'après ceux qui l'ont approché, Zapata est un homme d’une taille au-dessous de la moyenne, mais vigoureux et leste, dont le profil régulier et le teint bronzé indiquent un type très espagnol. Deux yeux noirs bistres que protègent d’épais sourcils, une forte moustache foncée comme de l'encre de Chine, des cheveux très drus donnent à sa physionomie un caractère décidé et même brutal.

C’est ce personnage qui persiste à tenir en échec dans l’ Etat de Morelos le président Madero. Le jeune successeur de Porfirio Diaz a surmonté toutes les autres difficultés qui entravaient l'établissement du nouveau régime. Abandonné par ses amis de la veille et les derniers adversaires politiques sérieux du mouvement madériste, le général Reyes a dû capituler lamentablement. Il termine en prison une carrière jusque-là noble et bien remplie. Partout, le calme semble renaître, d’autant que la crainte des Etats-Unis est, pour les Mexicains, le commencement de la sagesse. Seul, Zapata ne désarme pas.

Lorsqu’en décembre 1910, Francesco Madero (qu’au Mexique on appelle populairement Don Sancho) était lui-même en état d’insurrection dans la province de Sonora, il eut l'imprudence de bénéficier de l'alliance de cet aventurier. Zapata vint le trouver à son camp et lui offrit de soulever les provinces de Morelos, d’Oaxaca et de Guererro s’il lui fournissait les munitions et l'argent nécessaires. Madero accepta et, sur ses fonds personnels, fit les avances que réclamait Zapata. Il faut dire du reste que celui-ci, avant la campagne contre Porfirio Diaz, ne s’était pas révélé le grand coureur de chemins qu’il devint dans la suite.

Durant les incessantes guérillas qui marquèrent la chute du vieux président, il acquit une audace de plus en plus débordante. Les récits calabrais des temps héroïques pourraient seuls donner une idée des exploits qui affirmèrent son désastreux prestige. Haciendas dévastées, voyageurs rançonnés, exécutions sommaires des paysans qui résistaient, embuscades dressées contre les soldais réguliers, tels étaient ses jeux quotidiens. Ceux qui ont lu les relations de la campagne des Français au Mexique ont pu voir combien le pays est propice à cette guerre d’embûches. La province de Morelos, très accidentée, impossible à défendre sans d’imposantes forces de police montée, devint rapidement le fief de Zapata.

Dès son accession au pouvoir, Madero, que cette agitation avait pu servir un instant, somma son dangereux auxiliaire de mettre bas les armes. L’autre fit la sourde oreille. Il avait si bien pris goût au pillage et à l'assassinat qu’il entendait désormais mener une existence de chef indépendant.

Un jour, néanmoins, il se rendit à Mexico sous prétexte de traiter avec Madero. Il promit de rester tranquille si on le dédommageait avec 30 000 pesos. Un traité de paix fut conclu et, pendant plusieurs semaines, on se crut à l’abri de ses attaques.

Au mois de juillet dernier, il rentra en compagne, en dépit de ses engagements. Depuis, à la tête d’une petite armée de desperados, gens de sac et de corde recrutés parmi les dévoyés et les malandrins du pays, il terrorise les rurales, leur extorque de l'argent et les pend par-dessus le marché.

Au lieu de punir énergiquement ces méfaits, le gouvernement a pendant trop longtemps adopté une attitude passive. Les garnisons avaient ordre de se défendre contre les incursions du bandit, mais non de prendre une vigoureuse offensive. Voilà seulement un mois qu’il a été décidé qu’on s'emparerait coûte que coûte du bandit.

Zapata n'en a pas moins profité de l’inactivité passée pour mettre l’État de Morelos en coupe réglée. Des paysans ont été affreusement mutilés. Des femmes et des enfants n’ont pas trouvé grâce devant sa fureur. Un grand nombre d’étrangers ont fui. Naturellement, la bande de Zapatistes s'est grossie de tous les éléments violents que mécontente la fin de la révolution. Il y a toujours des gens qui, durant les heures troubles, croient qu’après coup il n'y aura qu'à se partager les propriétés. Zapata a réuni autour de lui toutes les haines.

Aux Madéristes, furieux de n'avoir pas touché de vastes récompenses pour leurs services, il dit : « Prenez ce fusil et suivez-moi, je vais vous donner ce qu'on vous a promis et ce que vous n’avez point reçu ! » Les desperados forcenés le suivent à la curée. Point d'organisation militaire dans ces troupes recrutées à tous les hasards. Elles se battent, selon l’occasion, au fusil ou au couteau. Il n’y a pas de chefs ; les bandits délibèrent à voix égales dès qu'il y a une importante délibération à prendre et s’en remettent à Zapata pour l’exécution de leurs projets. Ils partagent ensuite les dépouilles de l’ennemi.

Récemment, les Zapatistes s'emparèrent d'un propriétaire de mines américain et commencèrent par exiger de lui un bon prix pour sa liberté. Après qu'il eût versé l'argent, on le retint cependant prisonnier. Durant la nuit, il entendit ses gardes discuter non pas à quelle sauce il serait mangé, mais de quelle manière il serait exécuté...

Heureusement pour lui, il ne perdit pas son sang-froid. Dès le lendemain, il engagea la conversation avec Zapata et lui parla de deux magnifiques coqs de combat qu'il possédait. Le bandit s'y intéressa fort : « Je vous dévoilerai l'endroit où je les élève et vous en ferai cadeau, si vous me promettez la vie sauve », proposa l'Américain. Zapata demanda conseil à ses compagnons. Ils acquiescèrent. Le prisonnier alla donc sous escorte chercher ses coqs et une lutte effrayante s’engagea entre les deux oiseaux quand on les mit en présence. Un tel spectacle enthousiasma Zapata au point qu’il ne voulut pas laisser partir le prospecteur sans lui offrir un champagne d’honneur... Il n'alla pas jusqu’à lui rendre les pesos de sa rançon, mais l’Américain, comme vous pensez bien, ne demanda pas son reste.

Fantasque et sanguinaire, Zapata continue la série de ses raids. Il est fort probable qu'avant peu il sera trahi par quelqu’un des siens ou qu'il tombera au pouvoir des autorités mexicaines, décidées à sévir. Il conservera du moins la renommée d'avoir semé dans le pays une terreur jusqu'alors inconnue. Il égale Cartouche et quand la légende aura encore ajouté autour de son nom une auréole de mensonges plus effroyables encore que la réalité, il méritera évidemment le surnom de « Fléau du Mexique » que lui décernent ses contemporains. Et puis, « Zapata », quel joli titre pour un roman !