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La Guerre d’Espagne à la une, 1936-1939
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Au XVIIe siècle, il n’était pas rare que les marins européens – et notamment français – soient agressés en pleine mer par des corsaires d’Afrique du Nord. Un certain nombre d’entre eux étaient alors réduits à l’état d’esclave, devenant monnaie d’échange entre royaumes et « brigands ».
Gillian Weiss est historienne. Elle travaille sur l’histoire de la Méditerranée et s’intéresse à la question de l’esclavage au sein de cette zone géographique à l’époque moderne. Elle est notamment l’auteure de Captifs et corsaires. L’identité française et l’esclavage en Méditerranée paru en 2014 aux éditions Anacharsis.
Ensemble, et dans le cadre de ses interventions au festival L’Histoire à venir, nous sommes revenus sur les modalités d’emprisonnement des marins européens kidnappés par les corsaires maghrébins au XVIIe siècle.
Propos recueillis par Julien Morel.
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Gillian Weiss sera présente au festival L’Histoire à venir qui aura lieu à Toulouse du 23 au 26 mai 2019.
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RetroNews : Tout d’abord, comment des marins français pouvaient-ils se retrouver, à la suite d’un enlèvement, esclaves de « pirates » méditerranéens ?
Gilian Weiss : Il faut savoir que plusieurs formes de servitude étaient alors communes à tous les peuples des pourtours de la Méditerranée – elles le sont d’ailleurs demeurées longtemps. En ce qui concerne les rapports entre la France et les soi-disants « barbaresques », il ne s’agissait pas simplement de marins français capturés en mer par des corsaires maghrébins. Les marins français le faisaient également. Et notamment sous Louis XIV : les agents royaux non seulement prenaient mais aussi achetaient des hommes ; ils les appelaient les « esclaves turcs » et ces derniers leur servaient à ramer sur les galères. Dans le même temps, la France entretenaient des accords commerciaux avec l’empire ottoman (par ailleurs très critiqués par les royaumes rivaux européens), et signait des pactes bilatéraux avec le Maroc, l’Alger, le Tunis et le Tripoli, censés couvrir ses sujets lorsque ceux-ci naviguaient.
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Tout cela signifie que souvent, les écumeurs des mers – des deux côtés – qui soumettaient les marchands et pèlerins à l’esclavage contrevenaient à ces traités franco-maghrébins.
Il faut toutefois rappeler que la diplomatie et les défenses des côtes ont donné plus de protection à la France qu’à n’importe quel pays européen. La France n’a jamais subi d’attaques littorales de l’échelle de celles connues par l’Islande ou l’Irlande – où des villages entiers d’hommes et femmes étaient parfois enlevés ! La France a connu un pic d’enlèvements vers la moitié du XVIIe siècle, qui a peu à peu chuté à la suite des grands bombardements entrepris par France dans les années 1680 et 1690.
Peut-on établir un profil-type de ces « brigands » de la mer Méditerranée ?
Avant que les grandes puissances européennes ne fondent leurs propres gardes navales, certains patrons de bateaux du continent pouvaient du jour au lendemain se transformer en corsaires temporaires, munis de « lettres de marque ». On retrouvait aussi beaucoup de missionnaires chrétiens, qui opéraient notamment dans la partie ouest de la Méditerranée : les chevaliers de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, à Malte, ou les chevaliers de Santo Stefano à Livourne, se proposaient de « protéger la mer » des « Infidèles », mais travaillaient également à capturer des hommes – et à les vendre.
En Afrique du Nord, les villes de Salé (Rabat, aujourd’hui), Alger, Tunis ou Tripoli hébergeaient de nombreux corsaires. Dans ces provinces limitrophes de l’empire ottoman, ces derniers arrivaient à fédérer un certain nombre de marins à leur service ; ils pouvaient se servir de navires qu’ils avaient construits eux-mêmes, quoique la plupart du temps ils recyclassent les vaisseaux de leurs ennemis. Pour approcher leurs « proies », ils se faisaient passer pour des bateaux amis, notamment en dressant de faux pavillons, avant d’attaquer.
Quelles étaient les origines ethniques et sociales de ces corsaires ?
Au XVIIIe siècle, les corsaires basés au Maghreb avait des origines très diverses. On retrouvait aussi bien des morisques – chrétiens descendants de musulmans – de la péninsule ibérique comme des janissaires chrétiens de l’empire ottoman. Cependant les corsaires les plus réputés d’alors étaient souvent des Européens nouvellement convertis à l’islam – des Grecs, des Hollandais, des Anglais, des Français…
Ce qui signifie que ces corsaires n’étaient pas du tout ethniquement ou linguistiquement homogènes. Et leurs équipages, qui comprenaient aussi bien des marins libres que serviles, l’étaient encore moins. Ils communiquaient entre eux en alternant le provençal, l’arabe, l’italien, le turc et l’espagnol, ou en utilisant une langue hybride, la lingua franca.
Existait-il des modalités légales particulières concernant les rançons demandées aux royaumes européens en vue de rapatrier leurs sujets ?
Avant Louis XIV, les Français détenus en Afrique du Nord pouvaient sortir soit à la suite d’un échange – contre un corsaire capturé, donc –, soit via le paiement d’une rançon. Ces deux modes de libération étaient, la plupart du temps, organisés à titre individuel. Parfois le captif empruntait lui-même l’argent afin de sortir sur le champ ; parfois, lors de la capture d’un sujet plus réputé, l’argent était mobilisé en France et arrivait sur place en passant entre les mains de plusieurs intermédiaires embauchés par la famille, la municipalité, etc. D’autres captifs enfin pouvaient bénéficier d’un rachat par des ordres chrétiens, les frères de la Sainte Trinité (les Trinitaires) ou les Pères de la Merci (Mercédaires) notamment.
Les négociations fructueuses en vue de libérer des Français kidnappés dépendaient beaucoup de la qualité des intermédiaires. Ils devaient être polyglottes, expérimentés et entretenir de bonnes relations avec les pouvoirs maghrébins. Aussi, le prix de rachat d’un esclave français était extrêmement variable. Certaines compétences particulières – le calfatage, par exemple – pouvait avoir beaucoup de valeur. Enfin, la qualité du captif entrait évidemment en ligne de compte : un chevalier de l’ordre de Malte coûtait beaucoup plus cher qu’un simple marin…
Devant le nombre d’exactions et les rançons exigées par ces corsaires, une mythologie du « brigand » des mers s’est-elle développé à l’échelle du pourtour méditerranéen ?
La peur généralisée des « barbaresques » se préservait alors en ballades, en folklore. Mais cette forme de mythologie autour des brigands ne célébrait pas leurs exploits envers l’autorité, comme ça pouvait être le cas pour les pirates de la Caraïbe au même moment.
Aussi, les bombardements brutaux du Royaume de France contre Alger et Tripoli au cours des années 1680 et 1690 n’ont peut-être pas fait peur toute de suite, mais les gouvernements de ces provinces – ainsi que le sultanat du Maroc – ont été forcés de reconnaitre la puissance navale de la France ; de fait, ils ont été contraints de maîtriser leurs corsaires et de les obliger à se tenir calmes.
Quel était le point de vue de la France vis-à-vis de ses sujets « déchus » ?
Avant l’essor du commerce triangulaire et dans le contexte de la Méditerranée, déchoir à l’état d’esclave signifiait être contraint par ses nouveaux maîtres de voyager en mer. Loin d’être vu comme une pratique « barbare », la réduction du statut d’être humain à esclave était, si l’on peut dire, dans l’ordre de choses. On pouvait considérer cela comme de la simple malchance et l’expliquer par la différence religieuse entre christianisme et islam.
Durant une longue période, la monarchie française s’est montrée suffisamment puissante pour empêcher la plupart de ses sujets d’être capturés en Méditerranée puis détenus au Maghreb. C’est pourquoi, au lieu d’être vu comme un passage horrible quoiqu’inéluctable, « l’esclavage barbaresque » est peu à peu devenu pour les Français une condition extraordinaire et parfaitement inacceptable. Et dans le même temps la piraterie, si commune auparavant, est devenue du point de vue français, l’apanage d’ethnies « non-civilisées ».
Plus tard, lorsque le terme « esclave » est devenu associé à la condition des Africains noirs, dans certains milieux l’existence même de quelques Européens blancs encore détenus en captivité s’est révélée insoutenable.
D’un point de vue pratique, que signifiait alors « être esclave » pour un équipage de corsaires ?
Ce que nous savons des expériences des captifs chrétiens au Maghreb, nous le tenons de lettres envoyées et de récits qu’ils ont eux-mêmes rédigés a posteriori. Outre ces lettres, nous disposons également de documents produits par des agents de l’Église et de l’État qui cherchaient à convaincre leurs lecteurs d’intervenir au plus vite afin d’aider leurs coreligionnaires. C’est pourquoi il est plus prudent de considérer ces sources d’un œil critique.
En tout cas, il paraît évident qu’« être esclave » au Maghreb à l’époque moderne ne peut se résumait à un état : celui-ci différait largement selon l’endroit de la captivité, le maître, le sexe, le statut initial du captif, etc. D’abord, lorsqu’un corsaire d’Alger, de Tunis ou de Salé rentrait à port avec une bonne prise, le dey, bey ou sultan avait le droit de ponctionner un certain pourcentage sur cette marchandise – qu’elle soit matérielle ou humaine. Aussi, un chirurgien de navire, choisi pour devenir médecin à la Cour du sultan, vivait une captivité incomparablement plus douce qu’un simple marin forcé de travailler aux travaux publics ou qu’un gentilhomme réduit à cacher sa condition de noble et qui se retrouvait cordelier, ouvrier agricole, porteur d’eau ou domestique…
On a en revanche beaucoup moins d’informations sur le sort des femmes chrétiennes captives au Maghreb : d’une part parce qu’il en y avait beaucoup moins que les hommes, mais aussi parce qu’elles n’ont pas laissé autant des traces documentaires.
L’image de l’esclave chrétien forcé de renoncer à sa foi en Afrique du Nord constitue en revanche pour une large part un fantasme. Bien sûr, un certain nombre de captifs se sont convertis pour devenir ce que les Européens appelaient des « renégats ». Cependant, en général ils avaient la possibilité de pratiquer leur religion, non pas par droit mais par principe de réciprocité. Dans certaines villes, les Français catholiques pouvaient célébrer leurs cultes dans les chapelles des bagnes dans lesquels ils étaient emprisonnés ; les huguenots pouvaient également célébrer le culte réformiste chez les consuls anglais ou hollandais sur place. Cependant, dans les années 1680, les Protestants français réfugiés constataient plus de pression religieuse au Maghreb de la part des prêtres français que des maîtres musulmans.
Restait-il encore quelques derniers sujets français captifs lors de la prise d’Alger en 1830 ?
Non, il ne restait que très peu de chrétiens en fer au début du XIXe siècle au Maghreb – et peut-être un ou deux Français. Cependant, l’abolition de l’esclavage des Blancs et la suppression de la piraterie « barbaresque » sont alors devenus des prétextes pour entreprendre l’expédition française et ainsi, débuter la colonisation. Les partisans du projet colonial cherchaient alors à l’inscrire dans une forme d’héroïsme vis-à-vis de l’islam, dont l’histoire prendrait sa source avec Saint-Louis. Les journaux de l’époque vantaient l’idée que « la société mahométane s’incline devant la civilisation chrétienne », créditant notamment Louis XIV d’avoir « châtié » les pirates et Charles X d’avoir « vengé » « l’honneur de la France ».
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Gillian Weiss sera présente au festival L’Histoire à venir qui aura lieu à Toulouse du 23 au 26 mai 2019. Elle participera aux événements suivants :
- Des minorités aux communautés : coexistence religieuse et vie en commun dans les sociétés prémodernes
- Explorations méditerranéennes
- Esclavages en regard