Auguste Maquet, l'écrivain dans l'ombre de Dumas
Les Trois mousquetaires, Le Comte de Monte-Cristo, La Reine Margot... Autant de romans écrits en collaboration par Alexandre Dumas et Auguste Maquet, mais signés de Dumas seul. Dans les années 1850, une bataille judiciaire très commentée opposa les deux auteurs.
En 1838 a lieu une rencontre qui sera à l'origine de quelques-uns des romans les plus célèbres de tout le XIXe siècle – mais aussi d'une des plus grandes injustices de l'histoire des lettres...
Tout commence lorsque l'écrivain et poète Gérard de Nerval présente à Alexandre Dumas un de ses amis, Auguste Maquet, âgé de 27 ans. Fréquentant les cercles romantiques, celui-ci collabore anonymement à certains écrits de Nerval et se fait alors appeler « Auguste Mac Keat ». Il rêve de gloire littéraire, mais ne parvient pas à faire jouer la pièce qu'il a écrite, Un Soir de carnaval.
Dumas, par l'entremise de Nerval, va accepter de reprendre et d'améliorer cette dernière. Il la renomme Bathilde, mais ne la signe pas pour autant.
Pour le remercier, Auguste Maquet va alors donner à Dumas un roman historique, Le Bonhomme Buvat, qu'il n'a pas réussi à publier, faute de notoriété. Dumas, qui a besoin d'argent pour payer ses dettes, accepte : il remanie le texte et en change le titre pour Le Chevalier d'Harmental. Publié en feuilleton sous son seul nom dans Le Siècle à partir du 28 juin 1841, le roman va rencontrer un vaste succès.
C'est le début d'une fructueuse collaboration entre les deux hommes, qui durera jusqu'en 1851. Les Trois mousquetaires (1844), Le Comte de Monte-Cristo (1844-1845), Vingt ans après (1845), La Reine Margot (1845)... Tous ces romans, devenus depuis des classiques, sont écrits à deux : Auguste Maquet amène une première version, Alexandre Dumas en réécrit de nombreux passages, en développe d’autres (les journaux payent à la ligne !) et apporte à l’œuvre son style vivant et imaginatif.
Mais à chaque fois, en vertu du pacte qu'ils ont signé, Dumas signe seul. Sauf en ce qui concerne les pièces de théâtre tirées des romans : c'est le cas pour Les Trois mousquetaires, joué en 1845 au Théâtre de l'Ambigu-Comique, ce qui vaut à Maquet ces quelques lignes dans la recension faite par Le Constitutionnel :
« THEATRE DE L'AMBIGU-COMIQUE. LES MOUSQUETAIRES, Drame en cinq actes et en douze tableaux, de MM. Alex. Dumas et Aug. Maquet. [...]
M. Alexandre Dumas, qui avait composé le roman, a composé le drame ; il n'a fait qu'user deux fois de son bien. Cependant, M. Auguste Maquet a pris et avoué, pour le drame, une part de paternité. Nous en sommes bien aise ; M. Auguste Maquet est un jeune homme instruit, spirituel, plus grand inventeur que jusqu'ici sa réputation ne semble l'annoncer ; c'est que M. Auguste Maquet prête souvent son savoir et son esprit aux autres, et qu'après l'avoir prêté, il reste modestement dans l'ombre, et ne demande pas même, dans la publicité, une part légitime d'intérêt pour ce prêt généreux.
Cette fois, du moins, M. Maquet n'a pas refusé de placer son imagination au taux courant de l'affiche ; il a jeté en plein parterre son nom et son prénom, tout comme un autre, Auguste Maquet, sans une lettre de moins, et s'est nommé au milieu d'un succès ; on ne pouvait mieux prendre son temps ni mieux choisir l'occasion. M. Maquet fera bien d'en garder l'habitude. »
La même année, pourtant, Eugène de Mirecourt révèle dans son pamphlet Fabrique de romans – Maison Dumas et compagnie qu'Alexandre Dumas emploie des collaborateurs : c'est d'ailleurs ce livre qui va généraliser l'expression de « nègre » pour désigner les employés anonymes des auteurs célèbres. Une pratique qui, dans le milieu des lettres, est alors un secret de polichinelle, même si Dumas attaque Mirecourt pour diffamation.
La collaboration entre Dumas et Maquet va prendre fin suite à un litige autour de l'accord qu'ils avaient passé. Maquet commence à réclamer la paternité des œuvres, Dumas refuse catégoriquement. L'affaire passe en justice et aboutit à un compromis financier. Maquet va désormais faire cavalier seul et publier sous son nom. En 1852, Le Constitutionnel fait ce portrait de Maquet :
« Depuis douze ans il n'a cessé d'écrire ni le jour ni la nuit ; il ne s'est occupé ni de la réputation, ni de son nom, sachant que le nom et la réputation viennent toujours, les travaux faits. Les réclames ont peu parlé de lui, son célèbre collaborateur a signé tout seul ; — c'était chose convenue pour plaire, croyait-on, davantage aux éditeurs et au public ; — mais qu'importe ? les Mousquetaires, le Chevalier d'Harmental, Monte-Cristo, le Chevalier de Maison-Rouge, et tous ces romans interminables, et pourtant dévorés, des centaines de volumes ont paru. On lisait, on lisait... Auguste Maquet travaillait toujours [...].
Les grands succès d'Alexandre Dumas dans le roman datent du jour où il a aidé sa haute expérience de cette jeune et féconde imagination ! Cela trouvé, on devinait facilement le reste : comment Auguste Maquet n'avait pas eu autrefois la patience d'attendre les libraires, comment il avait été heureux de rencontrer Alexandre Dumas, et comment Alexandre Dumas devait se féliciter tous les jours d'avoir mis la main sur un pareil trésor. »
En 1857, Maquet intente un second procès à Dumas, alors en pleine faillite, pour récupérer de l'argent qu'il lui devait. L'affaire fait du bruit. Le Journal des débats politiques et littéraires fait un long compte-rendu de la séance du tribunal dans son édition du 23 janvier 1858 :
« L'avocat de M. Alexandre Dumas s'exprime ainsi :
Quel est, Messieurs, l'objet du procès sur lequel vous êtes appelés à vous prononcer ? Dans l'origine, il s'agissait d'obtenir de M. A. Dumas le paiement de prétendus droits d'auteur. Aujourd'hui l'affaire a changé de face […]. On a pris des conclusions nouvelles par lesquelles on demande que le nom de M. Maquet figure en tête des ouvrages auxquels M. Maquet a travaillé à côté du nom d'Alexandre Dumas. Ce qu'on veut, c'est que vous déclariez M. Maquet coauteur et copropriétaire d'un certain nombre d'ouvrages qui vous ont été signalés.
Quelle devra être la conséquence de cette déclaration ? Que M. Maquet partagera les produits matériels de ces œuvres et qu'il partagera aussi le renom et la gloire littéraire de l'homme célèbre pour lequel j'ai l'honneur de plaider. Vous avez vu, Messieurs, quelle élait l'attitude de notre adversaire. Dans les conclusions qu'il nous a signifiées, il soutient qu'il a fait au moins autant que M. Alexandre Dumas, ce qui, dans sa pensée, veut dire qu'il a fait davantage [.].
Mais que le tribunal me permette une réflexion bien simple. Comment se fait-il que M. Maquet, dont les prétentions sont si hautes, n'ait pas fait sous son nom un seul roman qui ait mérité et obtenu le succès qu'ont obtenu bien des ouvrages dont personne ne nie que M. Dumas soit l'unique auteur ? »
En effet, tel sera le cruel destin d'Auguste Maquet, toute sa vie obsédé par la gloire et la postérité : si ses ouvrages post-Dumas furent bien reçus par la critique, aucun n'est resté dans les mémoires. Et il eut beau être pendant douze ans président de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, son nom est resté infiniment moins célèbre que celui de son ex-collaborateur.
Dès juin 1858, Le Journal amusant publiait cette boutade révélatrice :
« Catéchisme à l'usage des apprentis de lettres :
— Qu'est-ce que M. Alexandre Dumas seul ?
— Le génie moins l'ordre.
— Qu'est-ce que son collaborateur Auguste Maquet seul ?
— L'ordre moins le génie. »
Alors que Dumas finit ses jours ruiné (il décéda en 1870), Maquet passa ses dernières années dans un château acheté avec l'argent qu'il avait gagné. Il mourut le 8 janvier 1888. Dans sa bibliothèque figurait un exemplaire des Trois mousquetaires relié à son seul usage. Sur la tranche, on lisait : « Les Trois mousquetaires, par A. Dumas et A. Maquet ».
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Pour en savoir plus :
Bernard Fillaire, Alexandre Dumas, Auguste Maquet et associés, Bartillat, 2010
David Caviglioli, « Auguste Maquet, portrait d'un nègre », Bibliobs, 10 février 2010
Nathalie Hersent, « Auguste Maquet, écrivain et collaborateur d'Alexandre Dumas », blog Gallica, 3 décembre 2013