28 janvier 1887 : début du chantier de la tour Eiffel
Aujourd'hui monument emblématique de Paris et de la France, copiée dans le monde entier, la tour de fer n'avait pas que des émules au moment de sa construction... Elle a ainsi été, comme nous le rappelle la presse de l'époque, l'objet d'une âpre querelle entre des anciens et des modernes.
Une polémique prématurée
D’ailleurs Le Rappel du 27 février 1887 invite ses lecteurs à se rendre sur les hauteurs du Trocadéro pour voir le chantier du Champs-de-Mars et décrit assez précisément les matériaux et les travaux, par exemple de nivellement, à réaliser avant de commencer la construction des quatre piliers massifs. Quelques jours auparavant, le 14 février, le journal Le Temps avait fait paraître dans ses pages la protestation des « artistes contre la tour Eiffel ». Les auteurs viennent contester l’édifice, pas encore construit, et ce « au nom du goût français méconnu, au nom de l’art et de l’histoire français menacés ». Ils chantent la beauté de Paris qui serait gâchée par « l’ombre odieuse de l’odieuse colonne de tôle boulonnée ». Parmi les signataires figurent pourtant des artistes fameux et venus de tous horizons comme Maupassant, Leconte de Lisle ou encore Charles Garnier.
Eiffel répond à ses détracteurs
Le Temps, d’ailleurs dans la même colonne, fait le choix de donner à Gustave Eiffel la possibilité de répondre à cette diatribe signée de « noms aussi considérables »:
« Soit, dit M. Eiffel. Alors la protestation, au lieu d’être trop tardive, me paraît beaucoup trop prématurée. Quels sont les motifs que donnent les artistes pour protester contre le maintien de la tour ? Qu’elle est inutile, monstrueuse ! Que c’est une horreur ! Nous parlerons de l’utilité tout à l’heure. Ne nous occupons, pour le moment que du mérite esthétique sur lequel les artistes sont plus particulièrement compétents. »
L’ingénieur vient rappeler que l’État a d'ores et déjà lancé la commande, établi les investissements chiffrés alors à 5 ou 6 millions et a prévu, une fois l’exposition achevée, de céder la tour à la ville de Paris, tour qui devait rester en place durant vingt ans. Gustave Eiffel, après avoir souligné l’inanité de cette protestation et son caractère prématuré (les travaux n’ont pas encore débuté…), discute des jugements esthétiques et de l’utilité de l’édifice : il oppose ainsi « à l’opinion des artistes celle du public ». Le Temps résume l’épisode à la « vieille querelle entre artistes ou ingénieurs » et conclut cet échange de points de vue divergents par un « attendons donc qu’elle soit construite ».
Un succès immédiat
Dès le 31 mars 1889, Gustave Eiffel organise une visite officielle de la tour en avant-première : le journaliste du Gil Blas qui a pu faire l’ascension, signale d’ailleurs que ni le campanile, ni les ascenseurs ne sont encore achevés au 2 avril 1889. Lors de l’inauguration officielle et de l’ouverture de l’Exposition le 15 mai 1889, il fallait grimper jusqu’à 1710 marches pour visiter l’édifice. Le journaliste du Constitutionnel du 18 mai 1889 se plaint de la longue ascension mais se réjouit d’un « panorama qui ne lassera jamais les yeux ». Il s’attarde sur les premiers « ascensionnistes » : Guillermo de Carlos, un étudiant espagnol, « trois Anglais, dont un clergyman » et « un magnifique Arabe en grand burnous blanc, Si-Ali-Mahoui, riche cultivateur de Constantine et grand ami de la France, dont il parle admirablement la langue ». Ce visiteur a d’ailleurs inscrit une citation du Coran sur le registre déposé à l’entrée : « Ô créature, reçois l’instruction d’où qu’elle vienne, même des étrangers à ta nation ». La vocation internationale de la tour Eiffel est lancée…
Gustave Eiffel (1832-1923)
Diplômé de l’École centrale des arts et manufactures de Paris en 1855, Gustave Eiffel crée en 1866 son entreprise de construction métallique à Levallois-Perret. Dans ce cadre, il participe à de nombreux chantiers d'envergure dont celui de la tour Eiffel, le viaduc de Garabit dans le Cantal ou encore la statue de la Liberté. Suite au scandale de Panama dans lequel il est impliqué comme entrepreneur et alors qu'il bénéficie d'une grande renommée, il abandonne ce secteur d'activité et se tourne vers les sciences, la recherche et l'expérimentation scientifique en météorologie, en aéronautique et en télégraphie.
Reportage réalisé à l'occasion du cinquantenaire du premier laboratoire installé sur la tour Eiffel