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L'affaire Vacher en 1897

le par - modifié le 05/08/2020
le par - modifié le 05/08/2020

Joseph Vacher est l’un des premiers tueurs en série, identifié comme tel en France. Surnommé le « tueur de bergers » ou « l’éventreur du Sud-Est », il est arrêté le 4 août 1897. L’instruction révèle au moins onze crimes abominables à caractère sexuel entre 1894 et 1897. Déclaré responsable de ses actes par des médecins, il est condamné et exécuté par la guillotine le 31 décembre 1898. 

« L’éventreur du Sud-Est »

Joseph Vacher est considéré comme l’un des premiers tueurs en série français, qualifié de « tueur de bergers », d’ « éventreur » ou de « Jack L’Éventreur du Sud-Est » d'après Le Gaulois. Auteur d’une dizaine de crimes entre 1894 et 1897 restés impunis, il est arrêté après une tentative d’agression sexuelle sur une jeune bergère en Ardèche le 4 août 1897 : « le hasard (...) vient de mettre la main sur l’auteur d’une série d’horribles crimes vainement recherché jusqu’à présent » précisait Le Figaro. 

Le juge d’instruction Fourquet enquêtait sur le cadavre mutilé de Jean-Pierre Laurent découvert le 18 juin 1897 à Courzieu, quand il constata des similitudes avec le crime non-élucidé de Victor Portalier, commis à Benonces le 31 août 1895. Il compare les deux meurtres pour établir le profil du tueur. C’est grâce à ce signalement que Joseph Vacher est transféré dans l’Ain pour être interrogé par le juge sur l’assassinat de Victor Portalier. Les aveux de Joseph Vacher permettent de reconstituer la série de ses crimes, d’autant plus abominables qu’ils s’accompagnent de mutilations des parties génitales, d’éventrations et de viols post mortem de ses jeunes victimes. Les journaux relaient cette liste macabre. 

Son procès s’ouvre le 26 octobre 1898 à la cour d’Assises de l’Ain. Il est condamné à mort pour un crime unique, celui de Victor Portalier, et la sentence est exécutée le 31 décembre 1898.

Le tueur en série, Schwarz, Paris - source : Gallica-BnF
Le tueur en série, Schwarz, Paris - source : Gallica-BnF

Un fou ou un criminel ? L’asile ou la guillotine ?

Durant son procès, l’accusé se comporte de manière tantôt excentrique, vociférant « Vive Jésus ! Vive Jeanne d’Arc », et tantôt lucide, quand il raconte le déroulement de ses crimes. Joseph Vacher se présente comme un aliéné et comme un anarchiste de Dieu et tente de prouver au juge sa folie mystique, « Dieu m’a poussé à tuer », « Je me moque de la justice ! Je suis irresponsable et innocent », renchérit-il. Le juge est persuadé de l’irresponsabilité des actes de l’accusé mais il demande une nouvelle expertise mentale au professeur de médecine légale et chef de file de l’école de criminologie Alexandre Lacassagne. Le célèbre criminologiste lyonnais refuse de voir en Vacher un fou mais il le décrit comme un criminel sadique, structuré et réfléchi. Il est donc, selon son expertise, pénalement responsable. 

Un débat s’engage dans la presse. Les individus atteints de troubles mentaux doivent-ils être responsables pénalement de leurs crimes devant la justice ? Faut-il les exécuter ou les placer dans des asiles pour les soigner ? « Est-on en face d'un responsable ? » s’interroge Gaston Leroux dans Le Matin. Que faire des « fous criminels » ? L’Aurore pose deux alternatives par la voix du docteur Bérillon :

 

« Ou bien la société étudie l’homme au point de vue de la responsabilité et, si elle le reconnait irresponsable, elle le soigne. Ou elle le considère seulement comme un être dangereux, nuisible à son prochain, et elle le supprime […] La seconde théorie [...] nous fait faire un recul énorme. »

 

 

La tentation du risque zéro est au cœur des inquiétudes. Le Petit Journal soutient le principe de la condamnation à mort pour éviter tout risque de récidive. Si l'éditorialiste du Petit Journal, Timothée Grimm, voit dans ce meurtrier récidiviste la preuve d’un comportement criminel inné et d’origine sociale, des scientifiques cherchent à expliquer les « névroses criminelles » en formulant l'hypothèse de lésions au cerveau dans un contexte de développement de la phrénologie. Des experts procèdent alors à une radiographie de son crâne pour y trouver des réponses à son sadisme et à ses perversions sexuelles mais l’autopsie ne présente aucune anomalie, confirmant la thèse de Lacassagne, qui soutenait que Vacher est un aliéné sans aucune anomalie organique. 

Joseph Vacher (1869-1898)

Criminel en série français, Joseph Vacher a fait la une de la presse française entre octobre 1897 et le 1er janvier 1898, date de son exécution. Il avait été interné en 1893 après avoir tiré trois coups de révolver sur une jeune domestique, Louise Barant, qui avait refusé ses avances, puis tenté de se suicider. Il avait gardé de cet épisode de lourdes séquelles (surdité complète de l’oreille droite et paralysie du nerf facial droit). Libéré de l'asile, il mène une vie de vagabond et multiplie les crimes sexuels dans tout le Sud-Est de la France jusqu'à son arrestation en août 1897. Ce fait-divers sordide est au coeur d'un débat sur la responsabilité juridique des fous criminels. 

Le Monde illustré, 30 octobre 1897 - source : Gallica-BnF

Le retentissement du fait-divers dans la presse

L’affaire Vacher a un grand retentissement dans la presse nationale et régionale, qui se passionne pour ce fait divers sordide en pleine Affaire Dreyfus, la plaçant parfois au second plan. Elle suit avec précision l’enquête et le procès mais elle cherche également à satisfaire un lectorat avide de sensationnel.

Les images en Une du Progrès illustré de Lyon ou du Petit Parisiensupplément littéraire illustré, reflètent cet attrait pour le fait-divers à la Belle Époque. A cet égard, l’affaire Vacher est largement couverte et instrumentalisée par Le Petit Parisien pour multiplier son tirage comme Le Petit Journal l’avait fait avec l’Affaire Troppmann. Ce journal a même l’idée de proposer de la publicité pour le roman d’Henri Monet, L’Éventreur alors que l’instruction est toujours en cours et que le procès n’aura lieu que l’année suivante. La presse joue un rôle ambigu car elle se fait aussi la caisse de résonnance des propos et des écrits de Joseph Vacher. Mutique dans un premier temps, l’accusé négocie ses aveux complets avec le juge d’instruction en échange de la publication d’une lettre qu’il intitule « À la France ». Ce dernier est un excellent promoteur de ce fait-divers. Il exige de se faire photographier avec des clés à la main montrant qu’il détient les clés du Paradis pour renforcer l’idée dans l’opinion publique qu’il a commis ses crimes au nom de Dieu. 

L’Affaire Vacher met en évidence une insécurité palpable dans la presse mais aussi une dénonciation de l'action de la police et de la justice. Certains journaux aspirent à une politique plus répressive en s'appuyant sur des dysfonctionnements que révèle le cas Vacher. Comment expliquer que Joseph Vacher ait pu obtenir un certificat de guérison et soit sorti de son asile d’aliénés après un premier internement en 1893-1894 ? La presse stigmatise également l’incapacité de la police à arrêter plus tôt l’assassin. Le Petit Parisien  dénonce l’impuissance des gendarmes, le manque de sécurité dans les campagnes et l’absence de polices de recherches qui expliqueraient « le grand nombre de crimes impunis en province ». 

Le Petit Parisien, Supplément littéraire illustré, 31 octobre 1897 - source : Gallica-BnF
Le Petit Journal, Supplément du dimanche, 15 janvier 1899 - source : Gallica-BnF

Joseph Vacher, le tueur de bergers

Reportage France 3 Rhone Alpes à l'occasion de la publication du livre "Crime ou folie : L'affaire Joseph Vacher" par Olivier Chevrier. 

Bibliographie

 

Anne-Claude Ambroise-Rendu, Petits récits des désordres ordinaire. Les faits divers dans la presse française des débuts de la IIIe République à la Grande Guerre, Seli Arslan, Paris, 2004.


Olivier Chevrier, Crime ou folie : un cas de tueur en série au XIXe siècle. L'affaire Joseph Vacher, L'Harmattan, Paris, 2006.


Marc Renneville, Crime et folie. Deux siècles d'enquêtes médicales et judiciaires, Fayard, Paris, 2003.