La déshospitalisation et ses limites
Dans les années 1950 et 1960, l’hôpital psychiatrique se transforme, notamment sous l’effet de l’introduction des premiers neuroleptiques, comme la chlorpromazine. L’utilisation de ces nouvelles substances médicamenteuses permet de faire baisser le degré d’agitation des patient·e·s et de réduire la durée de séjour au sein de l’institution. Les années 1960 voient également la diversification des pratiques thérapeutiques, qui va de pair avec l’entrée de nouvelles professions au sein des établissements psychiatriques européens (psychologues, ergothérapeutes, assistantes sociales).
Alors que montent les critiques formulées par les tenants de l’antipsychiatrie, qui considèrent l’hôpital psychiatrique comme un lieu pathogène, un vent de réforme souffle sur le champ de la psychiatrie européenne, qui s’articule autour de la volonté d’ouvrir l’espace psychiatrique sur l’extérieur.
Ce désir de réforme se retrouve à l’ouest comme à l’est du rideau de fer. En témoignent les « thèses de Rodewisch », programme ambitieux de réformes formulé en 1963 par des psychiatres de RDA. Dans les pays occidentaux, ce mouvement de réforme prend la forme d’un processus de déshospitalisation psychiatrique. En France, la circulaire du 15 mars 1960, qui instaure la politique de sectorisation, illustre ce changement de paradigme. En RFA, une commission d’enquête déléguée par le Bundestag en 1975 recommande la restructuration de la plupart des hôpitaux psychiatriques. Le processus prend une forme plus radicale en Italie : la loi 180 de 1978 interdit toute nouvelle admission dans les hôpitaux psychiatriques et entraîne leur fermeture progressive.
Ces réformes visent à développer la prise en charge des patient·e·s en dehors de l’hôpital, avec des résultats variés selon les espaces. En France, le développement de structures alternatives est plus tardif, l’hôpital restant au centre du dispositif psychiatrique. Des recherches récentes ont montré les limites du processus de déshospitalisation, qui, paradoxalement, n’a pas remis en cause l’hospitalo-centrisme du système de soin psychiatrique.
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Pour en savoir plus :
Coldefy, Magali, « L’évolution des dispositifs de soins psychiatriques en Allemagne, Angleterre, France et Italie : similitudes et divergences », Questions d’économie de la santé, IRDES, no 180, octobre 2012
Freeman, Hugh, Gijswijt-Hofstra, Marijke, Oosterhuis, Harry, Vijselaar, Joost (dir.), Psychiatric Cultures Compared. Psychiatry and Mental Health Care in the Twentieth Century : Comparisons and Approaches, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2005
Klein, Alexandre, Guillemain, Hervé, Thifault, Marie-Claude (dir.), La fin de l’asile ? Histoire de la déshospitalisation psychiatrique dans l’espace francophone au xxe siècle, Rennes, PUR, 2018
Porter, Roy, Wright, David (éd.), The Confinement of the Insane : International Perspectives, 1800-1965, Cambridge, Cambridge University Press, 2003
Postel, Jacques, Quétel, Claude (dir.), Nouvelle Histoire de la psychiatrie, Paris, Dunod, 1994
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Fanny Le Bonhomme est historienne, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l'université de Poitiers. Anatole Le Bras est agrégé d’histoire et doctorant au Centre d’histoire de Sciences Po (CHSP).