Petite histoire de l'empoisonnement
Arsenic, acide, vitriol... En 1903, Le Temps dresse un panorama des poisons et des méthodes utilisés à travers les âges pour occire ses ennemis.
Depuis la préhistoire, les poisons ont toujours été l'un des moyens les plus répandus pour tuer et, maintes fois, ils se sont trouvés au cœur des intrigues historiques.
En 1903, le naturaliste et journaliste Henri de Varigny se penche dans Le Temps sur les empoisonnements à travers les siècles. Et il part d'abord d'un constat : l'empoisonneur est souvent... une empoisonneuse :
"De tous temps il y a eu des empoisonneuses. Il est vrai que le nom de la première ne nous a point été conservé ; la doyenne des empoisonneuses n’a pas la notoriété dont jouit le fondateur de l’assassinat, mais elle a laissé une nombreuse postérité. La plupart des empoisonnements sont œuvre féminine en effet : sept sur dix. Cela est assez naturel d’ailleurs. La femme ne peut guère avoir recours à la force brutale : elle procède donc par ruse. [...]
Certains, il est vrai, sont inspirés par le besoin d’argent ; d’autres, par le simple plaisir de tuer, semble-t-il. Mais l’amour ou la jalousie reste le principal motif, depuis Lucrèce Borgia — pour ne pas remonter à Médéo — jusqu’à Hélène Danilof, en passant par la Brinvilliers, la Voisin et tout ce qu’il y a eu de « grandes dames » du dix-septième siècle qui ont eu recours à leurs services, la Montespan, la Lafarge, Marie Jeanneret et tant d’autres."
Et l'auteur de dresser l’historique des substances et des moyens employés autrefois dans les empoisonnements :
"Les gants parfumés ont été en vogue au seizième siècle. On admettait qu’au parfum quelque poison subtil était ajouté, qui tuait non par contact avec la peau, mais par pénétration dans les poumons et le sang. Quel pouvait bien être ce poison ? Il n’y a pas beaucoup de substances capables de tuer ainsi ; et il y en a bien peu que l’on consente à respirer aussi longtemps pour en éprouver les effets. [...]
C’est l'arsenic qui au seizième et au dix septième siècle était le roi des toxiques. [...]
Mais de l’arsenic pur, naturel, c’était un peu trop simple. Aussi lui préférait-on le « secret du crapaud », renouvelé des Borgia d’ailleurs. On tuait une bête, un crapaud, un porc, etc., par l'arsenic ; on laissait pourrir, on recueillait les liquides de la putréfaction qui, outre le poison arsénical, renfermaient — on le sait maintenant — des amines, des combinaisons très toxiques de celui-ci avec les corps organiques, des alcaloïdes aussi, des ptomaïnes. Les Borgia opéraient avec le porc ; la Voisin usait du crapaud. [...]
Les acides, le vitriol n’étaient guère employés que dans le peuple, en lavements. Méthode facile en un temps où un chanoine de Troyes a pu prendre jusqu’à 2.190 clystères en deux ans : trois par jour exactement. Très sûre aussi, car si méfiant qu’on pût être, jamais on ne s’avisait de goûter son lavement pour s’assurer de son orthodoxie. Le liquide caustique attaquait la muqueuse de l’intestin, et la victime succombait ou bien à une péritonite aiguë, suite d’ulcérations et de perforations, ou bien à une obstruction intestinale par rétrécissement cicatriciel. Rien ne semblait plus naturel, et les médecins n’y voyaient absolument rien.
L’opium était fort apprécié, aussi. La Voisin, qui avait une dextérité spéciale pour l’infanticide — elle a brûlé dans son four ou enterré dans son jardin plus de 2.500 enfants de « grandes et honnêtes dames » de la cour — la Voisin se servait surtout d’opium pour le premier âge ; opium et eau de pavot. Elle l’utilisait aussi pour les adultes ; avant de passer M. de Poulaillon à l’arsenic, puis au mercure, elle lui avait donné de l’eau de pavot et de l’opium, mais sans succès. Elle avait aussi imaginé une tisane qui certainement a conduit beaucoup de maris en un monde qui ne saurait être pire : une tisane d’ivraie, de mandragore et de pavot."