John Reed, un communiste américain au Kremlin
Journaliste et militant communiste, John Reed, auteur de « Dix jours qui ébranlèrent le monde », suivit – et épousa – la révolution bolchévique de 1917.
La mort du citoyen américain John Silas « Jack » Reed le 19 octobre 1920 à Moscou n’agite pas les rédactions parisiennes, loin s’en faut. Seuls L’Humanité et Le Populaire (« revues hebdomadaires de propagande socialiste et internationaliste » selon leurs détracteurs) s’en font l’écho pour s’en désoler.
Et pour cause : journaliste et militant communiste, John Reed est surtout connu des socialistes et communistes français ainsi que des polices de différents pays (dont le sien) qui n’apprécient pas son activisme. C’est d’ailleurs un séjour de trois mois dans les prisons finlandaises au printemps 1920 qui l’aurait affaibli, le rendant moins résistant à la fièvre typhoïde qui l’emporte quelques semaines plus tard.
L’Humanité rappelle son activité politique.
« Journaliste américain de grande notoriété et attiré de bonne heure par l'idéal socialiste, il collabora pendant quelque temps au “Liberator”. Lorsqu'éclata la révolution russe, il se rendit comme journaliste en Russie et ne tarda pas à abandonner toute autre activité pour se donner exclusivement à la cause bolcheviste.
Il écrivit alors un livre intitulé “Ten days that shook the World” (Dix jours qui secouèrent le monde), et qui, d'après les dires-mêmes de Lénine, est le meilleur livre qui ait été écrit sur la Révolution russe par un étranger. La citoyenne Lénine en avait entrepris ici traduction en russe.
Il revint ensuite en Amérique où, il collabora puissamment à la fondation du parti communiste américain, puis réussit à rentrer une deuxième fois en Russie où il assista, comme représentant du parti communiste américain, au deuxième Congrès de la IIIe Internationale, et au Congrès de Bakou. »
Le Populaire salue aussi l’engagement socialiste du « lutteur de la liberté américaine ».
« John Reed était l'un de ces intellectuels yankee, à l'esprit libre et au cœur généreux, qui continuent parmi nous, au vingtième siècle, la meilleure tradition des grands lutteurs de la liberté américaine d'il y a cent cinquante ans. Il avait été attiré par les idées “progressives” alors qu'il était encore étudiant de l'Université Harward […]
John Reed avait toute l'ardeur généreuse et aussi disons-le, en toute franchise, l'absence de maturité de la plupart des esprits venus au mouvement dans ces dernières années.
Aux États-Unis même, son action ne put s'adapter aux conditions locales, il le sentit si bien qu’il préféra rester en Russie au service de la République socialiste, à laquelle il a noblement donné sa vie. »
Et la République socialiste ne va pas ménager sa peine pour rendre hommage à cet « intellectuel yankee ». Son corps est tout d’abord exposé toute une semaine, veillé jour et nuit par une garde d’honneur. Sa femme, l’écrivaine féministe Louise Bryant, témoigne dans une lettre au directeur du Liberator, retranscrite dans L’Humanité :
« Puis ce fut la parade, et les honneurs militaires rendus à sa dépouille, dans le Temple du Travail, par quatorze soldats de l'armée rouge. J'y allai maintes fois et vis les soldats dans leur attitude rigide, leurs baïonnettes luisant sous les lumières et l'étoile rouge du Communisme sur leur bonnet militaire.
Jack était étendu dans une longue bière d'argent entourée de fleurs et de bannières flottantes. »
Enfin c’est le jour des funérailles en grande pompe. Là encore, les autorités soviétiques ont choisi un symbole fort pour honorer le journaliste américain, comme le rapporte L’Humanité.
« Il sera inhumé dans l'endroit le plus sacré de la Russie, près de la porte nord du Kremlin, sous laquelle jamais un Russe, n'était passé sans se découvrir.
C'est ainsi que les Russes donnent un droit de cité, dans la terre qu'avait consacrées toutes les traditions de leur histoire, à un camarade qui, le premier, était venu de l'étranger lutter avec eux pour la cause universelle du prolétariat. »
Louise Bryant, trop faible pour se souvenir précisément de l’enterrement de son mari, raconte dans sa lettre sa première visite sur la tombe de celui qu’elle appelle « Jack ».
« Mais je suis retournée au square Rouge, depuis lors – depuis ce jour où tout un peuple vint pour enterrer avec tous les honneurs notre cher Jack Reed.
J'étais là par une de ces après-midi animées, quand toute la Russie s'agite, chevaux, traîneaux, clochettes, paysans portant des fardeaux, soldats chantant en partant au front. Quelques-uns des soldats vinrent sur la tombe. Ils ôtèrent leurs bonnets et parlèrent avec vénération :
“Quel bon compagnon c'était, dit l'un d'eux. Il a traversé le monde pour venir à nous. C'était un des nôtres.” Puis ils mirent leur fusil sur l'épaule et s'en allèrent. »
John Reed repose donc dans la nécropole du mur du Kremlin, seul Américain inhumé aux côtés des révolutionnaires d’octobre 1917.
Il est à noter qu’il sera rejoint en 1928 par une partie des cendres de son compatriote Bill Haywood, figure centrale du mouvement ouvrier américain.