La création du journal La Fronde en 1897 par Marguerite Durand
Le 9 décembre 1897, Marguerite Durand lance La Fronde, quotidien féminin et féministe. Une première, dans une France encore peu acquise à la cause des femmes. Celle qu'on appelle "la Frondeuse" venait ainsi fédérer en un titre les idées et figures du féminisme.
L’Essor du mouvement féministe
À la fin du XIXe siècle la notion de féminisme reste encore floue et le mouvement manque d’un texte fondateur dont il se pourrait se réclamer. Dans un premier temps le mouvement est éclaté et se traduit en associations éparses, sans liens entre elles, voire parfois concurrentes. En France les revendications se sont développées en corrélation avec la réflexion sur la République et dans un cadre d’abord révolutionnaire. Parmi les figures importantes du mouvement dans cette seconde moitié du XIXe siècle retenons Maria Deraismes, qui participe au journal L'Avenir des femmes. Elle y défendre la cause des femmes, qu'elle associe à son combat pour la laïcité. En 1876, elle fonde la « Société pour l'amélioration du sort de la femme». Et deux ans plus tard 1878, elle organise avec Léon Richer le « Congrès international du droit des femmes », qui aborde cinq principaux thèmes : histoire, éducation, économie, morale et législation. Le mouvement cède à la mode des congrès, qu’ils soient nationaux ou internationaux.
Le Fer de lance du féminisme
La Fronde, dans son contenu s’avère comparable aux grands quotidiens de l’époque. On peut y lire des articles sur la finance, la politique, le sport, des feuilletons aussi. Ce qui le distingue des autres titres c’est qu’il est alors produit par un personnel exclusivement féminin de la rédaction à la typographie. Parmi les auteurs, on peut trouver des écrivaines, des institutrices et Séverine, seule journaliste professionnelle et collaboratrice de Jules Vallès pour Le Cri du Peuple (voir notre long format). Laïc et républicain, le journal défend la cause dreyfusarde et défend une position pacifiste. Il paraît jusqu’en 1903.
Un lancement qui fait jaser
La Fronde, avant même sa parution, suscite de nombreuses réactions dans la presse. À Paris et en province de nombreux titres annoncent sa naissance. Certains sont prudents (La Petite République, socialiste ou encore La France). D’autres se moquent non sans une certaine ironie ou mauvaise foi (Le Soleil, La Paix…) et critiquent la présence des femmes s’interrogeant sur le capacité à traiter de sujets qu’ils considèrent comme spécifiquement masculins tels que la guerre ou la marine. La Libre Parole, antisémite, sous-entend un financement juif… Lancer un journal en pleine affaire Dreyfus (voir dossier) constitue alors un défi important pour Marguerite Durand qui décide d’en retarder la parution. Elle finit par se lancer et s’explique aux journalistes du Temps le 7 décembre 1897 et de L’Aurore le 4 décembre 1897. À cette occasion, Le Temps reprend les termes de l’affiche pour promouvoir le lancement de La Fronde et rappelle que d’autres initiatives féministes en presse écrite l’avaient précédé mais sans succès…Le ton du journaliste assez sceptique est révélateur du regard souvent méprisant alors porté sur le mouvement féministe. Cependant il s’intéresse à cette première qu’il prend au sérieux en soulignant sa diffusion gratuite « à toutes les institutrices de France » et donne la parole à Marguerite Durand :
« Pourquoi j’ai fondé ce journal ? nous dit Mme Marguerite Durand ; le voici. L’an dernier, j’assistais aux séances du congrès féministe de Paris [..] Je fus fort surprise de voir là des femmes, qui avaient des idées bonnes, de grandes qualités et du cœur, et je fus prise pour elles d’une vive sympathie. Je réfléchis alors que ces femmes, que les théories qu’elles défendaient pas toujours très habilement, il est vrai, n’étaient pas connues du public, qui se faisait sur les unes et sur les autres des idées fausses. »
Et d’ajouter :
«Et j’ai pensé qu’aujourd’hui la période du ridicule était terminée pour le féminisme, et que l’heure était venue de donner à cette noble cause un journal sérieux, utile. Depuis un an, je me suis attachée à cette idée, et je la réalise, vous le voyez. »
Marguerite Durand (1864-1936)
Marguerite Durand, née en 1864 dans une famille bourgeoise, a d’abord commencé sa carrière sur les planches. Mariée au député et avocat George Laguerre, elle écrit pour La Presse que dirige son époux. Après sa séparation, elle entre au Figaro et décide de créer son propre quotidien La Fronde en 1897 qui paraît jusqu’en 1905. Elle s’engage en politique aux cotés des socialistes et défend la cause féministe. En 1931, elle fait don à la ville de Paris de l’ensemble de ses collections, créant ainsi la première bibliothèque féministe française officielle et qui porte son nom. Elle meurt en 1936.