Pierrot le Fou et les « Tractions Avant », histoire d'un gang français
Il s’appelle Pierre Loutrel mais on le connaît sous le nom de « Pierrot-le-fou ». Ce criminel violent, passé de la « Gestapo française » à la Résistance, restera dans les mémoires comme le chef d’un redoutable gang français de l’après-Seconde Guerre, les Tractions Avant.
De février à novembre 1946, une bande de malfaiteurs audacieux et particulièrement agressifs se fait connaître en commettant plusieurs attaques à main armée entre Paris et la Côte d’Azur.
La première a lieu le 7 février en plein jour, « comme dans un film américain bien réglé », contre un fourgon du Crédit Lyonnais à Paris.
« Tout à coup, comme dans un film américain bien réglé, deux hommes se ruaient à l’avant du véhicule, l’un pour arracher les fils des bougies et empêcher ainsi un démarrage, l’autre pour neutraliser le chauffeur et le contrôleur.
En même temps, deux autres bandits poussaient le garçon de l’agence à l’arrière du véhicule et lui retiraient son sac. Tenant en respect les convoyeurs avec leur mitraillette, ils s’emparaient encore de cinq ou six sacs collectés dans d’autres agences.
L'opération n’avait duré que deux à trois minutes. Les deux Citroën, moteurs lancés, disparaissaient ensuite par l’avenue Parmentier avec leur butin. »
Si ce premier casse se déroule sans trop de violence, ce ne sera pas le cas des suivants.
Le 5 avril, à Marseille, Loutrel et son complice Marcel Ruart, abattent froidement l’employé des établissements Borie qui s’accrochait à une sacoche contenant 700 000 francs. Le 1er juillet, la bande dévalise l’Hôtel des Postes de Nice pour un butin de 33 millions de francs. Ruart est interpellé quelques jours plus tard.
« Une souricière tendue à “l’Oasis”, devait aboutir à l’arrestation de Jo Ferrand et de Laurent Christian.
Poursuivant leur enquête, les inspecteurs arrêtèrent, à la suite d'une filature, au n° 19 de la rue des Orgues, à Marseille, Maurice Daguerre, qui conduisait l'auto lors du vol des 33 millions, et enfin Marcel Ruart, 21 ans, qui n’était autre que le dangereux chef de l’expédition. »
Loutrel, lui, court toujours. De retour à Paris, il enchaîne les braquages avec des complices, toujours au volant de voitures équipées de tractions avant afin de s’enfuir plus rapidement.
À partir du mois de septembre, il est formellement identifié comme le chef du gang. « Pierrot le fou » devient alors le premier ennemi public n°1 de France.
Son passé violent fait frémir les rédactions. Vite, on se souvient qu’il a été membre de la Carlingue, la « Gestapo française » de sinistre mémoire composée de voyous travaillant pour le compte de l’occupant allemand et dont le but était d’identifier et de pourchasser les Résistants.
« L’un des bandits – désormais traqués par tous les policiers de France – n’est autre que Pierre Loutrel, dit « Pierrot-le-Fou » et « Pierrot-la-Valise », bien connu de la justice.
Au service de la Gestapo de l’avenue Foch sous l’occupation, il participa à toutes les expéditions nazies, s’y montrant d’une cruauté qui stupéfiait même ses supérieurs allemands.
C’est lui qui, avec l’aide de complices, procéda à l’arrestation de Mme Campinchi ; lui encore qui kidnappa et tenta d’assassiner sauvagement l’inspecteur Ricordeau en 1943 laissé pour mort sur une route après que la voiture de ses assassins lui fut passée sur le corps. »
La violence de Pierrot-la-Valise est si outrancière que les Allemands ne pourront empêcher l’enquête sur l’agression du commissaire Ricordeau ; celle-ci révèlera qu’après avoir enlevé, tabassé et tiré sur le policier, Pierrot le Fou lui a roulé sur le corps pour l’achever. En vain cependant, puisque Ricordeau en réchappera et deviendra son principal accusateur.
Violent toujours, alcoolique souvent, Loutrel est aussi un très grand opportuniste. Sentant le vent tourner en 1944, il s’engage dans la Résistance à Toulouse.
« Devenu le “Lieutenant Pierre” dans un maquis toulousain en juillet 1944, plusieurs fois assassin, auteur d'agressions et d'attentats, Pierrot-le-Fou était recherché depuis deux ans par plusieurs Parquets de province.
Les deux autres fuyards, dont l'un est Attia, repris de justice recherché depuis longtemps, sont eux aussi d’anciens familiers de la rue Lauriston. »
En septembre 1946, la police localise la bande à Champigny, au sud-est de Paris ; les agents font le siège d’une auberge où logent plusieurs membres du gang. Loutrel n’est pas dans l’établissement encerclé mais juste à côté, et entendant l’échange de tir, se rue au volant de sa Delahaye pour forcer les barrages policiers, récupérer deux de ses complices et s’enfuir.
« Le raid tragique de Champigny-Saint-Maur, s'il n’a pas abouti à la capture dans son entier du “gang des nervis” – c'est ainsi que les G. Men de la P.J. ont catalogué la bande des agresseurs spécialisés dans l’attaque des fourgons postaux – aura au moins permis d'orienter de nouvelles recherches et d'identifier d’une manière certaine deux dangereux hors-la-loi, incontestablement mêlés à la plupart des récents attentats
L’un de ceux-ci n'est autre que Pierre Loutrel, dit “Pierrot le Fou” ou “Pierrot la Valise”, un bandit dont l’audace extraordinaire n’a d’égale que la terreur qu'il a su inspirer à tous ceux qui l’approchent.
Bien que depuis deux ans sous le coup d’un mandat d’arrêt du juge d'instruction Donsimoni, de la Cour de justice, Pierrot le Fou est parvenu jusqu’ici à échapper à toutes les recherches. »
En cavale, l’ennemi public n°1 n’est reste pas moins extraordinairement dangereux et prêt à tout, à en juger par les préparatifs du Quai des Orfèvres qui s’attend à une attaque du gangster pour récupérer ses complices arrêtés par la police.
« Une intense agitation règne Quai des Orfèvres, à l’étage de la brigade criminelle. La Préfecture de police est d’ailleurs gardée comme elle ne le fut jamais : on redoute, en effet, que “Pierrot le Fou”, prêt à tout, ne tente un raid pour délivrer ses complices tombés dans les filets des “G-Men”.
Une arrestation très importante, mais sur laquelle jusqu’à nouvel ordre on observe le plus grand secret, a été opérée à Paris même.
Il s’agirait d’un des principaux lieutenants de “Pierrot-le-Fou”, lequel, si l’on en juge d'après les précautions prises, ne serait pas loin de la capitale.
Le bandit est plus que jamais dangereux. Il semble qu’il n ait pu emporter beaucoup d’argent dans sa fuite. Cette circonstance, si elle peut faciliter, dans une certaine mesure son arrestation, peut aussi pousser Pierre Loutrel à tenter un nouveau coup pour se procurer des fonds. »
Le siège de la PJ n’aura toutefois pas lieu et la traque continue. Pendant ce temps, la presse communiste met en lumière le rôle possiblement joué par les services secrets auprès de Loutrel à la fin de la guerre.
« Que se passe-t-il donc ? Les interrogatoires des témoins et des complices continuent et l’activité redoutable des gangsters apparaît peu à peu en pleine lumière.
Peu avant la libération, Pierre Loutrel, quittant la Gestapo de la rue Lauriston, formait une pseudo organisation de résistance près de Toulouse. Pierrot-le-Fou était devenu le lieutenant de la D.G.E.R. Pierre d’Héricourt. Il a commis alors de nombreux vols à main armée et s’était attaqué avec sa bande au journal Le Patriote.
Arrêté, l'intervention de la toute puissante D.G.E.R. le faisait remettre en liberté. Pourtant, devant de tels gangsters, la “justice” n’aurait dû céder à aucune pression.
Et à l’heure actuelle, on aimerait savoir que toute l’impulsion nécessaire et les moyens indispensables sont donnés aux inspecteurs dont le dévouement est connu. »
Le 6 novembre 1946, M. Sarafian, bijoutier à Paris, est tué à bout portant par un pseudo-client venu lui acheter une montre. Lors de l’enquête, sa femme affirme reconnaître Pierrot le fou comme l’assassin de son mari. C’est la dernière fois que l’on entend parler des agissements du gangster.
Au mois de juin 1947, L’Humanité se demande même si celui-ci est encore vivant.
« Enfin, ces jours derniers, nouveau coup de théâtre. Au cours d’un interrogatoire, un détenu révéla aux enquêteurs que Pierrot le Fou aurait été abattu par des membres de son gang au cours d’un règlement de comptes, dans la forêt de Sénart.
Des recherches furent aussitôt entreprises en vue de retrouver le cadavre. Elles sont demeurées sans résultat.
Le bandit est-il toujours vivant ? C'est fort possible, répondent les inspecteurs à qui une forte prime est promise pour la capture du gangster. »
Arrêté en juillet 1947, son principal bras droit, Attia, affirme que Loutrel est bien vivant – en Argentine. C’est ce que confirme un autre complice qui dépose en décembre 1948 devant la police. On le dira successivement en Afrique du Nord, en Italie puis encore une fois en Amérique du Sud.
Cependant au mois de mai 1949, Edmond « Monmon » Courtois donne de sérieuses informations à la police : Pierrot le fou serait mort et enterré sur une île de la Seine, quelque part près de Mantes-la-Jolie – Seine-et-Oise, actuelles Yvelines.
« On ne saura peut-être jamais à la suite de quelle Indication l'inspecteur Pasteau, de la P. J., fut amené à Interroger Edmond Courtois, dit “Monmon”, sur la mort de Loutrel. Mais depuis huit jours, le bruit courait à la P. J. que le célèbre bandit était enterré dans l’île de Guiller [sic].
Et, en effet, vendredi dernier, Courtois conduisit les enquêteurs, accompagnés d’une armée de terrassiers, dans l’île où de longues fouilles furent entreprises, interrompues reprises le lendemain.
Un ossement apparut bientôt, des lambeaux de vêtements, le drain de caoutchouc grâce auquel on avait essayé de sauver le gangster blessé au ventre.
Les débris macabres ont maintenant quitté l’ile, et vont être examinés par le Dr Guillemenot qui va essayer d’en tirer l'es éléments d’une authentification certaine. »
Quelques mois plus tard, l’identification des restes est formelle : le corps retrouvé est bien celui de l’ennemi public n°1.
« Il y a plusieurs mois, la police judiciaire découvrait dans l’île de Limay un cadavre qui fut identifié comme étant celui de Pierre Loutrel – “Pierrot le fou” numéro 1 – puis, d’après les mensurations du corps, on crut qu'il s'agissait d'un autre personnage.
Toutefois, l'enquête policière continua et elle vient d'aboutir à la conclusion que le cadavre de l’île de Limay est bien celui de Pierre Loutrel. En effet, la denture correspond exactement à celle que des familiers du bandit ont décrite. »
Lors de l’agression de la bijouterie, Pierrot le Fou, particulièrement enivré, s’était en effet lui-même tiré dans le ventre. Malgré les premiers soins apportés, il serait mort huit jours après le braquage, le 11 novembre 1946.
« Selon la version qui circule parmi les éléments les mieux Informés du “milieu”, Loutrel se serait blessé lui-même, après avoir commis une dernière agression contre une bijouterie.
Alors qu'il glissait son revolver sous sa ceinture, la gâchette se serait accrochée et il aurait reçu la balle dans le ventre. »
La légende de « Pierrot le Fou » est tenace, et pendant des mois, certains refuseront de croire à sa mort.
Ce n’est finalement qu’au mois de juillet 1951 que Pierre Loutrel sera officiellement reconnu décédé par un jugement déclaratif du tribunal de Seine-et-Oise.
–
Pour en savoir plus :
Alain Bauer et Christophe Soullez, Une histoire criminelle de la France, Paris, Odile Jacob, 2012
Jérôme Pierrat, Une histoire du milieu, Denoël, 2003