La bataille d'Hernani en 1830
Hernani est un drame romantique créé par Victor Hugo et joué pour la première fois au théâtre-français le 25 février 1830. Œuvre révolutionnaire et romantique, elle remet en question les règles du théâtre classique au nom de la liberté artistique : la bataille d’Hernani est une querelle entre classiques et romantiques. Le spectacle était autant sur scène que dans le public...
Victor Hugo : chef de file des écrivains romantiques
En 1830, Victor Hugo est un écrivain et un poète célèbre, reconnu comme le chef de file d’une génération d’auteurs romantiques. Il s’est lancé dans la « bataille romantique » avec son Cromwell en 1827 dont la préface constitue un manifeste du romantisme littéraire. Poète royaliste, de la mouvance ultra — il publia une ode au sacre de Charles X (cf. format long sur le sacre de Charles X) qui lui valut la reconnaissance du roi —, il défend dans ses œuvres la liberté littéraire de s’affranchir des règles qui régissent le théâtre et aspire à un libéralisme politique.
Le théâtre est étroitement encadré et surveillé par le pouvoir royal. La pièce de Victor Hugo Marion de Lorme est censurée en 1829 pour offense au roi. Le Globe parle d’un « premier coup d’État littéraire » le 15 août 1829. Hernani est examinée par la censure le 23 octobre 1829 : la pièce est acceptée comme le rapporte Le Figaro, mais les censeurs dénoncent « un tissu d’extravagances » et ajoutent « qu’il est bon que le public voie jusqu’à quel point d’égarement peut aller l’esprit humain affranchi de toute règle et de toute bienséance »
Le 29 septembre 1829, Victor Hugo fait lecture d'Hernani chez lui avec les membres du Cénacle de l’Arsenal de Charles Nodier, qui réunit une génération d’artistes défendant le romantisme et confrontés à une société immobile et bloquée (Sainte-Beuve, Delacroix, Berlioz, Gautier, Musset, Vigny...).
La bataille d’Hernani : une querelle entre les romantiques et les classiques
Le drame romantique de Victor Hugo devient un sujet de « guerre civile littéraire » entre « l’armée romantique » et les « classiques » selon les termes du Constitutionnel. Il met à bas les normes du théâtre classique selon Le Figaro. Les tenants du classicisme s’insurgent contre les transgressions dans la versification, la trivialité des dialogues, la confusion entre le genre tragique et le genre comique et la rupture avec les trois unités de lieux (l’action se déroule sur trois lieux différents et non sur un seul), de temps (l’histoire dure plusieurs mois au lieu de vingt-quatre heures) et d’action (Hugo mêle deux intrigues : une histoire d’amour entre le proscrit Hernani et Doña Sol, et un complot politique contre Don Carlos, roi d’Espagne), règles énoncées par Boileau sous Louis XIV. Même mademoiselle Mars, qui joue le rôle de Doña Sol, a contesté les choix de vers et de versification d’Hugo, sans succès.
Le 25 février 1830, le Tout-Paris s’est donné rendez-vous au Théâtre-Français pour assister à la première d’Hernani : les uns pour huer le spectacle, les autres pour l’acclamer. L’affrontement est ainsi savamment orchestré : certains journaux à l'image du Figaro publient des extraits tronqués ou mensongers sur les vers d’Hernani afin d’inciter le public à huer le spectacle, d’autres écrivains publient des parodies de la pièce : « Les classiques s’appliquent à déshonorer Hernani par des variantes burlesques qu’ils inventent à plaisir ».
Victor Hugo réunit la « claque » : des écrivains romantiques de la « Jeune France » dont Théophile Gautier (et son mythique gilet rouge), Gérard de Nerval, Balzac et Berlioz. « Deux systèmes, deux partis, deux armées, deux civilisations même, — ce n'est pas trop dire — étaient en présence, se haïssant cordialement, comme on se hait dans les haines littéraires, ne demandant que la bataille, et prêts à fondre l'un sur l'autre » écrit Théophile Gautier. Le Constitutionnel fait remarquer perfidement que
« ceux qui ont assisté à la première représentation, quelque talent qu’ils accordent à la composition de cet ouvrage, ne peuvent se dispenser de convenir que l’auteur en a montré plus encore dans la composition de son public ».
Le spectacle est scandé de cris d’indignation, d’interruptions et d’ovations. Mais au cinquième acte, le triomphe de la pièce est acté, applaudie par la jeune garde romantique. « Il faut convenir aussi que jamais première représentation ne fut soutenue, applaudie avec plus de ferveur que par le parterre qui s’était réuni là » en convient Le Figaro du 27 février 1830.
La pièce de théâtre vue par la presse et la construction d’un mythe de la bataille d’Hernani
L’affrontement se rejoue à partir du lendemain dans la presse. Les chroniqueurs du Figaro et du Constitutionnel sont assez critiques et Armand Carrel dans Le National dénonce avec véhémence une pièce qui constitue un danger pour l’ordre social. Le journal ultra La Quotidienne du 26 février 1830 voit dans Hernani « le chef d’œuvre de l’absurde [...], le rêve d’un cerveau délirant [...]. On aurait dit que tous les fous, échappés de leurs loges, s’étaient rassemblés au Théâtre-Français, et le plus grand fou n’était pas dans la salle ».
À l’inverse, Le Journal des débats, consacre deux articles plutôt bienveillants et élogieux parlant d’une « production brillante et originale ». La Revue encyclopédique reconnaît « quelque chose de frais, de neuf, de vigoureux ». Le Gastronome déclare qu’il « n’y avait pas moyen d’avoir une indigestion d’une ou d’autre sorte après un spectacle si bienfaisant ». Le Globe constate enfin que « le public a tout senti, tout écouté, tout applaudi » dans son numéro du 26 février 1830.
Pourtant rien n’est joué. Les autres représentations sont toutes autant agitées comme le souligne La Presse du 22 janvier 1838
« Jamais œuvre dramatique n’a soulevé une plus vive rumeur ; jamais on n’a fait autant de bruit autour d’une pièce […]. Chaque vers était pris et repris d’assaut. Un soir, les romantiques perdaient une tirade ; le lendemain, ils la regagnaient, et les classiques, battus, se portaient sur un autre point avec une formidable artillerie de sifflets, appeaux à prendre les cailles, clefs forées, et le combat recommençait de plus belle.»
Théophile Gautier a un rôle central dans la construction du mythe de la « bataille d’Hernani » dans son Histoire du romantisme et regrette presque que la pièce de théâtre soit devenue avec le temps « un classique ».
Hernani s’inscrit dans un contexte de bouleversement culturel et politique qui mène à la révolution de Juillet (cf. format long sur les Trois Glorieuses) : « Revendiquer la liberté dans l’art, c’est revendiquer du même pas la liberté de presse, la liberté d’expression, les libertés politiques » écrit Victor Hugo. Son caractère subversif explique pourquoi Napoléon III fait interdire la pièce durant le Second Empire.
Victor Hugo (1802-1885)
Poète et écrivain, il est proche des milieux ultras et évolue progressivement vers des positions plus libérales et humanitaires. Chef de file des romantiques dans les années 1830, il publie de nombreuses pièces (Hernani, Ruy Blas...) qui sont autant des succès que des scandales. Ardent défenseur de la liberté de création artistique, il s’oppose aux classiques. Auteur prolifique dont Les Misérables (1862) est l’une des œuvres majeures, il a également un rôle politique. Membre de l’Assemblée constituante et de l’Assemblée législative en 1848, il bascule vers la gauche républicaine et s’oppose au coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte (cf. Louis Napoléon Bonaparte élu président en 1848).
La bataille d'Hernani
Dans ce reportage sur ce que fut la bataille d'Hernani, Claire Vernet est filmée dans le rôle de Mademoiselle Mars, durant une répétition de la pièce et Jacques Destoop lit un extrait de la critique de Théophile Gauthier. Ce reportage montre aussi des dessins de Napoléon III, de Théophile Gauthier, de Firmin et de Mademoiselle Mars ainsi que la façade de la Comédie Française de nos jours.