Les congés payés en 1936
Juillet 1936, quand pour la première fois les ouvriers partirent en vacances... une innovation sociale majeure votée par le gouvernement du Front populaire et immortalisée entre autres par le photographe Robert Doisneau.
Par la loi promulguée le 20 juin 1936 octroyant deux semaines de congés payés, le Front populaire étend en fait au monde ouvrier un droit dont dispose déjà d’autres catégories de travailleurs comme les fonctionnaires de l’État, les employés des compagnies ferroviaires et du métropolitain et la plupart des employés de commerce et de bureau.
Ce vote suscite une certaine surprise dont l’effet est redoublé par la semaine de travail de cinq jours soit quarante heures. Le 30 juillet 1936, Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État aux Sports et à l’organisation des loisirs, annonce l’instauration du billet populaire de congé annuel après avoir négocié auprès des compagnies ferroviaires une réduction de 40% sur les tarifs et la création de trains spéciaux avec des réductions de 60%.
Le journal Le Populaire, quotidien de la SFIO, annonce le 1er août 1936 que « des milliers de travailleurs de la région parisienne sont partis en vacances » :
« Dans le métro on entend parler que de projets de voyages, d’excursions…
-Je n’arrive pas encore à m’imaginer que ce soir, je serai en vacances, déclare une midinette à son amie.
- Moi je crois rêver, réplique l'autre... »
Mais l’impact immédiat sur les pratiques s’avère assez réduit. Les départs à l’été 36 restent minoritaires et se limitent à la région parisienne. Les dépenses occasionnées par les vacances restent trop lourdes pour un budget de famille ouvrière et les blocages mentaux demeurent : le droit au loisir ne va pas alors de soi…
Au final, le traitement médiatique (du moins entre 1936 et 1938) de cette loi pourtant fameuse est assez restreint aussi bien dans la presse écrite que dans la presse filmée et il se limite aux grands départs en été, par exemple pour Paris-Soir (27 juillet 1936) qui fait un reportage sur Roubaix et Tourcoing, « villes en vacances » :
«C’est pour cela qu’hier, à une heure de l’après-midi lorsque les sirènes hurlèrent pour annoncer dans chaque usine de textile la fin du travail de la première équipe, la soudaine et joyeuse animation qui s’empara de la ville m’enchanta. Un peu partout, les vastes porches lâchaient sur le pavé de la foule anonyme et bruyante. Tous paraissaient d’agréable humeur. Certains sifflaient, d’autres souriaient aux anges. Pour la premières fois les ouvriers du textile partaient en vacances. »
Le phénomène est aussi éclipsé par l’actualité et la guerre civile en Espagne. Même L’Humanité en parle peu. Seul Ce Soir, quotidien créé par le parti communiste en 1937, y consacre un certain nombre d’articles. Il rapporte d’ailleurs les propos de Jacques Duclos, un des dirigeants du parti, qui se félicite des réformes sociales du Front populaire (23 juillet 1937). Il dénonce également l’attitude du maire de Dunkerque qui ne fait pas bon accueil aux nouveaux vacanciers et qui déclare avec mépris « notre plage, sans être de luxe, a de la tenue » :
« La longue plage en pente qui s’étend de Dunkerque à Zuydcoote est blonde fille du Nord. Elle est plus plantureuse que perverse, et elle ignore peut-être que les vents froids tournent autour d’elle sans l’atteindre.
Les enfants qu’elle nourrit d’air iodé et salin ignorent aussi qu’il est des pays plus pittoresques et qu’il faut avoir vus. Les enfants sont gais là où ils se sentent bien. Eux n’ont pas encore confondu vacances et parade. Ce ne sont pas des enfants de famille huppées. Et c’est peut-être ce qui les sauve, et sauve, avec eux, l’avenir de l’espèce. Ils appartiennent à la catégorie humaine qui veut être et non paraître. »
La massification des départs n’interviendra qu’après la Seconde Guerre mondiale à partir des années 50.