Écho de presse

Le mystère du « poste zéro », la première radio pirate parisienne

le 15/12/2022 par Priscille Lamure
le 05/12/2018 par Priscille Lamure - modifié le 15/12/2022
Transformation de radio-téléphone venant d'Angleterre, Agence Rol, 1925 - source : Gallica-BnF
Transformation de radio-téléphone venant d'Angleterre, Agence Rol, 1925 - source : Gallica-BnF

En 1923, un mystérieux poste émetteur parasite les ondes de la région parisienne. Cette première radio pirate donne du fer à retordre aux services des P.T.T. – et au journaliste de L’Œuvre, qui suit l’enquête au jour le jour.

Au mois de février 1923, les auditeurs de Paris et de la proche banlieue sont dérangés dans l’écoute de leurs émissions radiophoniques quotidiennes par d’étranges manifestations sonores d’origine inconnue, qui brouillent les ondes.

De nombreux témoins affirment entendre des voix anonymes « parler, chanter et jouer de la musique », recouvrant ainsi les programmes émis par les principales stations de radio parisiennes, celles de la Tour Eiffel et de Radiola.

Comme le rapporte le journal L’Œuvre, face à cette situation extraordinaire, qu’il s’agisse de plaisantins ou de véritables saboteurs de programmes radiodiffusés, la Direction de la Télégraphie sans fil est catégorique :

« Aucune déclaration de poste en essai n’ayant été déposée, les opérateurs du poste mystérieux sont en contravention formelle avec la loi du 27 décembre 1851.

Par conséquent, ils s’exposent à des poursuites engagées par l’État, tout comme certains de leurs imitateurs. »

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Dès le mois de mars, la presse s’empare de cette curieuse affaire et L’Œuvre encore, sous la plume du journaliste Emmanuel Bourcier, se lance dans une véritable enquête afin de découvrir qui se cache derrière cette station mystère.

C’est ainsi que pendant plusieurs semaines, le journal consacre des chroniques quotidiennes à ce que l’on nomme désormais le « poste zéro », baptisé en référence aux postes secrets utilisés par les poilus afin d’espionner l’ennemi pendant la Grande Guerre :

« Nous l’avions baptisé ainsi, non seulement parce qu’il est anonyme, mais surtout parce que c’est sous cet “indicatif” que fonctionnaient, dans les tranchées, pendant la guerre, les postes d’écoute avec amplificateurs à lampes destinés à surprendre les conversations de l’ennemi. »

Ainsi, le 20 mars 1923, L’Œuvre annonce que, dans tout Paris et jusqu’en province, des professionnels de la radiodiffusion et des amateurs intrigués s’étaient mobilisés et attendaient, l’oreille rivée sur leur poste, une nouvelle intervention pirate du poste zéro sur les ondes :

« À l’heure actuelle, l’École Supérieure des P.T.T., les postes militaires de la Tour Eiffel, de Nogent, de Palaiseau et de Meudon sont alertés. De toutes parts, sapeurs, professionnels et amateurs sont à l’écoute, et, sur plusieurs points, des études goniométriques sont en cours.

Dès que l’ample voix anonyme s’élèvera, brouillant une fois encore les émissions ordinaires et les radio-concerts de la Tour Eiffel et de Levallois, elle sera “repérée”. Les ondemètres mesureront sa longueur d’onde exacte, et un facile recoupement permettra, comme nous l’avons dit, de situer de façon précise sa position géographique.

Le reste ne sera plus que jeu d’enfant. »

Mais le « poste zéro » ne s’avère en réalité pas aussi facile à tracer que cela.

Tandis que l’inconnu continue de s’approprier les ondes et que les services radiotélégraphiques de l’armée procèdent à de nombreuses et vaines vérifications, le mystérieux émetteur demeure introuvable. On mise sur l’ouest parisien, peut-être le 16e arrondissement. Certains le trouvent hilarant.

Les nerfs du journaliste de L’Œuvre, qui continue par ailleurs à publier quotidiennement l’évolution de l’enquête, sont soumis à rude épreuve :

« “On les aura” un jour ou l’autre, les facétieux radiotéléphonistes du “poste zéro”, car cent mille auditeurs peut-être les traquent. Mais en attendant qu’ils soient repérés de façon définitive… ils continuent. [...]

Lundi soir, tandis que la Tour Eiffel annonçait en français son programme musical du lendemain, le “poste zéro”, émettant sur la même longueur d’onde, soit environ 2 000 mètres, traduisit à mesure en anglais, les paroles du sapeur radiotélégraphiste.

Avant-hier, mardi, ce mystérieux farceur changea ses heures d’émission. Il commença sa plaisanterie à 5h12, parla pendant vingt minutes à peu près, joua du piano pendant cinq minutes, puis fit une joyeuse conférence sur la navigation et termina par la récitation d’une fable, le tout sur 2 000 mètres de longueur d’onde.

Son intensité était presque deux fois aussi forte que celle de la Tour Eiffel, et le son était aussi pur que lorsque les P.T.T. émettent... [...]

Un des plus grands postes privés de radio-concerts, fort gêné par l’anonyme concurrent a dû, ces jours-ci, modifier sa longueur d’onde, afin que ses milliers d’auditeurs ordinaires ne soient point brouillés... »

Enfin, le 25 mars, après plusieurs semaines d’investigation, L’Œuvre affirme que le « poste zéro » a été repéré et identifié grâce au travail conjoint des contrôleurs des P.T.T. et des services radiotélégraphiques et radiogoniométriques de l’armée.

Son émetteur serait situé en banlieue parisienne, dans l’ouest en effet, à Levallois, au sein des locaux de la Société Française de Radio électrique (SFR), cette même société qui construit alors les postes de T.S.F. Radiola – et possède la station de radio du même nom :

« Les chefs de poste ayant donné les instructions nécessaires rédigèrent, trois fois de suite, des rapports concluant que le “poste zéro”, situé au N.-N.-O. de Paris, ne pouvait être ailleurs qu’à Levallois.

Un “azimutage” très simple de l’angulation indiquée par l’orientation des cadres goniométriques démontra avec une certitude scientifique absolue que, dans Levallois, le “poste zéro” appartenait à une firme importante de radiotéléphonie qui procède, d’ailleurs, chaque jour, et plusieurs fois par jour, à des émissions publiques. »

L’enquête démontrera que le chef du Laboratoire des essais fut surpris d’apprendre que les travaux menés dans son laboratoire avaient été interprétés comme des « émissions clandestines » et surtout, qu’ils brouillaient celles de la station Radiola au service de laquelle il travaillait.

À la suite de cela, le véritable fautif sera démasqué : il s’agissait d’un honnête employé du laboratoire, un dénommé Reginald Gouraud, qui n’avait d’autre moyen pour vérifier le fonctionnement de son poste que de procéder auxdites manipulations qui provoquèrent tant d’émoi chez les auditeurs français et défrayèrent les chroniques.

Pour en savoir plus :

Jacques Makowski, Vingt-cinq années de TSF, Paris, 1935

Jean-Jacques Cheval, Les radios en France. Histoire, état, enjeux, Apogée, 1997