La Bande noire, terroristes anticléricaux bourguignons
En 1882, des anarchistes commettent des attentats dans les environs de Montceau-les-Mines. La « Bande noire » vise essentiellement les églises de la région et leurs représentants.
Dans la nuit du 14 au 15 août 1882, les habitants de Montceau-les-Mines, en Bourgogne, sont réveillés par des bruits d’émeute.
200 à 300 mineurs prennent part à une explosion de colère qui se solde par le pillage d’une armurerie et le saccage puis l’incendie de la chapelle du Bois-de-Verne. La presse de l’époque désigne le coupable : la Bande noire.
Depuis le mois de juin en effet, cette fameuse Bande noire s’en prend aux églises de la région, s’attaquant à des chapelles et détruisant les croix érigées qu’ils rencontrent sur leur passage.
« Depuis quelques semaines, les habitants de Blanzy, de Montceau-les-Mines et des environs sont terrorisés par une bande d'individus qui parcourent les rues en chantant et en criant : Vive la Révolution sociale !
Dans la nuit de samedi à dimanche, ces vauriens ont de nouveau démoli la croix du Bois-du-Verne que la Compagnie des Mines de Blanzy avait fait replacer. Ils ont également démoli la croix du Bois-Roulot. […]
Dans la nuit de dimanche à lundi, les mêmes vauriens, probablement, ont percé deux trous de chaque côté de la grande statue de la Vierge Notre-Dame-des-Mines, érigée au-dessus des Oiseaux. Après avoir rempli ces trous de dynamite, ils y ont mis le feu, vers dix heures et demie du soir.
L’explosion a été très forte, mais n'a pas produit l’effet que ces malfaiteurs en attendaient. »
Les émeutiers en profitent également pour piller une armurerie.
« Après cet exploit, la bande noire se dirigea vers la croix de Mahy, dans le but de la faire sauter ; mais les gendarmes, prévenus, firent bonne contenance et les brigands se retirèrent en hurlant : Vive la Révolution sociale ! Vive la Révolution de 93 ! Celle de 82 sera plus terrible !
Puis ils allèrent piller la boutique du sieur Beaujard, armurier dans le village de Champ-du-Moulin, en emportant armes et munitions. »
La Bande noire est un groupe anarchiste issu du milieu ouvrier et de la mine des environs, qui s’en prend quasi systématiquement à l’Église et à ses institutions, menaçant parfois de mort les représentants du clergé.
La colère gronde depuis longtemps : dans cette région, le clergé a tout pouvoir sur la vie des hommes et des femmes, de leur naissance à leur mort, régissant instruction, moralité, mariages et même enterrements – il est impossible de ne pas se faire enterrer sans les sacrements.
Les menaces des anarchistes visent aussi les responsables de la mine et leurs contremaîtres ; à ce moment-là, la rage est grande chez les mineurs. Mais la presse refuse d’imputer ces actions aux ouvriers, préférant y voir une improbable main étrangère au prolétariat local.
« Cependant, il faut les réduire à leurs justes proportions, et ne pas exagérer la situation en confondant les actes d'une association de brigands avec un mouvement ouvrier.
Les chefs de certains groupes révolutionnaires voudront peut-être essayer de faire naître ce mouvement, et ce qui nous porte à le croire, c'est l’apparition d'un nouveau journal se disant l'organe des travailleurs de la région de Saône-et-Loire et des comités révolutionnaires creusotins.
Mais nous doutons fort que les ouvriers de Montceau-les-Mines se laissent ainsi tromper sur leurs véritables intérêts. Ils n’ont eu qu'à se louer de leurs chefs, et les menaces qui ont été adressées à MM. Chagot, directeur des mines, et Mathey, ingénieur, ont laissé ceux-ci fort calmes. Ils témoignent la plus grande confiance dans leurs ouvriers et cette confiance semble réciproque. »
Cependant, certains journaux républicains pointent la responsabilité de l’Église dans l’organisation sociale de la région, notamment ses accords avec les propriétaires des mines et des usines pour mettre la vie des ouvriers en coupe réglée.
« Le Congrès catholique d'Autun s'est occupé, on le sait, de l'organisation de l'industrie et de la propriété tant agricole qu'urbaine, de l’éducation de la jeunesse, des orphelinats agricoles et des banques populaires. Dans toutes les questions, il a recherché par quels moyens on pourrait détruire l'œuvre de la Révolution. […]
Le Congrès catholique d'Autun l'a dit nettement : il faut supprimer la liberté du travail, rétablir les jurandes et les maîtrises. […]
Nous tenons seulement à constater que ce Congrès a hautement affiché l’intention :
1° De reprendre aux ouvriers la liberté du travail ;
2° De reprendre aux paysans la terre que la Révolution leur a donnée.
Ces théories émises sous les yeux et avec la participation des personnes influentes du pays, des gros propriétaires, de riches patrons, ont créé un certain trouble dans les esprits. »
Mais le journal radical La Presse va plus loin encore, et voit dans cette Bande noire un invraisemblable complot clérical ourdi dans le seul but de desservir les intérêts des ouvriers.
« La “bande noire” qui parcourt les communes de Blanzy et de Montceau, renversant les statues de la vierge Marie et les croix qui se trouvent dans ce pays à tous les carrefours, à tous les coins de chemins, cette “bande noire” est uniquement composée de gens à la solde des cléricaux militants du pays.
Ils savent où se réfugier, ils savent comment échapper aux poursuites. C’est ce qui explique qu'aucun d'eux n'ait été arrêté. »
Une première vague d’arrestations entraîne le procès de 23 suspects au mois d’octobre 1882. Le procès dure deux mois et 9 accusés sont condamnés de un à cinq ans de prison (la peine la plus lourde pour Devillard, reconnu « chef » de la bande et responsable de l’émeute du mois d’août).
Ces arrestations n’empêchent toutefois pas la Bande noire de récidiver. En 1883, elle attaque les maisons de deux mineurs soupçonnés d’être des mouchards. En 1884, ce sont un ingénieur, puis le maire de Sanvignes et enfin une chapelle qui sont visés.
Le 7 novembre 1884, la dernière tentative d’attentat se solde par des coups de feu : trois gendarmes et un jeune anarchiste sont blessés.
« Vendredi soir, des gendarmes étaient en observation autour de cette maison, lorsque, vers dix heures, ils aperçurent un individu s’approchant de la porte et déposant un engin muni d’une mèche, à laquelle il venait de mettre le feu.
Les gendarmes, placés dans la cour, se précipitèrent pour couper la mèche et saisir le dynamiteur. Celui-ci, armé d’un revolver, fit un feu roulant.
Le maréchal des logis Belgy reçut une balle à l’avant-bras gauche, et le gendarme Choffe une autre à l’épaule gauche. Le gendarme Pépin poursuivait le meurtrier et allait l’atteindre, lorsque celui-ci, faisant demi-tour, lui tire, à bout portant, un coup de revolver qui le frappe dans la région du cœur.
En ce moment, le meurtrier est lui-même atteint de deux balles, l’une à l’épaule droite, l’autre à l’oreille du même côté.
Enfin, il est arrêté et est reconnu pour être le nommé Leguelaff [Jean Gueslaff], âgé de dix-huit ans, mineur, demeurant aux Alouettes, chez sa mère. »
Les arrestations se succèdent alors. 32 personnes vont comparaître devant la Cour d’assisses de Saône-et-Loire le 18 mai 1885 pour vol de dynamite, explosions et tentatives d’assassinat (le gendarme Pépin n’étant que blessé).
Au total, dix seront condamnés à de la prison et à du bagne (10 ans de bagne pour Gueslaff, 20 pour Émile Hériot, considéré comme le chef de la Bande noire).
Ce procès mettra un terme dans la région à ce que les anarchistes avaient alors théorisé comme la « propagande par le fait ».