Jules Rimet, les tourments du fondateur de la Coupe du monde
Ancien dirigeant du Red Star, Rimet voyait dans le sport un moyen de rapprochement entre les peuples – mais la compétition qu’il a créée a également reflété les nombreuses tensions internationales des années 1930.
Le samedi 21 juin 1930, le paquebot Conte-Verde quitte Villefranche-sur-Mer. À son bord, une délégation de footballeurs français emmenée par le président des fédérations internationale et française, Jules Rimet, part disputer la première édition de la Coupe du monde en Uruguay.
La France est l’une des quatre seules équipes européennes à participer avec la Roumanie, la Yougoslavie et la Belgique, et cette décision, prise à l’instigation de Rimet, qui a voulu la création de ce tournoi, suscite la méfiance de la presse.
En mai 1930, Le Populaire s’insurge :
« Signalons l’ahurissante nouvelle qui nous parvient : l’équipe de France ira à Montevideo représenter l’amateurisme intégral. Ainsi en a décidé le bureau de la 3 F.A. [la Fédération] revenant sur ses décisions antérieures et suivant de la sorte son président Rimet, lequel est partisan acharné de ce voyage. [...]
Voilà donc un nouveau scandale et de taille. »
De même que L'Ouest-Éclair :
« On fait de cette question de déplacement de l’équipe de France une affaire assez puérile de sentiment.
On joue mieux de la corde sensible qu’on ne joue bien au ballon, tant pis si l’équipe de France se fait cogner par la première équipe venue. »
Sur place, l’équipe de France l’emporte largement face au Mexique (4-1) et ne s’incline que 1-0 contre l’Argentine, dans des circonstances rocambolesques (l’arbitre a sifflé la fin du match à la 84e minute…), et le Chili. Avant comme après la compétition, Match félicite le plus gradé de la délégation française :
« N’importe, les jeunes Français se seront remarquablement comportés à Montevideo et nous ne leur ménagerons pas l’éloge à eux et à leur chef, le président Rimet, qui, malgré vents et marées, amena le football français à participer à la Coupe du Monde, et qui doit être félicité sans réserve pour une œuvre dont il aurait été le premier responsable si elle avait échoué. »
Comme le note alors L’Œuvre, « le déplacement des footballeurs français [...] est un des plus grands efforts de propagande qui ont été tentés ».
Dès le début, football et diplomatie se mêlent en Coupe du monde. L’Uruguay a été désigné pays organisateur en tant que double champion olympique en titre mais aussi parce qu’il célèbre cette année-là le centenaire de son indépendance.
Après la compétition, Rimet voyage en Argentine pour tenter d’aplanir les relations entre les fédérations argentine et uruguayenne, alors en froid – le Journal le présente d’ailleurs comme l’homme qui, « depuis dix années, préside avec bonheur cette espèce de Société des nations » qu’est la Fifa. Sauf que la Société des nations comme la Coupe du monde ne sauront prévenir les conflits entre pays.
En 1934, Rimet assiste à la finale de la deuxième édition, remportée par l’Italie à domicile, aux côtés de Benito Mussolini, et en livre le récit enthousiaste à Paris-Soir :
« Le Duce est très humain, et en suivant le match à ses côtés, vous n’auriez jamais cru être aussi près du maître suprême d’un grand pays.
C’est cette simplicité dans l’uniforme, dans les manières, de sentiments qui lui valent d’être adulé à ce point. Et quelle leçon pour nos dirigeants que de constater l’enthousiasme d’un Mussolini qui conduit lui-même son auto, qui fait du ski, qui nage, qui fait du cheval et dont l’exemple sportif est suivi par l’Italie entière. »
« Un match entre deux nations revêt un caractère pacifique qui a quelque chose d’émouvant », explique le dirigeant à Ce Soir en mars 1938.
Cette année est censé marquer son heure de gloire, avec l’organisation de la Coupe du monde en France – qu’il avait un temps songé à avancer à 1937 pour coïncider avec l’Exposition universelle. Mais la nuit tombe déjà sur l’Europe.
L’Espagne, déchirée par la guerre civile, ne participe pas. L’Autriche, qualifiée, laisse sa place vacante après l’Anschluss. La Tchécoslovaquie dispute un de ses derniers matchs avant l’annexion des Sudètes. Quant à l’Italie, qui va une nouvelle fois remporter la compétition, elle a reçu du Duce ce message martial : « Vaincre ou mourir ! »
L’attitude prudente de Rimet lors de l’Anschluss lui vaut alors les foudres de L’Humanité :
« Nous aurions cru que M. Rimet, président de la Fédération internationale de football, serait intervenu auprès du gouvernement hitlérien pour protester contre les mesures qui ont été prises.
Malheureusement, M. Rimet n’en a rien fait. »
Il n’y aura pas de Coupe du monde 1942, ni 1946. « Vous pouvez annoncer que la prochaine Coupe du monde, celle qui devait se disputer en 1942, n’aura pas lieu, lance Rimet au printemps 1941 à la presse, alors que le Brésil ou l’Argentine étaient cités pour l’accueillir. [...] Et dans la situation internationale actuelle, on ne peut prévoir à quelle date la prochaine Coupe du monde sera disputée. 1943, 1944 ? Je ne sais. »
Dans la France vaincue, Rimet est dans un premier temps resté à son poste. Mais l’époque est aussi agitée pour le sport français, notamment du fait de la volonté du régime de Vichy d’abolir le professionnalisme, supposé corrompre sa « pureté ».
En février 1941, L’Œuvre s’interroge sur cette politique dans un article très critique, et élogieux pour Rimet :
« Est-il exact que, sous prétexte de “rénovation” et d’“hommes nouveaux”, le Commissariat général songe à demander sa démission, à se passer de ses services ? Ce serait une lourde faute, à notre sens.
Déjà, dans d’autres fédérations, l’on sent qu’on a voulu placer des “amis” dans les situations en vue : et le résultat n’a pas toujours été très heureux.
Qui donc prétendait que la République des camarades était morte ? L’État français (sic) des petits copains paraît devoir la remplacer avantageusement. »
Ces tensions vont conduire à sa démission, en mars 1942. Jules Rimet, qui reprendra son poste à la Libération, n’en continue pas moins de toujours croire aux vertus pacifiques du sport, comme il l’explique à L’Écho d’Alger en août 1942 :
« Les sports sont un excellent moyen de propagande, de compréhension et d’entente entre les peuples. […]
Lorsque la paix sera revenue, je suis persuadé que le sport remplira un rôle important dans la reprise des relations entre les nations. »