Écho de presse

2 novembre 1789 : le décret qui nationalisa les biens de l’Église

le 01/11/2024 par Pierre Ancery
le 31/10/2017 par Pierre Ancery - modifié le 01/11/2024
Pièce satyrique contre le prince Talleyrand ; 1815 - source Gallica BnF

Sur proposition de Talleyrand, les biens du clergé sont nationalisés par l'Assemblée Constituante le 2 novembre 1789.

Automne 1789. Les finances de la France sont au plus bas. Pendant toute l'année, l'affaiblissement du pouvoir central et les nombreuses incertitudes politiques qui ont plané sur le pays ont fait empirer la situation. Il faut trouver une solution pour rembourser les dettes.

 

Talleyrand (1754-1838), alors évêque d'Autun et député de la Constituante, fait une proposition radicale, à laquelle tous les courants révolutionnaires sont favorables : la nationalisation des biens de l’Église. Ceux-ci sont essentiellement constitués de domaines agricoles et d'immeubles, qui proviennent en grande partie de dons destinés à permettre au clergé d'assurer des tâches sociales et éducatives. 

 

Le 10 octobre, il dépose une motion auprès de l'Assemblée. La Gazette nationale retranscrit son discours :

 

« Le clergé n’est pas propriétaire à l’instar des autres propriétaires. La Nation jouissant d’un droit très étendu sur tous les corps, en exerce de réels sur le clergé ; elle peut détruire les agrégations de cet ordre, qui pourraient paraître inutiles à la société, et nécessairement leurs biens deviendraient le juste partage de la Nation […]. 

Quelque sainte que puisse être la nature d’un bien possédé sous la loi, la loi ne peut maintenir que ce qui a été accordé par les fondateurs. Nous savons tous, que la partie de ces biens, nécessaire à la subsistance des bénéficiers, est la seule qui leur appartienne ; le reste est la propriété des temples et des pauvres. »

 

En contrepartie de cette nationalisation, Talleyrand propose que l’État prenne à sa charge les frais de culte, paye un salaire aux prêtres et pourvoie à l'entretien des hôpitaux et à l'aide aux démunis.

 

La hiérarchie catholique et la droite de l'Assemblée (l'abbé Maury en particulier) mènent une campagne farouche contre cette proposition. Le projet, défendu par le comte de Mirabeau, proche de Talleyrand, est soumis au vote le 2 novembre de la même année. Avant le vote, Mirabeau prononce un long discours :

 

« Je dirai à ceux qui voudraient le contester, qu'il n'est aucun acte législatif qu'une Nation ne puisse révoquer, qu'elle peut changer, quand il lui plaît, ses lois, sa constitution, son organisation et son mécanisme ; la même puissance qui a créé peut détruire, et tout ce qui n’est que l'effet d'une volonté générale, doit cesser, dès que cette volonté vient à changer.

 

Je dirai ensuite que l'Assemblée actuelle n’étant pas seulement législative, mais constituante, elle a, par cela seul, tous les droits que pouvaient exercer les premiers individus qui formèrent la Nation Française. »

 

Le décret est pris le même jour, par 568 voix contre 346 :

 

« L'Assemblée nationale décrète :

 

1° Que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir, d'une manière convenable, aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres, et au soulagement des pauvres, sous la surveillance et d'après les instructions des provinces ;

 

2° Que dans les dispositions à faire pour subvenir à l'entretien des ministres de la religion, il ne pourra être assuré à la dotation d'aucune cure moins de 1 200 livres par an, non compris le logement et les jardins en dépendant. »

 

La nationalisation des biens du clergé suscite l'horreur de toute une partie de l’Église qui estime que Talleyrand, ecclésiastique nommé à l'évêché par Louis XVI et ancien agent général du clergé de France (chargé de défendre les biens de l’Église !), a trahi son ordre et est devenu un « apostat ».

 

Il démissionnera de sa charge épiscopale en janvier 1791 et poursuivra (jusqu'à sa mort en 1838) une brillante carrière politique sous tous les régimes ultérieurs.