L’énigmatique chute du météore introuvable de Sibérie
En 1908, une explosion cataclysmique détruit une grande partie de la forêt sibérienne. La première expédition scientifique en 1927 conclut à la chute d’un météore – qu’on ne retrouvera jamais. 110 ans plus tard, l’énigme n’est toujours pas résolue.
Le 30 juin 1908, la région de la Toungouska, une rivière de Sibérie centrale, est touchée par un étrange phénomène : une intense lumière dans le ciel évoquant une « colonne de feu », d’extraordinaires coups de tonnerre, une violente secousse du sol enregistrée – qui détraque au passage les sismographes d’Irkoutsk, un millier de kilomètres plus loin.
Interrogés, les témoins qui habitent à plus de 100 km de là évoquent un cataclysme.
« Il était environ 8 heures du matin et je me trouvai devant ma maison lorsque soudain je vis apparaître dans le ciel, au nord-ouest, une immense mer de flammes.
Il fit tout à coup une telle chaleur que j'eus l'impression que mes vêtements prenaient feu. La peau me brûlait. Au même instant, j'entendis une explosion formidable, suivie de quantité d'autres plus petites. Ma maison trembla sur sa base et je crus qu'elle allait se renverser. Toutes les vitres se brisèrent.
Puis, le ciel s'obscurcit un instant et nous vîmes une pluie de terre s'abattre sur toute la région. »
La Sibérie orientale est difficile d’accès, et surtout, le pays est alors en proie à des troubles révolutionnaires. Il faudra attendre 1927 pour qu’une expédition scientifique se mette sur pied pour enquêter sur les lieux.
Emmenée par le géologue Leonid Koulak, qui a émis rapidement l’hypothèse d’une météorite, l’équipe arrive au bord de la rivière Toungouska après un voyage périlleux. Le spectacle qui s’offre à leurs yeux est incroyable.
« L’expédition russe arriva soudain dans une partie moins dense de la forêt, qui semblait avoir été ravagée par le feu. Bientôt la forêt cessa complètement et les membres de l'expédition se trouvèrent sur les bords d'un immense cratère dont la seule végétation était de la mousse et des pervenches.
Partout sur la terre, ce n'étaient que squelettes d'animaux carbonisés et troncs d'arbres déterrés et à demi brûlés.
Ce désert immense était bien le lieu où était tombée la météorite monstre, il y avait exactement vingt ans. La terre avait été bouleversée et retournée sur près de 200 mètres de profondeur. Le seul fait que vingt ans après la végétation n'avait pas repoussé, révélait nettement l'importance du désastre qui s'était produit dans cette région. »
La surface de la forêt est dévastée sur un rayon de 20 kilomètres : plus de 60 millions d’arbres ont été détruits. La façon dont ils gisent au sol paraît singulière aux yeux des scientifiques.
« Tous les arbres sont abattus et les troncs gisent à terre suivant des lignes régulières qui constituent comme des rayons partant du centre de la chute. Les branches sont toutes brûlées. »
Le souffle a fait des dégâts sur plus de 100 km et la déflagration a été audible dans un rayon de 1 500 km. Sur place, les chercheurs découvrent plusieurs impacts qui ressemblent à des entonnoirs « pareils à ceux que produit l’explosion des obus de l’artillerie lourde ».
Pour Koulik, l’hypothèse de la météorite heurtant la Terre se confirme.
« Les savants russes pensèrent fort justement que la masse principale de la météorite se trouvait au centre et au fond de ce cratère, qui abritait un lac de 30 centimètres de profondeur.
Ils calculèrent que la météorite avait dû tomber perpendiculairement sur la terre. Elle avait fait explosion à environ 120 mètres d'altitude, semant autour d’elle 200 autres météorites toutes logées au fond de cratères plus petits, mais dont la moins importante pesait 200 tonnes.
Les petites météorites s'étaient enfoncées entre 20 et 60 mètres de profondeur. »
Mais voilà, malgré ses recherches, l’explorateur russe ne trouve pas le fameux météore. Les journalistes en étaient pourtant persuadés.
« D’après les calculs faits sur place, la météorite atteindrait le poids de 40 000 tonnes et recèlerait pour plus de 25 milliards de francs de platine et de fortes quantités de nickel et de minerai de fer.
Une matière de couleur bleue s'est déposée autour de chaque cratère, ce qui laisse supposer que cette masse renferme une substance chimique encore inconnue sur la terre. »
Pas de gigantesque météore, pas même la moindre trace. Le géologue soviétique met à jour quelques fragments qu’on annonce tout d’abord comme des fragments de météorite trouvés au fond des entonnoirs, mais qui ne résisteront pas à une analyse postérieure, se révélant être de la tourbe calcinée.
On peut même difficilement parler de « cratère », comme la fait la presse, tant la surface ravagée est importante et le point d’impact inexistant.
Et pourtant, il s’est bien passé quelque chose de cataclysmique ce 30 juin 1908, quelque chose qui a bel et bien bouleversé la vie des éleveurs de rennes toungouses.
« Tout cet immense territoire était, autrefois, couvert de pâturages de rennes appartenant au Toungouse Wassuli Ilitch. C'était un homme riche qui possédait environ 1 500 rennes. Il avait édifié dans toute cette région, quantité de greniers dans lesquels il entreposait des vêtements, des peaux d'animaux, etc. À l'exception d'une demi-douzaine de rennes, tous les autres se trouvaient en liberté.
Soudain le feu éclata, incendia et bouleversa la forêt. Tous les rennes et les greniers d'Ilitch furent détruits. Plus tard, les Toungouses allèrent explorer les régions dévastées par le feu. Ils ne trouvèrent que des os d'animaux carbonisés, quelques cuvettes et samovars. On ne revit plus jamais Ilitch. […]
Les rennes qui n'avaient pas été carbonisés, avaient fui et il avait fallu des années pour reconstituer des troupeaux. Les hivers qui avaient suivi la chute du météore, avaient été marqués par la famine. »
Selon Leonid Koulik, à titre de comparaison, cet événement aurait pu détruire de fond en comble les villes de Saint-Pétersbourg ou de Londres. Le géologue meurt comme prisonnier de guerre en 1942, sans jamais avoir percé le secret de l’énigme.
Les expéditions soviétiques reprendront à partir de 1958, renforcées par des scientifiques étrangers à compter de 1989. Mais à ce jour, aucun météorite n’a été découvert. Entretenant les idées les plus fantasques, depuis la chute d’un vaisseau spatial jusqu’à une improbable explosion nucléaire extraterrestre.
L’hypothèse scientifique la plus communément admise aujourd’hui est celle de l’explosion en très haute altitude (entre 5 et 9 kilomètres) d’une comète, d’un astéroïde ou d’un quelconque objet céleste, laquelle aurait libéré une énergie de 3 à 5 mégatonnes – soit l’équivalent d’une explosion simultanée de quelque cent bombes atomiques.
Les recherches se poursuivent toujours aujourd’hui afin d’éclaircir ce mystère avant que les indices ne disparaissent définitivement avec le temps et la végétation.