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Le massacre d’Iquique : l’armée contre les ouvriers

le par - modifié le 20/12/2024
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Le 21 décembre 1907, l’armée chilienne ouvre le feu sur des ouvriers en grève hébergés dans une école. Le bilan, largement tu par le gouvernement d’alors, est effroyable.

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Au début du vingtième siècle, la province d’Iquique, au nord du Chili, tire une grande partie de sa richesse de l’exploitation des mines de salpêtre. La ville portuaire d’Iquique voit quotidiennement des bateaux chargés de nitrate partir pour le reste du pays et l’étranger.

Au début du mois de décembre 1907, la colère gronde parmi les ouvriers. Le travail est dur, les accidents mortels fréquents, et ils exercent leur métier sans grande protection. Par ailleurs, ils sont extrêmement mal payés et leur salaire leur est versé, non en pesos (la monnaie nationale) mais en jetons ou tickets. Ceux-ci ne sont utilisables que dans les commerces tenus par les patrons des mines, commerces pratiquant qui plus est des tarifs supérieurs aux prix nationaux.

Le 10 décembre, les ouvriers se mettent donc en grève pour de meilleures conditions de travail et un salaire augmenté, payé en argent légal.

« Quelques ouvriers des salpêtrières d'Iquique se sont mis en grève ; ils demandent une augmentation de salaires. Le gouvernement a pris toutes les mesures nécessaires pour maintenir l'ordre.

Les grévistes sont descendus à Iquique où le préfet de la province va servir de médiateur entre les ouvriers et les patrons.

La grève étant pacifique, on espère un prompt arrangement. »

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Le 15 décembre, plus de 2 000 ouvriers venus à pied de toute la région de la région arrivent à Iquique, siège des entreprises qui exploitent les mines. Ils viennent négocier avec leurs patrons sur la base d’un accord en dix points qui exige en premier lieu que l’on remplace les tickets par de l’argent comptant et que la journée de salaire soit augmentée à 18 pences (18 penique). Le gouvernement chilien rassure les entreprises.

« Le président Montt a répondu aux salpêtrières et au haut commerce d'Iquique, qui lui demandèrent la fixation de la valeur de la monnaie, que le gouvernement était résolu à faire le rachat du papier monnaie pour arriver au cours de la monnaie d’or. »

En attendant l’ouverture des discussions, les grévistes sont hébergés à l’école Domingo Santa Maria, bientôt rejoints par des centaines de femmes et d’enfants. Mais le gouvernement et les groupes de nitrate n’ont pas l’intention de négocier. Des contingents militaires sont dépêchés sur place.

Le 21 décembre, les troupes se positionnent devant l’école ; l’ordre est donné aux ouvriers d’évacuer le bâtiment. Devant leur refus, le général d’armée Roberto Silva Renard fait d’abord ouvrir le feu avec deux mitrailleuses puis envoie l’infanterie dans l’école avant de lancer les hommes à chevaux pour achever ceux qui s’enfuient.

Le Matin titre « Grève sanglante au Chili », quoique les informations arrivant jusqu’en France via les agences de presse internationales soient pour le moins incomplètes.

L'école Santa Maria d'Iquique, où se sont réfugiés les ouvriers de la mine avant que les forces de l'ordre ouvrent le feu, circa 1910 - source : Domaine Public
L'école Santa Maria d'Iquique, où se sont réfugiés les ouvriers de la mine avant que les forces de l'ordre ouvrent le feu, circa 1910 - source : Domaine Public

« À Iquique (Chili), on mitraille les ouvriers en grève – Deux cents de ceux-ci seraient morts.

WASHINGTON, 23 décembre. Le ministère des affaires étrangères a appris par son représentant à Iquique qu'une collision s'est produite entre les troupes et les ouvriers grévistes dans l'industrie du nitrate. Des mitrailleuses ont été dirigées contre les grévistes, qui ont eu, dit-on, deux cents tués. (Reuter.) »

Les forces armées procèdent dans la foulée à plus de 6 000 arrestations. Le gouvernement étouffe toute information sur cette journée.

« SANTIAGO (Chili).

– La censure a été établie sur les télégrammes venant d’Iquique, de sorte qu’on n’a aucun nouveau renseignement au sujet de la grève de la salpêtrière d’Alienza.

Le ministre de l’intérieur assure qu'il ne s'est produit aucun événement de puis ceux télégraphiés hier. »

Lorsque vient l’heure d’établir le bilan, le gouvernement chilien ne reconnaît que 126 morts et 135 blessés. Dans les faits, il s’agit d’un carnage réalisé de sang-froid contre une population totalement désarmée. Les chiffres avancés par les journaux vont bien au-delà des informations officielles.

« Une dépêche adressée au XIXe siècle, de Gênes, annonce que le chiffre exact des victimes dans le récent conflit d’Iquique, au Chili, est de 400 morts et de 600 blessés. Les mitrailleuses de marine ont fait un terrible carnage.

La grève générale de protestation continue, et l'on demande la mise en accusation du ministre de l'Intérieur et des autorités d’Iquique. »

De fait la situation est encore plus terrible et on parle aujourd’hui de plus de 2 000 morts. Les journaux français de l’époque se préoccupent surtout des conséquences économiques du massacre, l’industrie du salpêtre en dépendant.

« Les grèves d’Iquique, au Chili, ont donné lieu à des bagarres très meurtrières entre la troupe et les ouvriers, ce qui ne facilitera pas une entente.

La situation des compagnies nitratières se complique encore du fait de la crise financière et économique que traverse le pays ; pour remédier à cette dernière, le gouvernement serait disposé à venir on aide aux banques, en émettant des bons du trésor à court terme. Les valeurs nitratières montrent plus de résistance. »

Transport des ouvriers d'Iquique blessés vers l'hôpital de le plus proche, 1907 - source : Memoria Chilena-Domaine Public
Transport des ouvriers d'Iquique blessés vers l'hôpital de le plus proche, 1907 - source : Memoria Chilena-Domaine Public

Trois semaines après l’exécution en masse des ouvriers, l’ordre règne au Chili tandis que les marchés repartent à la hausse.

« On annonce de Santiago-du-Chili que le mouvement ouvrier, à Iquique, est complètement terminé, et que les travaux s'effectuent normalement dans toute la région salpêtrière et dans les ports.

Les valeurs nitratières ont encore gagné un peu de terrain […] »

Le massacre de l’école Santa-Maria jouera un rôle prépondérant dans la constitution du mouvement ouvrier au Chili.

Très vite, cet événement sera supprimé de la chronologie officielle du Chili, et continuera d’être tu par les gouvernements autoritaires à la tête du pays. Il sera finalement reconnu cent ans plus tard, en 2007, lors d’une commémoration organisée par le gouvernement chilien et la création d’une journée de deuil dédiée à la mémoire du massacre.

Pour en savoir plus :

Maurice Fraysse, Aspects de la violence dans la presse anarchiste du Chili (1898-1914), Caravelle, 1986

Pierre Vayssière, Militantisme et messianisme ouvriers au Chili à travers la presse de la Pampa nitrière (1900-1930), Caravelle, 1986