Écho de presse

L’Habeas Corpus anglais débattu en pleine Révolution française

le 08/12/2019 par Michèle Pedinielli
le 29/11/2019 par Michèle Pedinielli - modifié le 08/12/2019
Gravure relatant l'épisode du 4 février 1790 à l'Assemblée nationale - source : Archives Nationales-WikiCommons
Gravure relatant l'épisode du 4 février 1790 à l'Assemblée nationale - source : Archives Nationales-WikiCommons

En 1790, l’Habeas corpus anglais s’invite dans les discussions des députés révolutionnaires. En 1792, cette loi qui protège les sujets du royaume contre toute arrestation arbitraire redevient une actualité en Angleterre lorsque le roi George III en demande la restriction, afin de protéger son pays d’une contagion révolutionnaire.

En août 1790, le procès de Charles-François Perrotin de Marmont à l’Assemblée nationale, donne l’occasion à sa défense d’évoquer l’Habeas Corpus anglais. Depuis 1679, cette loi assure à tous les habitants d’Angleterre (les Irlandais et les Écossais ne sont pas concernés) la liberté fondamentale  de ne pas être arrêté et détenu arbitrairement.

Perrotin, député du clergé, a été saisi pour avoir donné asile à un officier évadé. Il est entendu à la Chambre, l’accusation étant portée par Robespierre et Mirabeau. Député du clergé et de la noblesse, l’abbé Jean-Sifrein Maury, dit l’abbé Maury et figure contre-révolutionnaire, est le défenseur de Perrotin qui s’insurge d’avoir été détenu à la prison de l’Abbaye, sans connaître pendant trois semaines le motif de son arrestation.

Exposition à la BnF

L'Invention du surréalisme : des Champs Magnétiques à Nadja.

2020 marque le centenaire de la publication du recueill Les Champs magnétiques – « première œuvre purement surréaliste », dira plus tard André Breton. La BnF et la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet associent la richesse de leurs collections pour présenter la première grande exposition consacrée au surréalisme littéraire.

 

Découvrir l'exposition

Cet arbitraire est le fer de lance de la défense de l’abbé Maury.

« Ce n’est pas la sensibilité, l’humanité ; c’est la raison, c’est l’intérêt public qui doivent être les guides des législateurs.

La grande affaire qui vous occupe en ce moment appelle toute votre attention sur des principes généraux et des considérations particulières. Il n’y aura jamais de liberté pour aucun Peuple, tant qu’il renfermera dans son sein des prisons non légales.

En Angleterre, il n’y a qu’une seule prison par comté ; elles sont multipliées à Londres, à cause de l’immense population de cette Capitale. Il n’est pas un Anglois qui ne crût la Constitution renversée, la liberté anéantie, si un individu pouvoit être mis en prison, sans qu’il eut le droit d’exercer la Loi salutaire habeas corpus. »

Charles Perrotin sera libéré et finira sa vie en Hongrie.

Quelques mois plus tard, en février 1791, on craint que Louis XVI et sa famille ne fuient Paris. Tandis que lorsqu’on discute de la suspension du droit de sortir du pays pour le roi (« fonctionnaire public par excellence »), c’est vers l’exemple de l’Angleterre que les députés se tournent. Le député Barère, orateur important des premières années de la Révolution et futur rapporteur du Comité de salut public, rappelle ainsi que l’Habeas Corpus a déjà été suspendu à Londres en temps de crise politique.

« L’Angleterre, si jalouse de la liberté individuelle, ne la sacrifie-t-elle pas dans des tems orageux à la liberté politique, en suspendant pour un tems l’exercice de l’acte d’habeas corpus, quoiqu’il soit la sauvegarde et le plus ferme rempart de la liberté civile ?

Quel que contraire que paraisse être aux droits de l’homme le droit de retenir le citoyen, ce droit n’est-il pas, en tems de guerre, une loi dictée souvent par la sagesse et I’humanité comme un gage de la sureté et de la foi publique ?

« J'avoue, dit Montesquieu, que l’usage des peuples les plus libres qui aient jamais été sur la terre, me fait croire qu'il y a des cas où il faut mettre pour un moment un voile sur la liberté comme l’on cacha les statues des dieux. » […]

Ah ! si la liberté ne fut jamais la faculté de mal faire, si elle ne fut jamais le droit de nuire à la patrie, si elle ne fut jamais le droit de fuir les dangers de la patrie, même de les augmenter pour prix de ses immenses bienfaits, vous rendrez un décret qui, après avoir appris à la dynastie les droits que lui donne la nation, lui apprendront aussi les devoirs qu’elle est en droit de lui imposer. »

Les « tems orageux » auxquels fait allusion Barère se concrétisent en décembre 1792 en Angleterre. Pour éviter la contagion révolutionnaire venue de France et lutter dans le même temps contre la vague des réformateurs de son pays, William Pitt, chef du gouvernement du souverain Georges III, dénonce des « individus mal intentionnés » cherchant à mettre à mal la constitution du royaume. Il propose alors la suspension de l’Habeas Corpus pour les étrangers, notamment les Français.

« La première motion faite au parlement après la rentrée y a été la suppression de la loi habeas corpus à l’égard des étrangers ; l’on espère, par ce moyen, pouvoir arrêter ou chasser arbitrairement les étrangers, et principalement les Français, amis de la révolution, qui se trouveroient en Angleterre ;

Cette conduite est le comble de l’iniquité ; toutefois le gouvernement n'est pas aussi rassuré du côté de l’Irlande et de l’Ecosse ; il ne les manie pas avec autant de facilité. »

Les débats au parlement britannique sont vifs. Si la majorité suit le discours du roi, qui entend contenir les mouvements séditieux hors de son royaume, certains parlementaires s’élèvent contre cette restriction, selon eux inutile, de liberté.

« Le lord Wycombe, fils du marquis de Lansdown, parla avec beaucoup de force, comme son père l’avoit fait dans la chambre-haute, contre les ministres qui cherchoient à alarmer la nation sur des dangers qui n’existoient pas.

Il y a sans doute, dit-il, des hommes qui pensent que notre constitution n’est pas la plus parfaite possible ; mais c’est là une opinion purement spéculative, qu’on peut soutenir ou discuter chez un peuple libre : mais craindre que ces idées de perfection amènent des tentatives pour changer notre constitution, c’est une folie d’autant plus grande qu’il n’y a pas un homme de bon sens qui ne puisse point juger, par l’expérience d’une nation étrangère, combien de malheurs & de dangers peut entraîner une semblable expérience. »

Seuls les étrangers sont visés par ce « bill ». Mais cette restriction de liberté pour un seul groupe est une restriction de liberté pour tous selon le lord Taylor, qui y voit une menace pour le peuple britannique dans son entier.

« Taylor parle contre le bill des étrangers. Il n’aperçoit nulle part ces dangers imminents qui font invoquer cette mesure extraordinaire. Elle lui paroi de la tendance la plus dangereuse, susceptible d’une extension qui menace anéantir l’acte d’habeas corpus, ce palladium de la liberté britannique.

Elle attaque dans leur principe les droits les plus sacrés garantis par la constitution, puisque les lois nationales établissent des droits en faveur des étrangers, tant au civil qu’au criminel. […] Taylor accuse ensuite le gouvernement d’enfreindre cette même constitution, qu’il affecte de vouloir maintenir à quelque prix que ce soit. […]

Or, la constitution, les statuts, le bill des droits reconnaissent formellement l’intérêt majeur, immédiat, inaliénable, dont chaque individu, propriétaire ou non, a droit de se prévaloir, en matière de gouvernement, et c’est le comble de la démence  que de mépriser la masse du peuple, comme on se l’est trop permis depuis un certain temps. »

En 1793, malgré la déclaration de guerre des Français, le Parlement anglais continue à s’interroger au sujet de la dangerosité d’une loi liberticide. Ce n’est que le 23 mai 1794 que William Pitt réussit à suspendre l’Habeas corpus. Il sera rétabli en 1795 puis de nouveau suspendu entre 1798 et 1801, à l’occasion de la deuxième coalition des puissances européennes contre la France révolutionnaire.

Pour en savoir plus :

L’Habeas Corpus Act dans l’Encyclopédie universitaire