En 1924, lorsque Breton et ses amis renoncent au « nihilisme » dada pour évoluer vers le surréalisme, Rigaut ne prend pas le même chemin. Il préfère émigrer à New York, où il espère réussir dans les affaires et où il épouse, en 1926, une richissime Américaine, Gladys Barber.
Déjà amateur d'opium et de cocaïne, il découvre l'héroïne à Harlem et tombe dans l'addiction. Excédée par ses frasques, sa femme le quitte presque immédiatement. Alcoolique et toxicomane, Rigaut survit difficilement, avant de rentrer en France fin 1928. Commence alors une série de cures de désintoxication, ratées.
À l'automne 1929, il échoue à « la Vallée aux loups », une maison de repos de Chatenay-Malabry, qui fut aussi la demeure de Chateaubriand au début du XIXe siècle. C'est là, au matin du 6 novembre, qu'il se tire une balle dans le cœur, à tout juste trente ans. « Essayez, si vous le pouvez, d'arrêter un homme qui voyage avec son suicide à la boutonnière », avait-il écrit un jour.
Personnage central des avant-gardes des années folles, il demeure pourtant peu connu du grand public. N'avait-il pas refusé de devenir un « littérateur », fidèle en cela à l'esprit dada ?
La presse de l'époque évoque d'ailleurs très peu son suicide. Quelques rédacteurs vont pourtant s'intéresser au « cas Rigaut » et tenter de donner un sens à son geste. André Delacour, dans L'Européen du 6 août 1930, lui consacre ainsi un long article :
« À la fin de l'année dernière, on apprenait le suicide d'un jeune écrivain qui avait collaboré à Littérature et passait pour avoir servi de modèle au héros de La Valise vide de Drieu La Rochelle. Il s'appelait Jacques Rigaut. Au dire de ses amis, il faisait penser au jeune héros de Racine, à ce Hippolyte qui “traînait tous les cœurs après soi”. Et il n'avait aucune raison ordinaire de se tuer.
M. Jacques Émile Blanche, qui l'a particulièrement connu, a écrit sur sa mort : “Le mystérieux suicide d'un aïeul venant de lui être révélé, il croyait qu'une fatale hérédité pesait sur lui... La catastrophe me sembla inévitable dès le jour où je fis connaissance de cet être charmant.”
Mais les amis de son âge n'admettent pas cette raison. Il disent que Jacques Rigaut ne croyait pas à l'hérédité. Ils pensent plutôt qu'il a joué sa vie aux dés et qu'il l'a perdue. Ils expliquent que s'il n'y attachait aucune importance, c'est qu'il se situait “à un cap extrême du romantisme, au-delà duquel il n'y a plus que le vide : cap étroit, aiguille de terre avancée où le moindre faux pas précipite dans l'abîme.”
Et ils donnent comme preuves de leurs explications les rares écrits laissés par Jacques Rigaut. »