Pendant la Première Guerre mondiale, l’inquiétude raciale se déplace du Chinois à l’Allemand, comparé à un nouveau Hun. Mais, après le conflit, le souvenir du « péril jaune » perdure.
Il est d’abord associé au communisme après la Révolution russe de 1917, comme ici en page de Une de L’Ouest-Éclair le 5 février 1925, où l’on peut lire :
« On ne paraît avoir compris chez nous que le bolchevisme est avant tout une révolte de l’anarchie orientale contre la civilisation européenne.
La Russie, c’est déjà l’Orient, et le bolchevisme est une mystique, également orientale par ses origines et ses caractères. »
Mais c’est aussi et surtout dans la culture populaire que se diffuse encore la peur de l’invasion asiatique insidieuse, notamment après que le romancier britannique Sax Rohmer a créé en 1913 Fu Manchu. Ce personnage inquiétant est décrit comme un génie du mal qui, à l’instar du Juif de la propagande antisémite, opère dans les plus ténébreux recoins des grandes métropoles occidentales à l’aide d’une puissante organisation secrète. Ses sombres menées sont stoppées, fort heureusement pour le lecteur européen de cette première moitié du XXe siècle, par l’intervention du héros Sir Nayland Smith.
D’abord déclinés sous forme de romans, les méfaits de Fu Manchu sont vite portés à l’écran, en 1923 en serial, puis en longs-métrages 1929 et surtout en 1932 (The Mask of Fu Manchu ou Le Masque d’or en français) avec dans le rôle-titre Boris Karloff, inquiétant comédien qui avait déjà joué la créature dans le Frankenstein (1931) de James Whale. Manière de confondre, à travers l’acteur qui les incarne (lui-même britannique, mais qui avait pris un nom de scène russe pour faire plus exotique, donc inquiétant), le Chinois et le monstre.
Trente ans plus tard, alors que la peur de la Chine maoïste joue à plein, rien n’a changé et c’est au tour d’un autre acteur britannique spécialisé dans les rôles de monstres, Christopher Lee (il s’est fait connaître en incarnant Dracula au cinéma) de porter à l’écran Fu Manchu dans une série de films à partir de 1965, notamment Le Masque de Fu-Manchu dont la sortie est annoncée dans Paris-presse, L’Intransigeant du 10 février 1966.
Incarnation de la crainte du « péril jaune », Fu Manchu suscite nombre de copies, notamment dans les publications pour la jeunesse. En mars 1940 dans les pages d’Aventures, Superman/Yordi affronte ainsi le leader d’une secte chinoise qui rappelle fortement le personnage de Sax Rohmer. Ce génie du mal asiatique habite dans une forteresse à l’apparence toute médiévale et enlève d’ailleurs une jeune femme blanche que le super-héros, incarnant lui la modernité occidentale, s’empresse de sauver.
Pareillement, Batman, appelé en France « Le Justicier », est confronté, dans les pages des Grandes Aventures en novembre 1940, à un maître criminel chinois surnommé « le dragon vert » alors qu’au même moment, aux États-Unis, on animalise les Asiatiques au point de montrer un clone de Fu Manchu sous des traits insectoïdes, comme c’est le cas sur la couverture de Silver Streak Comics n° 6 (septembre 1940) où le super-héros Daredevil affronte « la Griffe » (« The Claw »), un génie du mal venu de l’Empire du Milieu au faciès monstrueux.