Vers une histoire de la vie quotidienne des Français, de 1900 à 2000
Comment vivait-on au siècle passé ? Alimentation, éducation, vie amoureuse, craintes et joies, relations entre les générations... L'ouvrage Histoire de la vie quotidienne des Français au XXe siècle éclaire l'évolution de la vie de 1900 à 2000. Passionnant.
RetroNews : Écrire la vie quotidienne, c’est se confronter à une multitude de récits complexes, de réalités diverses et parfois contradictoires. Comment cette trame fait-elle sens, et que raconte-t-elle de l’histoire de notre pays ?
Éric Alary : Entrer dans l’histoire de la vie quotidienne des Français, c’est entrer dans des millions de vies et d’histoires, traumatisées par deux guerres mondiales et les guerres de la décolonisation. C’est aussi connaître des périodes de bonheur et d’insouciance, de croissance et de mieux-être. Les Français savent être heureux et profiter de certaines périodes plus fastes. Notre objectif est de mettre en en valeur les mutations des conditions de vie des habitants de la France, mais aussi de comprendre comment elles ont été possibles et perçues par les différentes catégories sociales, les diverses catégories d’âge. De même, la vision des femmes n’est pas celle des hommes et leur vie est bien différente. Les disparités sont nombreuses.
Depuis plusieurs décennies, l’histoire sociale des Français est souvent reléguée au second plan ou bien intégrée à des études plus larges, donnant surtout la priorité à l’histoire politique et à l’histoire culturelle. L’histoire même des Français au quotidien a été presque abandonnée pour certaines périodes du XXe siècle, mises à part les études portant sur les deux guerres mondiales, le Second Empire ou bien encore la Belle Époque. Mais cette histoire est insérée – pour ne pas dire « noyée » – au sein de synthèses globales. Certes. Toutefois, l’histoire du quotidien des Français dit beaucoup de l’histoire du pays.
Les Français enfin, mangent plus, mais pas forcément mieux. L’évolution du temps passé à table et du contenu des assiettes est très éclairante.
L’ouvrage met en lumière à la fois les mutations globales des conditions de vie des Français, tout en montrant les disparités qui existent selon la classe sociale, l’âge, le genre…
Faire l’histoire du quotidien demande des années d’approche des différents milieux sociaux français. Tous les auteurs travaillent depuis longtemps sur la société française, pendant les deux guerres mondiales et sur l’ensemble du XXe siècle. Il faut trouver des points en commun, mais aussi bien mettre en valeur des disparités sexuelles, géographiques, économiques et sociales. La vie quotidienne en France, c’est aussi des différences de représentations du monde environnant, depuis l’enfance jusqu’à la veille de la mort.
On décèle au fil des décennies des mutations, dont la féminisation de certains emplois, la liberté plus grande des femmes, l’amélioration du niveau de vie des Français – qui double entre 1960 et 1978, par exemple. Les Français s’équipent de plus en plus dans leur logement depuis les années 1950, avec une accélération depuis les années 1970 (télévision, téléphone, cuisine intégrée, réfrigérateur, lave-vaisselle, aspirateur, puis Internet, etc.). Avant la Seconde Guerre mondiale, le principal progrès a été celui de l’arrivée de l’électricité dans les foyers, bien avant l’eau courante. Ajoutons un meilleur accès aux soins, à l’école, aux loisirs et aux vacances. Les structures familiales ont évolué sensiblement depuis les années 1970 ; les modèles familiaux traditionnels ont explosé.
Toutefois, si la vie quotidienne a beaucoup changé pour tous, il reste des inégalités entre les hommes et les femmes, notamment dans la répartition des missions domestiques et de l’éducation des enfants. Au travail, elles gagnent toujours moins. Et puis, les inégalités sociales, certes moins fortes, frappent toujours des millions de Français et de Françaises, dans une société de plus en plus individualiste, consommatrice. Les Français enfin, mangent plus, mais pas forcément mieux. L’évolution du temps passé à table et du contenu des assiettes est très éclairante.
Quelles grandes périodes avez-vous mises en lumière de 1900 à 2000 ?
Il est très difficile de périodiser l’histoire de la vie quotidienne ; les Français, dans leur vie de tous les jours, évoluent à un autre rythme que celui de l’histoire politique. Les chronologies ne sont pas les mêmes. Cependant, les deux guerres mondiales sont des ruptures et changent les structures familiales et les mentalités. Au final, nous avons découpé l’ouvrage en périodes assez classiques, en commençant par la Belle Époque, les deux guerres mondiales, l’entre-deux-guerres et les décennies entre 1945 et 2000 environ.
Qu’apportent les récits sur le mode du « vingt-quatre heures de la vie de… » ?
En suivant la vie intime de plusieurs Français et Françaises, nous avons voulu nous rapprocher du quotidien et de son évolution ; cela montre des disparités sociales, sexuelles et professionnelles. Les femmes sont confinées souvent dans la sphère domestique jusqu’aux années 1960.
Nous proposons des parcours, des focus en suivant « 24 heures de la vie » d’une ouvrière parisienne de l’armement en 14-18, d’un enfant de dix ans à la Belle Époque (Maurice Genevoix), d’une ouvrière d’une manufacture de tabac dans l’entre-deux-guerres, d’un gendarme sous l’Occupation, de mineurs de fond ou d’un paysan dans les années 1950, de Mohamed, cariste à Flins, d’un touriste du Club Med, entre autres. Car l’histoire des vies ne peut pas être que chiffres et statistiques même s’il nous faut comprendre les événements économiques et politiques de chaque séquence chronologique étudiée.
Quelles sources avez-vous mobilisées ?
Les sources sont très denses : des lettres, des récits littéraires et de témoins du XXe siècle, des rapports préfectoraux départementaux et de la préfecture de police de Paris, des rapports des brigades de gendarmerie pour les campagnes, les archives de l’AP-HP ou les nombreuses sources inventoriées à La Contemporaine (Université de Nanterre), dont la presse.
–
Agrégé d’histoire et docteur de l’Institut d’études politiques de Paris, professeur de chaire supérieure en khâgne et hypokhâgne au lycée Descartes de Tours, Éric Alary est spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et de l’histoire sociale des Français au XXe siècle. Il est notamment l’auteur de L’Exode, une nouvelle histoire de l’Occupation et, avec Bénédicte Vergez-Chaignon et Gilles Gauvin, de l’ouvrage Les Français au quotidien, 1939-1949. L'ouvrage Histoire de la vie quotidienne des Français au XXe siècle, qu'il a codirigé, est paru aux Éditions du Nouveau Monde en 2024.