Écho de presse

Le procès d'Oscar Wilde pour « homosexualité »

le 07/09/2018 par Pierre Ancery
le 30/09/2016 par Pierre Ancery - modifié le 07/09/2018
L'écrivain Oscar Wilde, circa 1880 - source : Gallica-BnF

En 1895, l'écrivain irlandais fut condamné à deux ans de travaux forcés. La cause ? Les suspicions autour de sa prétendue homosexualité.

Le 3 avril 1895 s'ouvre à Londres un procès qui va défrayer la chronique. Il implique en effet l'écrivain de langue anglaise le plus adulé du moment : Oscar Wilde, l'auteur du Portrait de Dorian Gray et de L'Importance d'être constant, une pièce qui connaît un grand succès au moment des faits. L'écrivain irlandais ne le sait pas encore, mais ce procès va avoir pour lui des conséquences terribles.

 

Il faut remonter à 1891 pour comprendre les faits : cette année-là, Wilde (qui est marié) s'éprend de Lord Alfred Douglas de Queensberry. Les deux amants s'affichent. Mais le père d'Alfred, le marquis John Douglas de Queensberry, désapprouve cette union et demande à Wilde de s'écarter de son fils. En février 1895, il accuse l'écrivain d'être homosexuel : à l'époque, en Angleterre, c'est un grave délit.

 

En France, où Oscar Wilde est très connu, la presse relaye aussitôt l'affaire. Ainsi Le Matin du 4 mars évoque les circonstances de « l'injure » en termes très couverts :

 

« Le marquis a remis au portier du club que fréquente le romancier une carte, sans la moindre enveloppe, et portant trois mots qui constituent, paraît-il, la plus grave des injures dans les clubs où les petits télégraphiques ne font pas prime. Cette carte, dûment présentée sur un plateau par le groom à l'homme de lettres, produisit un effet immédiat ; le marquis fut arrêté le lendemain – ce matin – et amené devant la Cour criminelle.

 

L'affaire doit être très grave, car ces procès se jugent ordinairement au civil. »

 

Wilde intente alors un procès en diffamation au marquis. Dans Le Matin du 4 avril, on lit le récit de la première audience. La nature des accusations est toujours évoquée à demi-mot :

 

« Dans cette lettre se trouvaient des expressions étranges, telles qu'on en aurait pu rencontrer peut-être dans une correspondance de Socrate et d'Alcibiade, de Nisus et d'Euryale, et telles qu'on en trouve dans la seconde églogue de Virgile... »

Plus loin, le journaliste évoque le « platonisme » avec lequel Wilde répond à la cour, qui l'interroge sur ses mœurs... Dans les jours suivants commence une véritable joute verbale entre l'écrivain et l'avocat de Queensberry, Edward Carson. Wilde use de son charme et, sûr de gagner, multiplie les bons mots, déclenchant souvent l'hilarité du public.

 

Mais il va parfois trop loin dans la provocation, comme le révèle encore Le Matin dans un article toujours allusif intitulé « Le culte de l'Antiquité » :

 

« M. Oscar Wilde avait montré, hier, dans ses réponses aux interrogatoires, un aplomb extrême en même temps qu'une grande vivacité de réparties, mais ses réponses produisent un effet déplorable pour lui, car elles dénotent une tendance des plus dangereuses et des plus risquées. »

En effet, les jurés n'apprécièrent pas l'attitude arrogante de Wilde. Le public lui-même finit par changer de camp devant son mépris pour les mœurs ordinaires, et le 6 avril, Wilde est arrêté. Le 25 mai, il sera condamné pour homosexualité à la peine maximale de deux ans de travaux forcés.

 

Le Temps du 27 mai décrit la scène :

 

« De l’auditoire part un cri, un seul : “Honte ! 

 

Qui l’a poussé ? On ne songe même pas à se le demander. Tous les yeux sont fixés sur Wilde : il blêmit encore et l’on voit son visage livide se décomposer ; on a l’impression que la nuit se fait dans son cerveau ; ses lèvres s’agitent, mais sans parvenir à articuler aucun son. Au moment où deux gardiens le saisissent il allait tomber par terre ; on l'emmène. »

Libéré en 1897 et terriblement affaibli par son emprisonnement, il s'exilera en France, où il mourra le 30 novembre 1900, dans le dénuement.

 

Il faudra attendre 1967 pour que l'homosexualité soit partiellement dépénalisée en Angleterre.